Climat des affaires : attentisme et tensions de trésorerie

Médias 24 a enquêté auprès des opérateurs économiques dans différents secteurs. Beaucoup se plaignent de difficultés de trésorerie ou de baisse de commandes.  

Climat des affaires : attentisme et tensions de trésorerie

Le 6 juin 2013 à 20h22

Modifié 6 juin 2013 à 20h22

Médias 24 a enquêté auprès des opérateurs économiques dans différents secteurs. Beaucoup se plaignent de difficultés de trésorerie ou de baisse de commandes.  

Difficultés de trésorerie

«Je n’ai pas soumissionné au dernier appel d’offres de l’ONEE. A quoi ça sert de remporter des marchés si on ne sait pas quand est-ce qu’on sera payé ? » Celui qui parle ainsi dirige un groupe très diversifié. Il décrit un marché atone, sans liquidité, où il est désormais très difficile de se faire payer. «Le recouvrement est devenu une part essentiel de mes journées. Lorsqu’un agent va chercher un règlement, il ramène 50 quand la créance est de 500.»

Même les filiales des grands groupes, censés donner l’exemple, inscrivent leur relation avec leurs fournisseurs dans une logique de rapport de force. «Marjane nous paie au bout de 12 mois dans le meilleur des cas», soupire-t-il, alors que les clients de la grande surface ont payé cash. Côté banques, «ce n’est plus comme avant, s’il n’y a pas de garantie et un dossier en béton, rien ne passe plus».

Les tensions de trésorerie sont perceptibles jusque dans les statistiques de Bank Al-Maghrib. Les découverts bancaires sont en hausse d’une année à l’autre.

10 Rajeb : «ne pas vendre plutôt que vendre à risque»

10 Rajeb a pris des mesures drastiques au niveau du recouvrement et de la sélection du portefeuille commercial. Son directeur général, Vassilis Koufiotis, nous confie :

«Nos clients ont de grandes difficultés à nous payer dans les délais depuis plus d’une année à cause d’un manque patent de liquidités. En moyenne, nous ne sommes payés qu’au bout de 120 jours, contre 60 jours par le passé. Nous avons été obligés de revoir notre stratégie commerciale. Nous avons durci nos critères de choix des clients de façon à préférer ne pas vendre plutôt que de vendre à risque. S’en est suivie une baisse des commandes que nous avons par ailleurs essayé de contrecarrer en nous dirigeant vers l’export». 

«Nous avons aussi mis en place une nouvelle stratégie de recouvrement. Travailler avec une entreprise de recouvrement spécialisée ne nous intéresse plus ; nous en avons fait l’expérience mais avons fini par préférer gérer ce volet en interne.

«Ceci étant, nous nous considérons privilégiés par rapport à d’autres entreprises marocaines frappées de plein fouet par la crise. Et pour cause. Nous avons un taux d’endettement négligeable et nos relations avec les banques sont excellentes».

Aviculture : 900 MDH d’arriérés de TVA dus par l’Etat

Un opérateur dans le secteur avicole nous raconte que les banques sont devenues intraitables sur les dépassements d’autorisation de découvert ou d’escompte et que l’Etat doit 900 millions de DH au secteur :

«Depuis une année, les banques ont serré la vis. Les conditions de dépassement sont devenues très dures, même pour les entreprises structurées. Et quand bien même des lignes de crédit sont accordées, elles ne suivent pas l’évolution positive du chiffre d’affaires. De même, l’escompte qui se faisait automatiquement est aujourd’hui sujet à un contrôle régulier et minutieux. Il s’en est suivi un allongement considérable des délais de paiement, passés de trois à six mois. La trésorerie de l’entreprise en a pâti et nous avons été obligés de piocher dans nos comptes privés pour renflouer les caisses de la société.

«En plus de ces problèmes communs à tous les secteurs d’activité, dans la filière avicole, le retard lié au butoir de TVA grève davantage notre trésorerie. A ce titre, l’Etat doit 900 millions de DH au secteur. Ce montant correspond au différentiel de la TVA (20% à l’achat et 7% à la vente) non récupéré par les entreprises pendant les quatre dernières années. Certes, la loi de Finance 2013 a réglé ce problème en harmonisant les deux taux de TVA, mais il reste à épurer le passif. Le chef du gouvernement nous a promis de tout régler avant la fin de l’année en cours. Cela apportera une bonne bouffée d’oxygène à toute la filière».

Dari : endettement maîtrisé et clients solvables

Hassan Khalil, DG de Dari Couspate, nous livre sa recette : recouvrement, sélectivité de la clientèle et une bonne assise financière. Sa société ne souffre pas des effets de la crise.

«Globalement, le premier semestre de l’année s’est bien déroulé, mis à part un mois de mars très ardu pour des raisons que nous n’arrivons pas à expliquer. Par ailleurs, nous avons constaté des difficultés de recouvrement que nous avons très vite réglées en devenant plus sélectifs dans le choix de nos clients. Ces derniers sont constitués de grossistes (85%) et d’opérateurs de la grande distribution (15%). Aujourd’hui, nous ne traitons qu’avec des clients solvables. En effet, nous ne pouvons pas badiner avec notre réputation d’autant plus que la société est cotée en bourse.

«Par ailleurs, même si la conjoncture économique du pays est difficile, nous continuerons à avoir de bonnes relations avec les banques. Nous avons pu obtenir un crédit pour financer une nouvelle plateforme logistique et une nouvelle ligne de production de couscous pour 38 millions de DH. Cela a pu se faire car nous avons un endettement maîtrisé, de 20 millions de DH seulement. Nous avons une bonne assise financière ; ce n’est pas le cas de tous les opérateurs du secteur qui n’arrivent pas à tirer leur épingle du jeu». 

L’agriculture qui rit, les BTP qui pleurent

Le secteur qui souffre le plus est le BTP et plus largement les industries traditionnelles. Le tourisme a résisté et sort la tête de l’eau.

Voici les explications de Abdellah El Idrissi El Jaouhari, directeur de l’Institut national d’analyse de la conjoncture au HCP (Haut commissariat au plan) :

·         Agriculture et pêche : le secteur tire la croissance vers le haut, entraînant les activités du secteur transport qui y sont liées, en raison d’une campagne agricole exceptionnelle. En conséquence, les importations de céréales seront moins importantes cette année ;

·         Secteur des BTP / Industrie : le secteur est très touché. La baisse tendancielle de l’activité constatée depuis le troisième trimestre 2012 s’est poursuivie sur les quatre premiers mois de 2013 et entraîne dans sa chute d’autres secteurs de l’industrie, notamment la branche des matériaux de construction (ciment, bois, fer, etc). Ce ralentissement, par effet de ricochet se répercute sur d’autres branches de l’industrie, si bien que la croissance du secteur qui est généralement de l’ordre de 3% ne devrait être que de 2% ;

·         Tourisme et transports liés au tourisme : le secteur est en rétablissement. Après une chute importante des activités en 2011, l’année 2012 avait marqué une reprise qui s’accélère sur 2013. La reprise se répercute sur les activités des transports liés au tourisme, notamment le transport aérien.

·         Activités financières : en raison du ralentissement de l’activité des BTP et la baisse de la demande de financement, l’activité de ce secteur est en baisse.

L’économie connaît actuellement une crise de liquidité : en raison de la crise internationale, les exportations ont diminué ce qui a aggravé le déficit commercial. A cela s’ajoute la diminution des recettes touristiques et la diminution des transferts des MRE. Il y a donc moins d’argent qui circule dans l’économie.

Parallèlement, la dégradation du solde budgétaire et les difficultés des entreprises conduisent le gouvernement et le secteur privé à rechercher davantage de financement, se retrouvant pratiquement en concurrence. C’est pour cette raison que BAM est intervenu plusieurs fois pour baisser la réserve monétaire et donc injecter des liquidités dans l’économie. C’est également pour cette raison que le gouvernement a levé un emprunt à l’international (ndlr : la levée des 750 millions de dollars annoncée il y a une dizaine de jours) pour éviter de ponctionner des liquidités déjà rares sur le marché financier intérieur.

Le ministre du Tourisme se veut rassurant

Lahcen Haddad, ministre du Tourisme, est rassurant par rapport à son secteur. «Les unités qui souffrent aujourd’hui de la crise sont celles qui ne sont pas très bien positionnées. Une unité située en front de mer, par exemple, ne souffre pas beaucoup de la conjoncture. Par ailleurs, dans certaines villes, comme Marrakech, nous n’avons pas de problèmes particuliers».

«En revanche, lorsque l’on est «enclavé», la crise impacte forcément l’activité de l’entreprise. Tout dépend, donc, du positionnement. Nous sommes conscients bien entendu de ces difficultés et nous sommes en train de travailler avec les différents acteurs afin d’aider ces unités à faire face à la crise. Mais il faut rappeler que l’on a assisté, au cours du premier trimestre, à un décollage prometteur (les arrivées et les nuitées ont augmenté de manière significative). On peut dire que, globalement, le moral des entreprises touristiques est bon.

«Pour ce qui concerne les relations des entreprises touristiques avec le secteur bancaire, il est indéniable que les banques accompagnent le tourisme. Elles ont certes des réticences, notamment à Marrakech, vu le contexte économique actuel, mais nous sommes en train de les rassurer».

Zakaria Fahim, expert-comptable : Il faut admettre que ce sont les entrepreneurs qui créent la valeur

«La situation est très tendue et difficile. Les entreprises souffrent dans leurs relations avec les banques, les primes sont réduites ou supprimées, les commandes baissent et les projets se raréfient».

«Cet état touche notamment les entreprises qui n’opèrent pas dans les niches. Par «niches», j’entends le secteur du commerce (achat et vente), celui du textile pour les fournisseurs des petites séries, l’offshoring notamment pour les sous-traitants de Renault. Et également, les opérateurs toutes activités confondues, qui se sont orientés vers l’Afrique s’en sortent plutôt bien. Ces derniers bénéficient de marchés financiers publics et du financement de la Banque Mondiale. Leur trésorerie est au beau fixe vu qu’ils arrivent à facturer beaucoup plus cher qu’au Maroc ».

«Que faire devant cette situation ? Eh bien, il faut admettre une fois pour toutes, que ce sont les entrepreneurs qui créent la valeur. Ce qui vient de se passer avec les Turcs est inimaginable. Le patronat n’était pas dans la boucle, car il a été estimé opportun de passer par une association. Il est nécessaire de rétablir la confiance, une transparence entre l’ensemble des partenaires : opérateurs et fournisseurs, consommateur et environnement politique. Il faut dépasser cette ambiance de défiance qui règne actuellement. Donner la voix à ceux qui travaillent».

«Comment faire ?En émettant des signaux forts pour une relance, en mettant en avant l’innovation. Par exemple, développer le modèle de colocalisation et que l’Etat innove dans ses démarches, en laissant les gens travailler. Mais le vrai souci reste le système éducatif national, en faillite. Au final, nous allons vers deux mondes qui ne peuvent pas communiquer entre eux.

«C’est d’ailleurs ce que l’on rencontre dans beaucoup d’entreprises industrielles. Le capitaine du navire est un sexagénaire. La relève, ce sont des jeunes francophones ou anglophones, qui n’ont pas été formés à gérer des ouvriers. Ils n’arrivent même pas à communiquer avec le personnel, puisqu’ils ne maîtrisent pas la langue arabe».

«L’Etat doit structurer le secteur informel, représenté par près d’un million de PME. Ces entrepreneurs doivent être considérés comme des créateurs de valeur, en les intégrant dans le régime de couverture sociale et dans l’économie structurée».


 

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