Les grands principes d’une fiscalité efficace

Avec l’annonce par le Roi Mohammed VI dans le discours du Trône de la fin de l’exonération d’impôts pour les gros producteurs agricoles dès 2014, la question de la réforme de la fiscalité est relancée.

Les grands principes d’une fiscalité efficace

Le 22 août 2013 à 12h44

Modifié 22 août 2013 à 12h44

Avec l’annonce par le Roi Mohammed VI dans le discours du Trône de la fin de l’exonération d’impôts pour les gros producteurs agricoles dès 2014, la question de la réforme de la fiscalité est relancée.

Jean-Pierre Chauffour* (Banque Mondiale) nous livre ici les grands principes d’une fiscalité efficace ainsi que ses réflexions sur les grands thèmes abordés lors des assises de la fiscalité d’avril dernier.

 

Selon vous, quels sont les principes d’un système fiscal efficace ?

La fiscalité est au cœur du contrat social des sociétés. Les questions qui sous-tendent ce contrat social sont les suivantes :

-          Tout d’abord, quelles sont les missions légitimes de l’Etat, quel est le champ adéquat d’intervention de l’Etat ? En d’autres termes, quelles sont les actions légitimes de l’Etat qui justifient les impôts, taxes et autres prélèvements obligatoires ?

-          Une fois un consensus national acquis sur les missions de l’Etat, se pose la question de la juste répartition des charges financières entre les citoyens, entreprises, et autres contribuables.   

-          Enfin se pose la question des bénéficiaires des services de l’Etat et de leur juste répartition entre les différents groupes de population et distribution sur le territoire national?

Les questions d’efficacité économique et de justice sociale sont au cœur de chacune de ces trois questions.

D’un côté, l’intervention de l’Etat et la redistribution des ressources tendent à introduire des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité économique.

De l’autre, la fourniture de biens et services publics par l’Etat, biens et services que l’on dit «indivisibles» puisqu’ils profitent à toute la population sans que personne ne puisse se les accaparer, vient pallier les défaillances du marché.

Le périmètre du champ d’action de l’Etat doit donc trouver le juste équilibre de façon à limiter les distorsions économiques de son intervention tout en maximisant les bénéfices en matière des biens et services publics utiles.

La question de la fiscalité ne peut pas s’exonérer d’un débat préalable plus large surla juste répartition des coûts et bénéfices de l’action publique. Le rôle de redistribution de l’Etat est présent tant du côté des recettes que des dépenses. Qui paie l’impôt et sur quelle base ?  Est-ce que chaque citoyen doit contribuer au financement de l’action publique à parts égales, en proportion de ses revenus ou de manière croissante en fonction de ses revenus (progressivité) ?

 De la même manière, qui bénéficie de la dépense publique et sur quelle base ? Est-ce que tous les citoyens ont un accès égal aux mêmes services publics ?

Il est sain que de telles questions fassent l’objet d’un débat démocratique permanent à mesure que les sociétés deviennent plus complexes et que le rôle des Etats lui-même se complexifie.

La Banque mondiale quant à elle est prête à nourrir ce débat national par son expérience acquise à travers le monde. Les Assises de la fiscalité ont été un premier pas important dans ce dialogue national et chacun des cinq thèmes proposés lors de ces assises a soulevé des questions pertinentes.

 

Le premier thème était la révision de la législation fiscale et l’équité fiscale, ce qui rejoint une partie des questions que vous venez de poser…

Ce premier thème a permis de réfléchir à comment adapter l’impôt à la fois direct et indirect pour une plus grande équité.

Sur quels principes faut-il taxer les facteurs de production, capital et travail ? Comment taxer les actifs mobiles vis-à-vis des actifs immobiles, sachant que les premiers peuvent par définition plus facilement échapper à l’impôt tout simplement en quittant le pays ?

De manière fondamentale, est-ce que la législation fiscale traite tous les individus de manière égale, ou est-ce que certains sont plus égaux que d’autres, notamment en fonction de leur statut ou du secteur économique dans lequel ils opèrent ?

 Est-ce que le secteur des grandes exploitations agricoles par exemple qui est largement défiscalisé n’est pas favorisé par rapport au secteur manufacturier ou à celui des services?

Et comment ce traitement privilégié se justifie-t-il sachant que le développement économique du Maroc devra passer par un renforcement de sa base industrielle, notamment manufacturière ?

 Les régimes fiscaux font partie de l’histoire des pays et les clauses diverses et variées qui touchent tel ou tel secteur, groupe d’individus ou autre peuvent s’expliquer par un processus historique légitime.

Par exemple, par l’association du secteur agricole à une population relativement pauvre, largement dans l’autosubsistance, alors que le secteur manufacturier est associé davantage à la classe moyenne basse constituée de travailleurs en col bleu.

Mais tout cela est évolutif, et il y a dans le secteur agricole des exploitations agricoles qui sont de vraies entités économiques qui devraient entrer sous le registre commun des activités économiques du pays. L’annonce de la fiscalisation des gros exploitants agricoles par Sa Majesté va dans ce sens.

 

Par ailleurs, comment rationaliser également le système d’exonération ?

Au même titre que les dépenses publiques, alimentées par l’impôt, il convient d’examiner les exonérations fiscales,  que l’on qualifie parfois de  dépenses fiscales. Quels objectifs de politiques publiques visent-elles à promouvoir, sont-elles justes et justifiées, ont-elles une utilité économique avérée ? En particulier, quel est leur rendement économique ?  Et comment ce rendement se compare-t-il à celui de l’usage alternatif que l’on pourrait faire de ses ressources ? 

Voilà quelques-unes des questions autour de l’équité en matière de législation fiscale que les assises ont mises sur la table et qu’il conviendrait d’approfondir dans les prochains mois. 

La réforme budgétaire axée sur la performance soutenue par la Banque mondialeoffre l’opportunité d’accroître la transparence des allocations des dépenses publiques (directes et fiscales) ainsi que d’améliorer leur efficacité. 

 

La Lutte contre la fraude fiscale et la formalisation de l’informel font également partie des voies qui sont explorées dans le cadre de la prochaine réforme fiscale…

L’informel n’est pas nécessairement synonyme de fraude fiscale, loin de là.

 L’informel n’est par définition que ce qui n’est pas capturé par les filets de la fiscalité, comprenant tant les très petites entreprises et activités économiques que les activités non-déclarées d’entreprises formelles.

Il est donc opportun de réfléchir davantage pour la première catégorie, comme les Assises ont commencé à le faire, au processus de transition de l’informel vers le formel. La question du coût de la formalisation, à la fois financier et administratif, est au centre de ce débat, tant ces coûts peuvent être dissuasifs pour les petites unités économiques et in fine contre-productifs par rapport à l’objectif de formalisation de l’informel.

Par exemple, la logistique administrative d’une comptabilité tenue à jour et certifiée peut être très coûteuse et dissuasive pour de très petites entreprises (TPE). Il faut donc trouver des mécanismes alternatifs et d’incitation pour que les gens y trouvent un intérêt économique, même si ce n’est pas forcément à très court terme, comme par exemple une réduction d’impôts pour les TPE ayant recours à des centres de comptabilité certifiés ou un plus grand accès aux filets de sécurité sociale, en particulier les caisses de retraites.

Nous avons déjà abordé cette question de l’élargissement de l’assiette des cotisants aux caisses de retraite dans un de nos entretiens précédents.

Là encore, la Banque mondiale a accumulé au fil du temps de l’expérience sur le sujet de la formalisation de l’informel ; expérience que l’on est prêt à partager pour aider les autorités marocaines à décider des solutions les plus adaptées au pays.

S’agissant de la fraude fiscale à proprement parler, c’est un agenda plus classique de modernisation du secteur public et de l’administration fiscale en particulier ainsi que de renforcement des mécanismes de lutte contre la fraude et la corruption.  

Cela comprend un cadre juridique et réglementaire clair et transparent, compréhensible par tous- par des efforts de vulgarisation- et limitant les marges d’interprétation et de discrétion qui constituent des sources potentielles de fraude et de corruption.

Il convient de revoir les différents régimes d’imposition et les modalités de leur administration pour voir lesquels sont les plus vulnérables à la fraude fiscale et les plus coûteux à contrôler. Il s’agit également de renforcer les capacités de l’administration en matière de contrôle fiscal, tant par des mesures facilitant le recoupement de l’information détenue par les administrations (par exemple par un identifiant unique), que par la modernisation des méthodes de contrôle et d’audit, basé sur les risques.

Enfin, il est fondamental d’assurer la pleine transparence des exonérations,  des contrôles et des mécanismes de recours indépendants et efficaces afin d’éviter que le contrôle lui-même ne soit source d’arbitraire, de fraude et de corruption, ce qui affecte non seulement les recettes à court terme mais également le civisme fiscal à long terme.

 

Comment la fiscalité peut-elle être un outil pour soutenir la compétitivité ?

Un des éléments importants de compétitivité d’un pays est la stabilité du cadre juridique et notamment du cadre fiscal. L’incertitude engendrée par l’instabilité du cadre règlementaire a un prix et donc un coût pour l’investisseur.

Avec des coûts d’opérations plus élevés, c’est tout le système productif du pays qui devient moins compétitif. Il y a donc un lien très fort entre le cadre réglementaire, en particulier des finances publiques, et la compétitivité, notamment des PME.

La stabilité du cadre juridique ne signifie pas le statu quo. Une fois la stabilité réglementaire acquise, il est judicieux de réfléchir à faire évoluer le système fiscal pour que par exemple les taux d’imposition ne soient pas trop élevés et contre-productifs.

Il faut pour cela élargir l’assiette fiscale en contrepartie d’une pression fiscale moindre. Cela suppose par exemple de trouver les mécanismes appropriés pour que les PME et TPE, qui sont le secteur économique par excellence que l’on ne veut pas entraver par une fiscalité trop lourde, gardent et même accroissent leur vitalité.

Ce qu’il faut en particulier, c’est réduire les « pertes sèches » de la fiscalité engendrée par les règles bureaucratiques de l’Etat, c’est-à-dire la part de l’impôt qui ne profite à personne et qui est uniquement un coût net pour l’économie («deadweight loss»). En contrepartie de cette fiscalité élargie, le citoyen peut en théorie bénéficier de biens et services publics de meilleure qualité qui bénéficient à tous.

Enfin, il y a la réforme de la TVA:  l’efficacité des mécanismes de remboursement de la TVA,  avoir une TVA qui soit une vrai taxe sur la valeur ajoutée, c’est-à-dire une taxe élargie supportée uniquement par le consommateur final, et qui n’introduise pas trop de distorsions dans l’économie, par exemple par la multiplication des taux, des exonérations, et autres règles particulières. 

 

Quelle est la portée économique d’une amélioration de la relation entre l’administration fiscale et le contribuable ?

Pour que la réforme de la fiscalité soit acceptée par la population, il faut qu’elle fasse l’objet de débats et de dialogue.

Cela suppose en amont un effort important de communication de l’administration pour expliquer aux contribuables les tenants et aboutissants de la réforme : son objectif, ses principes, ses modalités concrètes, etc.

En filigrane, se dessine une administration fiscale plus transparente, plus accueillante (en tout cas autant qu’une administration en charge de prélever l’impôt puisse l’être !), plus efficace, une administration qui utilise les technologies modernes de communication et d’information.

Tout cela permettra de rationaliser les procédures de contrôle et réduire le pouvoir discrétionnaire de l’administration.

Il est également souhaitable que le contrôle fiscal ne soit pas intrusif et perçu comme nécessairement punitif. La bonne harmonie entre les acteurs économiques, notamment les entreprises, et l’administration est aussi gage de productivité accrue au niveau national. Il est important qu’au Maroc en particulier, l’administration n’entrave pas mais au contraire  accompagne l’entrepreneur dans ses projets entrepreneuriaux.

 

Le dernier volet de la réforme concerne la décentralisation et l’adaptation de la fiscalité locale à la régionalisation

La décentralisation est le nouveau chantier ouvert notamment par la nouvelle constitution. Et il est le bienvenu.

Dans tous les pays du monde, des efforts sont réalisés pour rapprocher l’offre de services publics du citoyen. Le principe dit de « subsidiarité » selon lequel on ne traite à l’échelon administratif supérieur (régional, national ou supranational) que ce qui ne peut pas l’être à l’échelon local est progressivement reconnu et mis en œuvre, y compris au sein de la construction complexe que constitue l’Union européenne. 

Il est encourageant que le Maroc s’engage aussi résolument dans cette voie.  La difficulté est évidemment dans la bonne conception et mise en œuvre de la réforme pour qu’elle soit au final un succès.

Elle suppose que l’Etat central délègue effectivement un certain nombre de compétences  aux régions et aux collectivités locales sans constituer de doublons ou d’autres sources d’inefficacité et de gaspillage de ressources.

Cela suppose notamment que les compétences soient décentralisées avec les moyens sous-jacents à leur bonnes exécution, ce qui est prévu par la nouvelle constitution. Cela peut prendre soit la forme d’un transfert de ressources aux collectivités locales, soit d’un partage de la fiscalité en amont.

La réforme de la fiscalité locale est donc une partie intégrante de la réforme fiscale globale et une précondition pour la réussite de la régionalisation avancée.  Les mêmes questions posées en introduction doivent être posées pour la régionalisation et la fiscalité locale, avec trois questions spécifiques : (i) quel partage optimal de type de taxes et d’impôts entre les différents niveaux de décentralisation, (ii) le développement d’une réelle administration fiscale locale et (iii) les disparités de potentiel fiscal local et le degré de péréquation nécessaire.

Le résultat d’une  décentralisation réussie sera une administration marocaine modernisée et plus efficace à tous les niveaux et avec une répartition claire des compétences et des responsabilités, y compris en terme de fiscalité locale, au service des citoyens et entreprises marocaines.

La commission consultative sur la régionalisation a tracé la voie, il convient désormais de préciser les modalités et le calendrier de mise en œuvre de ces recommandations et des nouvelles dispositions constitutionnelles.

Les réformes de la loi organique des collectivités locales, de la fiscalité et du système de transferts et de péréquation représentent des opportunités dans ce sens que la Banque mondiale est heureuse d’accompagner.  

La réussite de la décentralisation est également une des conditions d’une plus grande compétitivité du Maroc, sujet que l’on abordera dans un prochain entretien.

A SUIVRE. IVème et dernier volet : la compétitivité des entreprises.

(*) Economiste principal pour le Maroc et coordonnateur des échanges régionaux pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Banque mondiale


 

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