Mahmoud Jibril, ex-premier ministre et leader de l’Alliance des forces nationales (AFN, séculier)  propose « un pacte de La Mecque ».  « Sans cela, a-t-il averti, la Libye va continuer de sombrer dans le chaos ».  L’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et les pays du sud de la Méditerranée ne pourront être stables sans une Libye stable.

Mahmoud Jibril s’est exprimé mercredi 12 novembre à Tanger devant un parterre de diplomates et de responsables économiques et politiques quelques heures après la décision de la cour suprême libyenne d’annuler les résultats des élections législatives de juin dernier remportées par son parti, l’AFN.

La décision de la cour suprême a naturellement été saluée par les amis libyens des Frères musulmans, le Parti de la justice et de la construction (PJC). Des manifestations de joie ont éclaté à Misrata, leur fief. Le leader du parti Al Watan proche du Qatar, Abdelhakim Belhaj, a également salué la décision de la cour suprême.

Discours et dîner à Tanger, bombes à Benghazi

Ce que l’audience à Tanger ne savait peut-être pas encore mercredi 12 novembre à 21 heures, mais que Mahmoud Jibril savait, c’est qu’au moment où il prenait la parole devant une assistance attablée, des bombes explosaient à Benghazi devant les ambassades d’Egypte et des Emirats arabes unis. A Tobrouk, le siège provisoire du parlement libyen était visé.

Egyptiens et Emiratis interviennent militairement en Libye depuis l’été dernier. L’Algérie et la France aussi parfois. Thème de l’intervention de Mahmoud Jibril à Tanger : « Quel ordre dans le chaos ? ». Cela ne s’invente pas.  Le pays s’enfonce dans une spirale meurtrière et chaotique depuis l’été 2011.

Mahmoud Jibril, qui réside actuellement à Dubaï après un passage par les Etats-Unis, a profité de la tribune de Tanger pour lancer un appel « à l’intervention du roi d’Arabie saoudite et aux membres du Conseil de coopération du Golfe pour réunir et réconcilier les Libyens ».

Par le passé, les Saoudiens sont intervenus dans les conflits libanais et israélo-palestinien, sans grand succès. Malgré leur puissance financière, mais à cause de leur fragilité politique, de leurs contradictions culturelles et géopolitiques, les Saoudiens sont en général « écoutés » en politique internationale, juste le temps que leurs interlocuteurs leur laissent pour signer un chèque.

Esprit de compromis et intérêt national

Dans le cas de la crise libyenne, l’effort au compromis entre Libyens peut s’avérer beaucoup plus important que les pétrodollars saoudiens ou une influence régionale saoudienne au final très réduite dans sa substance.

Outre le fait que sept véritables armées et une multitude de milices combattent en Libye aujourd’hui, le pays regorge d’armes en tous genres et sert de source de ravitaillement à des groupes armés égyptiens, tunisiens, algériens et maliens. La Libye et son Etat inexistant ont 4.000 km de frontières terrestres ouvertes sur le Sahara et le Sahel et plus 1.500 km de façade maritime.

Derna, dans l’est libyen, est le seul et premier territoire hors de la Syrie et de l’Irak qui a proclamé son allégeance à l’Etat islamique. La Libye compte une centaine de tribus et autant de chaînes de télévision privées pour une population totale inférieure à 6,5 millions d’habitants.

Mais tout n’est pas noir : les milices arrivent à s’entendre pour exporter du pétrole de l’est libyen et s’en partager les revenus, acquérir plus d’armes et mettre des dollars à l’abri à Chypre et à Malte.

Dans une récente étude publiée ce mois-ci par le Washington Institute, le chercheur Edward Engel se demande si « la Libye post-Kadhafi est vouée à devenir la Somalie de la Méditerranée ? » D’une trentaine de pages, ce texte analyse les causes, les conséquences et les options du futur pour la Libye.

Après avoir lancé son appel et parlé de la situation intérieure libyenne, Mahmoud Jibril a également eu quelques réflexions pertinentes sur le manque de perspectives politiques pour les sociétés et les jeunesses arabes.

Il a rappelé quelques faits simples : la jeunesse arabe, dans son immense majorité, est exclue du jeu politique en raison de l’absence de démocratie. Elle est aussi exclue du jeu économique à cause du chômage qui frappe la moitié des moins de 25 ans. « A côté de cela, ajoute M. Jibril, nous avons Internet, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies qui accroissent les attentes des jeunes qui se retrouvent devant des alternatives qui ne servent pas leurs intérêts et ceux des sociétés arabes : émigrer ou trafiquer de l’essence ou du lait en poudre, de la drogue ou des armes ; rejoindre un groupe extrémiste. »

« Mener des politiques de développement inclusives, développer un vrai concept de citoyenneté sont devenus nécessaires. Les citoyens sont en avance sur l’élite politique arabe » a tout simplement rappelé Mahmoud Jibril.