Débat: Pour ou contre le Grand théâtre de Casablanca?

  A quelques semaines du début des travaux de construction du Cas’art, le débat continue à enfler sur le net et les réseaux sociaux. Débat contradictoire entre Mouna Hachim, intellectuelle et Rachid Andaloussi, architecte.  

Débat: Pour ou contre le Grand théâtre de Casablanca?

Le 26 février 2014 à 18h06

Modifié 27 avril 2021 à 22h25

  A quelques semaines du début des travaux de construction du Cas’art, le débat continue à enfler sur le net et les réseaux sociaux. Débat contradictoire entre Mouna Hachim, intellectuelle et Rachid Andaloussi, architecte.  

Les parties opposées au projet y voient une idée indécente dans une conjoncture économique difficile. Les partisans du projet considèrent que la culture, notamment dans une ville comme Casablanca, est indispensable pour apaiser les mœurs.

Mais le volet financier n’est pas l’unique objet de discorde. Le déplacement ou la destruction de la fontaine ajoute à l’intensité de la polémique.

Débat sans concessions entre Rachid Andaloussi, architecte d’opération du projet et Mouna Hachim, fondatrice de la page Save Casablanca.  

 

    Rachid Andaloussi:

«Le vrai problème est la bataille des associations»

 

Le projet du Grand Théâtre n’est pas jugé opportun. Quels sont vos contre-arguments?

Depuis toujours, des voix se sont élevées pour critiquer des projets architecturaux ou autres. Il ne s’agit pas d’une particularité marocaine.

Prenons par exemple le cas de la pyramide du Louvre. Lors de sa construction, elle avait fait l’objet de débats houleux. Son style a été qualifié de banal, n’allant pas de paire avec le contexte classique du musée parisien. Aujourd’hui, nul ne peut contester sa beauté. Les Français en sont tous fiers.  

Tout le monde se rappelle aussi de la polémique qui a eu lieu concernant le tramway de Casablanca. Où sont maintenant ces mécontents ? Pourront-ils nier tout le bien que ce moyen de transport procure aux millions de casablancais? J’en doute fort.

A mon sens, le cas du Grand théâtre est similaire. Il s’agit d’un projet structurant sur le plan culturel. Il ne profitera pas seulement à la ville de Casablanca mais à tout le Maroc.

Quand les autorités avaient démoli l’ancien théâtre, tous les intellectuels se sont manifestés pour réclamer sa reconstruction. Aujourd’hui, l’occasion de disposer d’un complexe culturel digne de ce nom s’est enfin présentée. Il faut que ce soit une source de satisfaction car la culture change le visage d’une cité.

Bilbao, la ville à étiquette terroriste s’est transformée grâce à l’architecture et au musée Guggenheim en une destination touristique très prisée. C’est un cas d’école.

 

Le projet mobilisera un milliard de DH. Ce montant pouvait être investi ailleurs, disent vos détracteurs…

Nous sommes dans l’excellence, d’où l’enveloppe requise pour l’accomplissement de ce projet. Ceci étant dit, je suis d’accord avec ceux qui réclament des hôpitaux, des espaces verts…mais cela ne m’empêche pas de défendre bec et ongles les projets à portée culturelle ou artistique.

Le Maroc, un pays qui est en train de construire son patrimoine, a besoin des deux pour assurer sa dynamique.

Le Cas’art a la particularité d’être un complexe culturel et non un simple théâtre ou opéra. Il jouera le rôle d’un lieu de rencontre des artistes. Une sorte d’institution autour du théâtre lui-même afin d’encadrer les générations futures.

Nos enfants reçoivent une éducation caduque, selon des systèmes dépassés qui n’intègrent pas la culture dans leur cursus. Cette faille ne peut être corrigée que grâce à des institutions comme le théâtre.

En effet, je crois fermement qu’un complexe culturel, ce sont des prisons en moins, des esprits libres à créer, des personnes passionnées à forger. Comment peut-on être contre?

 

Le déplacement de la fontaine a fait couler beaucoup d’encre. Pourquoi avoir soutenu cette idée?

Je suis l’architecte de ce projet que j’ai gagné sur concours. Et je tiens à préciser que le théâtre ne sera pas construit sur la fontaine mais en retrait. Ceci dit, je suis intimement convaincu que le patrimoine mobilier peut être déplacé si les particularités du projet le nécessitent. J’en ai fait la proposition au Conseil de la ville qui lui seul peut trancher.

A New York ou Montréal, des églises ont été déplacées pour des exigences urbanistiques.

Le vrai problème est la bataille des associations. Celles qui attaquent ma vision des choses n’ont qu’à classer la fontaine et là personne n’osera y apporter la moindre modification. Il ne suffit pas de parler dans le vide, mais être dans le concret.

J’irai même plus loin, pourquoi ne pas exiger la construction d’autres fontaines dans la ville? Les associations ont un pouvoir de proposition. Pourquoi ne l’exercent-elles pas et restent cantonnées dans de faux débats.

 

Vous êtes pour la réhabilitation des places. De quelle manière?

Dans les années 60, la place était devenue un point de rassemblement lors des mouvements de protestation. Pour disperser les foules, le gouverneur de l’époque a pensé à y construire une fontaine, puis un parking, puis d’y installer des grilles en fer… Par coup de magie, la place, source de problème pour les autorités,  a disparu.

La fontaine, une fois construite du côté du palais de Justice, sera une continuité de la place Mohamed V et du théâtre. Elle cédera la place à une autre fontaine, sèche, qui fonctionnera ou pas selon l’activité du théâtre. La beauté de la place ne sera pas altérée. Bien au contraire.

D’un autre côté, nous avons suggéré à la ville d’ouvrir les locaux mitoyens au CRI, pour en faire des lieux d’animation. Cela donnera une vie à la place au-delà des heures d’ouverture de l’administration et lui apporteront la sécurité  qui lui manque aujourd’hui. Le soir, cette place se transforme en no man’s land. Et personne n’en parle!

 

 

 

    Mouna Hachim:

«Le Conseil de la ville observe un mutisme suspect»

 

Vous êtes contre ce projet. Quels sont vos arguments?

Si je suis contre ce projet de grand théâtre, c’est pour un ensemble de raisons. Son côté mégalomaniaque, extrêmement coûteux, servant davantage de vitrine pour l’extérieur et pour une élite qu’aux besoins réels de la population en matière culturelle.

Il aurait été plus judicieux de réhabiliter ces innombrables petits théâtres fermés dans la ville pour des raisons obscures, ces complexes culturels aux activités et aux aspects moroses, ces salles de cinéma historiques qui tombent en ruine avant de se lancer dans des projets pharaoniques.

Cette architecture froide est une aberration et un barbarisme dans une place harmonieuse savamment conçue avec ses bâtiments historiques inscrits au bulletin officiel, d’autant que le projet se fait au détriment d’une fontaine emblématique pour les Casablancais, rasant également sur son passage des arbres centenaires et la villa Moulay Abderrahmane qui appartient au patrimoine de la ville. Pourquoi ne pas avoir prévu ce théâtre là où se trouvait l’ancien théâtre municipal démoli à titre d’exemple?

 

Que faites-vous concrètement pour que la fontaine ne soit pas détruite, voire déplacée? 

D’abord, le terme «déplacé» est un euphémisme, aucun génie de Sidna Suleimane ne viendra la porter par un prodige pour la déplacer sur l’autre rive. Donc, il s’agit bel et bien d’une destruction planifiée. Ensuite, le Conseil de la ville observe un mutisme et un flou suspects là où il doit communiquer avec les populations.

Donc, pour l’instant, il faut s’attendre au pire au vu des atteintes portées à la mémoire de Casablanca. Quant aux actions entreprises, nous avions créés il y a plus d’un an une page sur Facebook qui a joué un rôle non négligeable dans l’information et dont le contenu avait été relayé par les médias en son temps et par des associations alertées par la nouvelle, aboutissant à l’organisation sur place d’un ensemble de sit-in. Des pétitions en ligne et sur papier avaient également été recueillies et données au président d’une association qui devait les remettre aux autorités locales...

Avec la page Save Casablanca, d’autres actions sont amenées à voir incessamment le jour.

 

Garder cette fontaine telle quelle et au même endroit est-il plus important qu'un complexe culturel dans la vie des Casablancais

Nous ne sommes pas obligés de détruire pour pouvoir construire d’autant que cette fontaine ne constitue que la partie parking souterrain du théâtre qui est situé plus loin.

Alors quelle justification logique à cette destruction? Oui, il est important de garder à sa place cette fontaine qui figure sur des centaines de photos de famille, sur des dizaines de livres, de guides touristiques, de cartes-postales; de la réhabiliter; d’assurer la sécurité en ces lieux, ce qui est du ressort des responsables de la ville afin de ne pas tomber dans le travers de laisser pourrir pour mieux détruire.

Prenons exemple sur les Fontaines Magiques de Montjuïc à Barcelone, inaugurées en 1929  et qui lui ont servi de modèle, sans qu’aucun promoteur n’ait eu la lubie de les raser pour y placer on ne sait quoi ni pourquoi.

 

On vous reproche de ne pas être dans l'action, mais juste dans la parole. Que répondez-vous à ces remarques? 

On reproche aux gens de plume, aux écrivains, aux intellectuels de manière générale de ne pas s’engager dans la vie active et de vivre dans leur tour d’ivoire et quand ils font leurs les problèmes de la cité, voilà qu’on leur reproche d’être dans la parole.

Il faut savoir ce qu’on veut au juste, exiger de chacun d’assumer ses responsabilités propres, ne pas brimer la parole libre car c’est la plus grande des actions, désintéressée, non motivée par des ambitions politiques ou par des intérêts mercantiles.

De cette parole, découlent l’information, la sensibilisation, la dénonciation, le réveil des consciences endormies...propices à tous les changements.

 

En tant que membre du think tank Casablanca, que pensez-vous du plan d'urgence présenté dernièrement? 

Certains médias incluent dans ce plan d’urgence le projet de grand théâtre, ce qui serait totalement indécent si cela s’avère vrai, prenant en considération le manque d’infrastructures de base dans la ville dont la moitié des chaussées sont défoncées et les trottoirs en piteux état.

Le fait que je sois membre du think tank ne me donne d’autre fonction que d’amener des propositions concrètes dans le cadre du groupe de réflexion dans lequel je suis partie prenante, à savoir, «Casablanca ville d’histoire, de culture et de loisirs».

Nous ne faisons donc que proposer en espérant que la Ville disposera pour le mieux... 

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