Législatives. Bilan Benkirane: le style, c’est l’homme

ANALYSE. En octobre prochain, le PJD achèvera son mandat à la tête du gouvernement. L’heure est donc au bilan. Que dire du bilan du PJD et de son chef Abdelilah Benkirane?

Législatives. Bilan Benkirane: le style, c’est l’homme

Le 18 juillet 2016 à 18h17

Modifié 18 juillet 2016 à 18h17

ANALYSE. En octobre prochain, le PJD achèvera son mandat à la tête du gouvernement. L’heure est donc au bilan. Que dire du bilan du PJD et de son chef Abdelilah Benkirane?

Pour être complet, un bilan ne doit pas porter uniquement sur le fond, mais aussi sur la forme.  Ce sera le sujet de cet article.

La forme est importante, car comme disent les juristes et les philosophes, le discours est performatif. En d’autres termes, la parole de Benkirane ou de tout autre responsable politique, sa forme, son contenu, son vocabulaire, ses postures, installent une habitude et deviennent des “vérités“, créent de nouvelles normes.

Que dire du style Benkirane?

Au premier abord, il tranche totalement avec ce que le Maroc a connu par le passé.

S’il n’était pas chef de gouvernement, on dirait que Benkirane est un personnage sympathique. On pense à sa gouaille, ses blagues, ses confidences, sa maîtrise instinctive du storytelling et des méthodes de communication et de marketing.

Mais Benkirane est chef de gouvernement. A-t-il pris toute la mesure de cette fonction? Est-il habité par la fonction ou plutôt par la politique? A-t-il un comportement d’homme d’Etat, de haut commis de l’Etat ou de chef de parti?

“Sa Majesté m’a dit…“

Voici quelques conclusions personnelles, après avoir étudié de nombreux discours et sorties médiatiques du chef du gouvernement et échangé avec une partie de l’élite économique et intellectuelle.

*Chez le chef du PJD, les frontières entre la casquette partisane et la casquette gouvernementale ne sont pas étanches. Dans le même discours, il est tantôt chef de gouvernement, tantôt chef de parti.

*Il a recours à l’humour, mais les plaisanteries ne rassasient pas les affamés, n’habillent pas ceux qui en ont besoin et ne peuvent remplacer une vision stratégique. Or, c’est de planification et de stratégie que le Maroc a besoin.

Malgré la conjoncture économique favorable, les échecs sont réels, par exemple dans la lutte contre le chômage ou dans l’essoufflement du modèle économique. Le Maroc vit une absence de vision. Le débat politique, l’absence d’imagination, la difficulté à planifier et anticiper, tout cela est médiocre.

*Dans ses discours, Benkirane a recours à quatre leviers: la religion et la piété [qui ne sont pas le monopole du PJD]; la démocratie [le PJD aurait la légitimité populaire et ses adversaires auraient des visées hégémoniques]; le social [en particulier les couches populaires et le monde rural] et enfin sa relation supposée avec le Roi et l’institution monarchique.

On sait que tout discours qui fait référence au Roi est mobilisateur et captivant. Benkirane en use. Ou en abuse. Il est rare qu’il prononce un discours sans aller sur ce registre.

Dans une vidéo qui date d’avril 2016 (ci-dessous, à 1'35), il explique que le PJD se prépare aux élections pour soutenir le Roi. Il n’a aucune raison de le faire. Le Chef de l’Etat se trouve à équidistance de tous les partis. Le PJD n’est pas le parti du Roi. Aucun autre leader ne tient des propos similaires.

(Sélection vidéo: Mehdi Jaouhari. Montage: Lamiaa Akira)

On l’a entendu dire ou suggérer:

*qu’il est dans les bonnes grâces du Roi,

*“Sa Majesté est mon chef direct“ [ce n’est pas une faveur, c’est prévu par la Constitution].

*“Sa Majesté m’a réveillé à 6h00 du matin… Sa Majesté m’a dit, j’ai dit à Sa Majesté, j’ai plaisanté avec Sa Majesté,…j’ai parlé de ma mère avec Sa Majesté; j’ai demandé l’intervention de Sa Majesté…“ etc…

La manière dont les choses sont dites suggère au moins une complicité et une bienveillance particulières de la part du Monarque. La symbolique de la monarchie, puissante chez les Marocains, est utilisée au profit de l’image du PJD et de son chef.

A l’approche de chaque échéance électorale, la référence au Chef de l’Etat se fait plus fréquente et dépasse à chaque fois une nouvelle limite. C’est une séquence devenue habituelle, un rendez-vous, une rubrique. Le sujet est banalisé.

Il dira par exemple “Sidna meziane“ (le Roi est un homme bien), mais il est mal entouré.

Il suggère que le Roi aime bien le PJD. Il évoque le Roi comme un sujet parmi d’autres, entre une plaisanterie et une attaque contre ses adversaires politiques. Toute sa posture suggère qu’il a une relation privilégiée avec le Souverain. Il en parle parfois sur le ton de la confidence, de la révélation, de l’air de dire “je ne suis pas n’importe qui, voici ce que Sa Majesté me dit“.

L’institution monarchique est banalisée. La distance est abolie. On se croit parfois dans un bavardage de café de commerce et pas dans une relation entre un Chef d’Etat et un chef de gouvernement. On imaginerait mal un Valls parler ainsi de ses relations avec Hollande, ni un Rajoy de ses échanges avec le Roi d’Espagne.

On est dans une situation inédite au Maroc. Jamais Driss Jettou ou Abderrahmane Youssoufi n’ont émaillé leurs déclarations en citant leurs échanges avec le Roi. Ni aucun autre Premier ministre avant eux.

Selon nos informations, Abdelilah Benkirane est le chef de gouvernement qui a le moins de contacts avec le Roi Mohammed VI. Il est rarement reçu en tête-à-tête. Depuis un certain temps, il est uniquement reçu dans le cadre de réunions élargies. Et une partie du contenu de ces réunions est parfois fuitée par le chef du gouvernement dans ses rencontres privées ou dans des discussions publiques. Des bribes peuvent se retrouver étalées dans les journaux.

Au final, Benkirane n’a pas su prendre la mesure de la fonction. La notion de l’Etat chez lui est plus évoluée que chez d’autres islamistes, mais elle reste en retard par rapport aux exigences d’un Etat moderne où la discrétion doit être la règle, avec un respect total de toutes les institutions, des frontières entre elles. Et surtout une attitude où l’homme doit s’effacer devant la fonction.

Au final, au terme de son mandat, on peut dire que Benkirane n’a pas su endosser le costume de l’homme d’Etat et est resté prisonnier d’une culture partisane qui, dans les milieux islamistes, a une dimension sectaire.

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