Reportage : Avec les jeunes sub-sahariens à Tanger

Ils ont entre 20 et 40 ans, viennent de Guinée, du Sénégal ou de Côte d’Ivoire et ils sont nombreux à se retrouver à Tanger, porte du Détroit. Certains logent dans des petits hôtels de la médina près du port.

Reportage : Avec les jeunes sub-sahariens à Tanger

Le 19 août 2013 à 19h40

Modifié 19 août 2013 à 19h40

Ils ont entre 20 et 40 ans, viennent de Guinée, du Sénégal ou de Côte d’Ivoire et ils sont nombreux à se retrouver à Tanger, porte du Détroit. Certains logent dans des petits hôtels de la médina près du port.

Les moins fortunés  dans les jardins publics ou dans les bois sur la route de l’aéroport ou la route de Sebta, vers Ksar Sghir.

Alors que  des canots pneumatiques sont arraisonnés au large de Tarifa, qu’un crime est commis à Rabat, que des membres des forces auxiliaires sont accusées de viol à Tanger et que le démantèlement de filières d’émigration clandestine du Maroc vers l’Espagne est annoncé, la réalité vécue par les jeunes Sénégalais, Guinéens et Ivoiriens qui tentent de gagner leur vie ici ou de saisir la première occasion d’émigrer clandestinement vers l’Europe mérite d’être mieux connue.

 Le taux de chômage élevé qui affecte les 18-35 ans et l’instabilité politique dans plusieurs pays africains incitent de plus en plus de jeunes à quitter leur terre natale.

Moussa, Ibrahim Ba, Lamine et les autres

Rencontré dans un jardin public situé sur la corniche tangéroise, Moussa, 33 ans, est arrivé du Sénégal à Tanger «il y a plus de 2 mois, mais moins que les 3 mois que m’autorise mon visa touristique,»  précise-t-il. Mais son objectif en arrivant à Tanger n’est pas de faire du tourisme. Moussa est arrivé à Tanger en provenance de Dakar d’où il a pris des taxis collectifs jusqu’à la frontière maroco-mauritanienne avant de remonter de Dakhla à Tanger en autocar!

 Ce qu’il veut, «c’est traverser le détroit et se rendre en Europe, de préférence en Italie » où réside son frère aîné. Cuisinier de formation, Moussa chômait au Sénégal et, une fois à Tanger, il n’a pas réussi à trouver un emploi stable. Il est sur le point d’épuiser ses économies et a quitté la pension où il logeait depuis 2 jours pour dormir dans la rue.

 Moussa garde avec lui l’argent qui lui servira dans quelques jours à cotiser avec d’autres candidats à l’émigration pour acheter un canot pneumatique et des rames  et partir vers le Nord. « Aujourd’hui, cela coûte 1.500 à 2.000 DH par personne pour traverser », indique-t-il. En moyenne, 8 personnes peuvent embarquer à bord d’un canot pneumatique. Il y a quelques années, lorsque les traversées se faisaient en pateras, des barques en bois dotées d’un moteur, le voyage coûtait de 10 000 à 20 000 DH par personne. Aujourd’hui, les traversées en barques en bois et à moteur sont devenues très rares.

Ibrahim Ba et Lamine sont tous deux Guinéens. «  Nous sommes ici parce que le travail n’existe pas en Guinée » indique Ibrahim qui se trouve au Maroc depuis presque 3 mois et qui a pu travailler pendant quelques semaines en tant que serveur dans un restaurant à Casablanca, se refaire des réserves financières avant de monter tenter sa chance à Tanger cette semaine.

Agé de 30 ans, Ibrahim se présente comme « technicien informatique et chauffeur de camion ou de taxi », professions qu’il a exercées au Sénégal notamment. Son objectif « n’est pas forcément de partir en Europe si j’arrive à gagner ma vie au Maroc » précise-t-il.

Ibrahim qui a un peu vécu à Casablanca et à Tanger est très critique envers les Marocains qu’il accuse de racisme. « Nous voulons que les Marocains nous respectent comme ils sont respectés à Abidjan et à Conakry » affirme-t-il avec  véhémence. Citant son expérience à Casablanca, il indique qu’ « il est devenu impossible pour des Africains Black de trouver des appartements à louer dans les villes marocaines » et la violence du crime de la gare routière de Rabat du 14 août dernier ne lui a naturellement pas échappé.

Son compatriote Lamine, âgé de 23 ans, est arrivé à Tanger depuis seulement 10 jours. Il affiche un profil différent du candidat à l’émigration classique. Joueur de football à l’A.S. Conakry, club de la capitale, l’objectif de Lamine est de trouver un club de football pour jouer et s’intégrer ici au Maroc, ou bien en Europe. Elégamment habillé, un chapelet à la main, Lamine ne semble pas intéressé par les échanges politiques autour de la situation des Africains au Maroc. Lui, prie pour que les choses s’arrangent en matière de foot !

Paké est pour sa part Ivoirien. Il rejoint notre conversation en boitillant. Il nous informe qu’il a été pris dans une rafle de la police à Tanger une semaine auparavant, qu’il s’est retrouvé transporté en autocar vers la frontière maroco-algérienne et « laissé en rase campagne entre Oujda et Figuig ». Paké montre son mollet enflé et décrit son « voyage au bout de l’enfer ». « Nous avons été très mal traités » annonce-t-il.

Lui aussi, connaissant l’importance de la communauté marocaine en Côte d’Ivoire fustige « la brutalité et l’ingratitude des Marocains envers les Africains Black ». Pourtant c’est la deuxième fois qu’il tente de passer vers l’Europe via le Maroc. Une première fois, en 2011, il avait essayé, vainement.  Puis il était retourné en Côte d’Ivoire pour seulement constater que ses parents étaient morts durant la guerre civile. C’est ainsi qu’il est revenu au Maroc via Dakar il y a moins de deux mois.

Ibrahim, Sénégalais, est mécanicien de formation. Jusqu’à il y a quelques jours, il logeait dans un campement de fortune dans un bois sur la route de Sebta. Mais les rafles policières qui se sont multipliées au cours de ce dernier mois l’ont incité à rejoindre ses compatriotes à Tanger. « J’avais de plus en plus peur ces dernières semaines, explique-t-il ; j’ai vu certains de mes collègues congolais et maliens embarqués par la gendarmerie » dit-il. Pour la deuxième fois en deux ans au cours des prochains jours, il tentera « de trouver d’autres Africains qui veulent cotiser et s’acheter un canot pneumatique et des rames pour tenter de traverser le détroit de Gibraltar ».

Si Moussa, Ibrahim, Lamine et les autres attendent patiemment à Tanger le moment de partir vers l’Europe, d’autres candidats africains à l’émigration attendent également en ce moment aux portes de Sebta, de Mélilia mais aussi sur les plages près de Moulay Bousselham au nord de Kénitra.

Un débat qui ne fait que commencer

L’attitude des Marocains envers les Subsahariens et leur place dans la société marocaine commencent à faire l’objet de vifs débats depuis quelques semaines. S’il y a les plaintes récurrentes des  associations de défense des droits de l’homme au sujet de la conduite des rafles, le meurtre du jeune Sénégalais Ismaïla Faye à Rabat, la mort du Congolais Alain Toussaint après être tombé d’un fourgon suite à un contrôle d’identité puis l’affaire du présumé viol de la jeune Lina Melon à Tanger ont attiré l’attention sur le phénomène du racisme au Maroc.

Ces violents faits s’ajoutent aux affichettes que certains propriétaires immobiliers  n’ont pas hésité à placarder dans des halls d’immeubles casablancais indiquant « pas de location aux Noirs ». Pour l’architecte sénégalais  Boubacar Seck, « il ne faut pas laisser pourrir la situation par le silence et le déni ».

Au Maroc, rares sont aujourd’hui les ONG qui s’intéressent aux  jeunes Africains. Il existe à Rabat la Fondation Orient-Occident  qui depuis plusieurs années dispose d’ « appartements de secours » au quartier Yacoub El Mansour et organise des formations professionnelles au profit des jeunes d’Afrique subsaharienne qui souhaitent acquérir des compétences en cuisine ou dans les métiers du bâtiment. Selon sa présidente Yasmina Filali, « la Fondation intervient également à Oujda, mais pas ailleurs. Pour cela, ajoute-t-elle, il faut que nous disposions de l’appui des autorités locales ».

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