Trois jours pour sauver la tomate marocaine

Derrière ce titre, se cache un sujet extrêmement sérieux. Les exportations marocaines de tomates pourraient bientôt s’effondrer, engendrant des répercussions sociales dramatiques en termes de pertes d’emplois. Entre 30% et 50% des exportations pourraient être pénalisées par une nouvelle mesure qui sera examinée lundi par le Conseil de l’Union Européenne.   

Trois jours pour sauver la tomate marocaine

Le 12 avril 2014 à 8h39

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

Derrière ce titre, se cache un sujet extrêmement sérieux. Les exportations marocaines de tomates pourraient bientôt s’effondrer, engendrant des répercussions sociales dramatiques en termes de pertes d’emplois. Entre 30% et 50% des exportations pourraient être pénalisées par une nouvelle mesure qui sera examinée lundi par le Conseil de l’Union Européenne.   

Les exportateurs marocains de fruits et légumes n’en reviennent pas, tout comme le gouvernement, qui a débattu de la question jeudi à Rabat. La raison: la Commission de l'agriculture et du développement rural au sein du Parlement européen a adopté le 7 avril l’acte délégué relatif à la nouvelle politique agricole commune (PAC) pour la période 2004-2020 qui comporte une modification du régime des prix d'accès au marché européen des produits importés par l'Union européenne de pays tiers, y compris du Maroc.

Le 14 avril, le Conseil de l'Union Européenne examinera ce dossier, au niveau de ses ministres de l’Agriculture. L’éventuelle adoption de cette mesure engendrerait à coup sûr des retombées catastrophiques sur les conditions d'accès des producteurs de fruits et légumes marocains aux marchés européens, au premier rang desquels figurent les producteurs de tomates. Ce changement des règles du jeu inattendu et unilatéral entraînerait ni plus ni moins un effondrement. Plusieurs dizaines de milliers d’emploi sont en jeu dans l’immédiat. Le secteur concerné emploie 300.000 personnes au Maroc.

Qu’est-ce qui change?

La modification concerne les règles de dédouanement. Les anciennes règles permettaient aux exportateurs de vendre en consignation, en passant par un transitaire qui pouvait dédouaner une marchandise et la vendre en consignation.

«Si elle est adoptée, la nouvelle mesure oblige l’exportateur à utiliser ce qu’on appelle la valeur forfaitaire à l’importation», explique Hassan Benabderrazik, consultant, expert en économie agricole et ancien SG du ministère de l'Agriculture.

Il ajoute que «cette modification implique que les tomates de grande qualité comme les tomates cerises, seront pénalisées de manière massive dès lors que la valeur forfaitaire à l’importation sera inférieure au prix d’entrée qui correspond au prix d’entrée minimale pour que l’union européenne accepte des tomates sur le marché européen.»

"Tous les produits agricoles ne peuvent à l'avenir être dédouanés à la frontière sur la base de leur prix réel de vente, mais seulement sur la base d'une valeur forfaitaire à l'importation (VFI) calculée par les services de l'UE", a précisé à la MAP Fouad Benabdeljalil,  de l'Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL), également membre de la Commission de suivi de la réforme du système des prix d'entrée.

Cette mesure va immédiatement toucher la tomate, entre 30% à 50% des exportations de tomates seront pénalisées par cette nouvelle règle, selon les estimations de Hassan Benabderrazik, qui précise que cette mesure touchera ensuite les exportations de courgettes avant d’affecter l’ensemble des fruits et légumes soumis au système des prix d’entrée des fruits et des légumes.

« Les zones fortement exportatrices vont voir leurs activités gelées, les crédits ne seront pas remboursés, le chômage va s’amplifier. Il y aura des conséquences sur les relations entre le Maroc et l’UE, car il est inadmissible de négocier des accords commerciaux et se retrouver en train de changer les règles du jeu. Cela va à l’encontre des pratiques internationales en vigueur», prévient-il.  

«Nos produits vont devoir payer plus de taxes d’entrée, ce qui nous fera perdre en compétitivité. Les exportations baisseront fortement, jusqu’à ce qu’elles se retirent complètement du marché européen», estime pour sa part Omar Mounir, vice-président de la Fédération interprofessionnelle marocaine pour la production et l'export des fruits et légumes. «Le plus frappant, c’est que plusieurs producteurs avaient investi suite à l’adoption de l’accord de libre échange. Les conséquences de cette mesure sont extrêmement graves», ajoute-t-il gravement.   

Pour protéger son marché intérieur, l'UE exige à ce que certains produits soient "vendus sur le marché européen à un prix élevé", a-t-il souligné, regrettant que "dans l'avenir, la douane européenne ne prendra plus en considération le véritable prix de vente", mais seulement une valeur que l'UE va lui dicter, rapporte la MAP.

"Il a estimé que cet acte est contraire à l'accord d'Association entre le Maroc et l'UE, aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et même à celles régissant la douane communautaire" selon la même source.

Le gouvernement s’inquiète

Le porte-parole du Gouvernement, Mustapha El Khalfi a déclaré que «le Maroc s'est engagé dans le processus d'intégration au marché européen selon une approche participative et de consultation, et que tout changement des règles encadrant cette relation serait contraire à l'esprit du partenariat économique entre les deux parties, et constitue un indice préoccupant sur cette relation.» 

Même son de cloche chez le ministre de l'Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch, qui a déclaré que «la modification du régime des prix d'accès des fruits et légumes marocains aux marchés européens est une démarche aussi étonnante qu'incompréhensible de la part d'un partenaire historique tel que l'Union Européenne».


«Il s’agit d’un retour en arrière sur des négociations qui ont mobilisé pendant une longue période les responsables marocains et européens», a-t-il ajouté.

Cette mesure décidée de manière unilatérale par l’UE «menace le secteur des fruits et légumes marocain, particulièrement celui de la tomate qui est conditionné par un système de commercialisation à l'export très contraignant. Celui-ci risque tout bonnement de s'effondrer», a prévenu le ministre.

«Nous n'osons même pas imaginer les conséquences sur une filière marocaine et sur des opérateurs qui avec un partenariat aussi important avec l'UE ont investi et cru en des débouchées sérieuses», a-t-conclu.

Dans la même journée, Abdelilah Benkirane a demandé à Rupert Joy, Chef de la délégation de l'UE à Rabat, de trouver rapidement des solutions concrètes pour préserver les acquis contractuels du Maroc et de maintenir le flux traditionnel des exportations marocaines des fruits et légumes sur le marché européen, conformément aux dispositions de l'Accord agricole. 

Un communiqué du Chef du gouvernement ajoute que « de ce nouveau mécanisme, décidée unilatéralement par l'UE, est en contradiction effective avec les engagements de l'Union au sein de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) car elle ignore totalement les dispositions pertinentes de l'Accord d'Association liant le Maroc à l'Union européenne».

Le communiqué rappelle que l'article 20 de l'Accord d'Association impose à la partie qui souhaite procéder à une modification de sa règlementation en matière de politique agricole, d'en informer, à l'avance, le Comité d'Association.

Une mesure qui se prépare depuis 4 ans

Après un large débat public, la Commission européenne avait présenté, en novembre 2010, un document qui décrivait les options possibles pour l'avenir de la PAC et lançait le débat avec les autres institutions et les parties intéressés.

En octobre 2011, la Commission avait présenté un ensemble de propositions législatives destinées à rendre la PAC selon elle, plus efficace. Le 26 juin 2013, les trois institutions de l'UE (le Parlement Européen, le Conseil et la Commission) étaient parvenues à un accord politique sur la réforme de la PAC.

Le 16 décembre 2013, le Conseil des ministres de l'Agriculture de l'UE avait formellement adopté les quatre règlements de base pour la réforme de la PAC ainsi que les règles de transition pour 2014. Ceci fait suite à l'approbation de ces règlements par le Parlement européen en novembre 2013. Le 20 décembre 2013, les quatre règlements de base et les règles de transition ont été publiés au Journal officiel.

La décision qui impacte le Maroc figure dans l’ article 181 (du règlement intitulé Les mesures du marché) qui stipule qu’ «aux fins de l'application des droits du tarif douanier commun pour les produits des secteurs des fruits et des légumes, des fruits et des légumes transformés et des moûts de raisins et jus de raisins, le prix d'entrée d'un lot est égal à sa valeur douanière calculée conformément au règlement (CEE)», du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire et à celui du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) du Conseil établissant le code des douanes communautaire.

L’article 181 stipule aussi qu’ «afin d'assurer l'efficacité du système, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l'article 227 afin de prévoir que la réalité du prix d'entrée déclaré d'un lot doit être vérifiée à l'aide d'une valeur forfaitaire à l'importation et de fixer les conditions dans lesquelles la constitution d'une garantie est requise». Troisième point: «la Commission adopte des actes d'exécution établissant des règles applicables au calcul de la valeur forfaitaire à l'importation visée au paragraphe 2. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 229, paragraphe 2».

S’il est adopté en l’état, l'article 181 est applicable à compter du 1er octobre 2014.

Les règlements de base de la réforme de la PAC sont visibles ici.

Loin des tomates, une affaire politique

José Bové, vice-président de la commission Agriculture et développement rural et membre de la commission Commerce international n’est pas étranger à cette mesure. L’altermondialiste à l’éternelle moustache s’est en effet longtemps opposé à l’accord de libre échange.

En novembre 2011, il avait déclaré que «la fiabilisation du système des prix d’entrée des fruits et des légumes pose problème. De nombreuses organisations de producteurs considèrent très préoccupant pour ce secteur le contournement du système des prix d’entrée à l’importation, en particulier pour la tomate fraîche. Ce dysfonctionnement permet aux opérateurs, par un recours abusif aux dispositions actuelles de la valeur en douane, de minorer le paiement des droits d’importation sur les fruits et légumes».

En janvier 2014, il avait estimé que l’accord entre le Maroc et l’UE bénéficiait essentiellement à trois grandes sociétés qui se retrouvent de fait en situation de monopole.

A en croire les revendications de José Bové, l’accord profite à ces société au détriment des petits producteurs et agriculteurs. Ce qui est loin d’être vrai puisque cette nouvelle mesure pénaliserait l’ensemble des exportateurs marocains. Est-ce une coïncidence que son adoption en commission intervient quelques semaines avant le début des élections du parlement européen ?  

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