Iben Mansour: “L'immobilier arrive en fin de cycle, les politiques s'en désintéressent”

A quelques jours de la fin de son deuxième mandat à la tête de la fédération nationale de la promotion immobilière, Youssef Iben Mansour a accordé à Medias24 un entretien dans lequel il confie ses regrets, partage son analyse du secteur et revient sur les principaux faits ayant marqué l'immobilier durant ces dernières années. 

Iben Mansour: “L'immobilier arrive en fin de cycle, les politiques s'en désintéressent”

Le 23 janvier 2017 à 17h37

Modifié 11 avril 2021 à 2h39

A quelques jours de la fin de son deuxième mandat à la tête de la fédération nationale de la promotion immobilière, Youssef Iben Mansour a accordé à Medias24 un entretien dans lequel il confie ses regrets, partage son analyse du secteur et revient sur les principaux faits ayant marqué l'immobilier durant ces dernières années. 

Médias24: Comment s’est porté le secteur durant l’année passée?

Youssef Iben Mansour: Les derniers chiffres dont nous disposons concernent le 1er trimestre 2016. Ils marquent une baisse importante en glissement annuel que ce soit en termes de mises en chantier, de production, de crédits aussi bien pour les investisseurs que pour les acquéreurs, de consommation des matériaux de construction,…

Les mises en chantier ont par exemple baissé de 9% au premier trimestre. La production a, quant à elle, régressé de 13%. Le volume actuel des nouveaux projets représente moins de 2/3 de ceux lancés il y a 3 ans...

Seule la production de logements sociaux n’a pas connu de baisse, car les opérateurs doivent honorer leurs engagements même en cas de mévente.

-Quels sont les segments qui ont accusé les plus fortes baisses?

-C’est le segment des classes moyennes qui a le plus pâti de la mauvaise conjoncture à cause notamment des restrictions dans la distribution de crédits.

-Quelle est la définition de la classe moyenne dans le domaine de l’immobilier?

-De prime abord, je peux dire que la définition du HCP n’est pas en phase avec la réalité de la catégorisation des classes au Maroc.

La catégorie des ménages qui gagnent entre 6.000 et 8.000 DH est une clientèle du logement intermédiaire, sinon du social, mais en aucun cas du logement dit pour la classe moyenne.  

Pour ce dernier, il faut que le ménage dispose d’une capacité d’endettement située entre 4.000 et 5.000DH et donc d’un revenu d’au moins 8.000-9.000DH.

-Les professionnels parlent d'une fin de cycle dans le secteur. Partagez-vous cet avis?

-Effectivement, le secteur est en fin de cycle. Ce dernier a démarré au milieu des années 2000 et s’est accentué début 2010 avec la loi de Finances qui a créé un cadre fiscal plus favorable, notamment au profit du logement social. Ce cycle a duré 7-8 ans, une période durant laquelle tous les indicateurs étaient au vert permettant notamment la mise en place d’une industrie en amont tirée par la locomotive de l’immobilier.

Le secteur a connu ses heures de gloire pendant quelques années, grâce notamment à des politiques publiques qui ont mis en place un modèle favorable à l’émergence d’un véritable secteur de la production de logement et d’une industrie de l’habitat.

D’année en année, la production de logement a augmenté, des capitaux importants ont été mobilisés, une catégorie d’entrepreneurs de taille importante est née, l’industrie des matériaux de construction a pris de l’importance, les métiers de la mise en œuvre (architectes, topographes,…) se sont développés.

Entre 40.000 et 60.000 emplois ont été créés annuellement faisant de l’immobilier un secteur économique vital.

Cette croissance s’est paradoxalement accompagnée de dysfonctionnements depuis 2-3 ans.

Les critiques émanant de la demande pointaient du doigt le non-respect des délais de livraison, la cherté des prix, l’impossibilité pour les classes moyennes de se loger, les niveaux relativement bas des prestations de service…

Du côté de l’offre, les grandes structures ont commencé à avoir des difficultés liées au surendettement, les mettant dans une situation de fragilité.

-Faites-vous référence à Alliances?

-Il y a certes les opérateurs cotés en bourse, mais il y a aussi des opérateurs de taille un peu moins importante qui se sont lancés dans des projets qui n’ont pas abouti.

Tout l’écosystème a été impacté par ce retournement de situation.

On était, il y a quelques années, sous le règne de la production. Aujourd’hui, le marché est plus sous le règne de la demande. Chacun essaie de se démarquer pour écouler sa production en passant par des baisses de prix, y compris à Casablanca.

Pour les promoteurs immobilier, l’érosion des marges a démarré sans savoir à quel moment elle va s’arrêter. Les inquiétudes portent sur le futur proche: ce secteur va-t-il retrouver sa vigueur ou subit-il une régulation de la part des pouvoirs publics?

-D’où vous vient ce sentiment?

-De l’attitude de certains décideurs. Nous avons présenté des doléances qui n’ont pas du tout été prises en compte.

Dans le cadre du PLF 2017, nous avions demandé que la TVA sur les intérêts de crédits, instituée il y a deux ou trois ans, soit supprimée, surtout dans le logement social. Nous avons demandé une réforme de la fiscalité locale, des mesures pour le locatif, étendre le statut de logement principal à deux logements pour les personnes qui sont amenées à changer de ville pour des raisons professionnelles. Aucune de nos doléances n’a été prise en compte. 

Il y a également l’attitude des banquiers qui ont levé le pied après avoir accompagné le secteur fortement.

Sur le plan législatif, plusieurs lois ont vu le jour récemment sans qu’elles aient fait l’objet d’études d’impact au préalable. Je fais référence à la loi réglementant le notariat, à la loi n° 66-12 sur les infractions et qui fait déjà peur…  

Au niveau de la fiscalité, il y a eu le passage de 20% à 30% de TPI pour les terrains, les taxes sur les terrains non bâtis,…, sans étude d’impact au préalable, au récent renchérissement des droits des mutations immobilières

L’Etat pense-t-il que le modèle qu’il a mis en place par le passé doit changer? Ce modèle a vu le jour au moment où le Maroc avait besoin de construire un maximum de logements pour combler le déficit qui se creusait d’année en année. Ce déficit ayant été absorbé en grande partie, il est possible que certains décideurs pensent qu’il n’a plus de raison d’exister et font preuve de désintéressement du secteur.

Sans parler de la présence d’Al Omrane qui est un concurrent déloyal au secteur privé.

-Mais Al Omrane existe depuis longtemps, et avant lui, il y avait les Eracs….

-Le champ d’action de cet holding s’est beaucoup élargi avec le temps. Il est aménageur développeur, lotisseur, est en charge du recasement des bidonvillois, intervient dans la restructuration du logement non réglementaire, produit ou fait produire du logement pour classe moyenne, celui à 140.000DH, et même des villas,…  Tout cela en bénéficiant d’importants privilèges pour l’accès à la réserve foncière.

En distribuant des lots de terrains dans le cadre du recasement des bidonvillois, une partie de la demande échappe au secteur privé agissant notamment dans le logement social.

-L’immobilier n’étant plus ce qu’il était, continue-t-il à attirer des investisseurs de tout bord?

-La mauvaise conjoncture n’a pas eu que du mauvais. Il n’y a de place que pour les investisseurs qui ont une optique industrielle de l’activité.

-Que pour les grands vous voulez dire?

-Pas que les grands, mais les opérateurs organisés qui ont une bonne gouvernance, une gestion irréprochable et de bonnes capacités d’analyse du marché. Cela peut être une PME capable de construire 200 logements de qualité exceptionnelle.

-Le règlement général de la construction n'a pas été bien appliqué sur le terrain. A qui la faute?

-La séparation entre l’Habitat et l’Urbanisme n’a pas permis de faire avancer beaucoup de chantiers dont le règlement général de la construction. Il a été préparé par le ministère de l’Habitat et la FNPI et il devait tout naturellement être mis en œuvre par ce département. Or, au moment de son application, l’Habitat n’avait plus la main sur ce secteur. J’espère que les choses s’arrangeront avec le prochain gouvernement.

-Concernant la Vefa, où en est le décret d’application sur la garantie de fin de travaux?

-Le décret n’est pas encore sorti car il suppose d’abord qu’il y ait une réforme du droit foncier pour permettre la progressivité du transfert de la propriété et la préparation des banquiers.   

La réflexion a déjà démarré au niveau de la conservation foncière en collaboration avec le ministère de l’Habitat.

En l’absence de ce texte, la loi sur la Vefa reste boîteuse. C’est lui qui lui permettra de fonctionner parfaitement, car, en cas de défaillance du promoteur, la banque pourra prendre le relais et terminer les travaux.

Ceci dit, le cadre existant est bien équilibré entre promoteurs et acquéreurs. Les responsabilités de chacun sont précisées. Leurs droits également. 

-Votre deuxième mandat arrive à terme dans quelques jours. Quels sont les sujets que vous n’avez pas pu mener à bout?

-La réglementation des métiers m’a toujours tenu à cœur, mais je n’ai pas eu le temps de lancer ce grand chantier. La professionnalisation de la promotion immobilière passe essentiellement par celle des prestataires. Ces derniers doivent être agréés pour pouvoir ouvrir une entreprise de plomberie, d’électricité ou, par exemple, de maçonnerie, et soumissionner aux marchés. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les corps de métier doivent être mieux encadrés car le rendu final d’un bien immobilier dépend de leur niveau de qualification et de rigueur. 

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