L’Etat a-t-il perdu 2 milliards de DH dans l'opération Marsa Maroc?

La valorisation initiale de l’entreprise publique Marsa Maroc avant son introduction en bourse est au centre d’une polémique. Le député FGD Omar Balafrej a adressé une question dans ce sens au ministre de l'Economie et des Finances Mohamed Boussaid et il estime le manque à gagner pour l'Etat à hauteur de 2 milliards de DH. Round up.

L’Etat a-t-il perdu 2 milliards de DH dans l'opération Marsa Maroc?

Le 7 février 2017 à 18h20

Modifié 11 avril 2021 à 2h39

La valorisation initiale de l’entreprise publique Marsa Maroc avant son introduction en bourse est au centre d’une polémique. Le député FGD Omar Balafrej a adressé une question dans ce sens au ministre de l'Economie et des Finances Mohamed Boussaid et il estime le manque à gagner pour l'Etat à hauteur de 2 milliards de DH. Round up.

Le 30 janvier dernier, Omar Balafrej, député de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) a adressé une question écrite au ministre de l'Economie et des Finances, Mohamed Boussaid. Publiée sur son blog, la question du nouveau parlementaire concerne la dernière opération de privatisation de l’Etat marocain, en l’occurrence l’entreprise Marsa Maroc.

L’Etat avait en effet cédé en juillet dernier 40% du capital de l’entreprise, soit 29,3 millions d’actions qui ont été émises sur le marché boursier. Le prix d’introduction a été fixé à 65 dirhams et l’opération avait rapporté à l’Etat un peu plus de 1,9 milliard de DH. Six mois après, la valeur a plus que doublé et s’échange en ce début du mois de février autour de 135 dirhams.

Envolée "suspecte"

Une envolée qui a suscité les soupçons du député Omar Balafrej, et de son entourage. "Ce sont des citoyens qui travaillent dans la finance qui nous ont mis sur cette piste. La hausse de 100% en si peu de temps n’est pas anodine, d’autant plus que c’est un secteur très classique", suspecte l’élu de la FGD. Avant d’expliquer que "le comportement boursier de Marsa Maroc est inhabituel. Ce genre de performance est observé dans le cas des entreprises innovantes comme Google ou celles qui lui ressemblent".

Dans sa question adressée à Mohamed Boussaid, le député de la FGD l’interpelle sur la valorisation initiale de la société. "Les éléments actuels renvoient vers une mauvaise valorisation initiale de l’entreprise, ou bien il y a eu un problème par rapport aux éléments fournis pour l’élaboration du business plan", accuse Balafrej.

Conséquence de cette situation: un manque à gagner pour les caisses de l’Etat qui est évalué à hauteur de 2 milliards de DH, selon une simple opération arithmétique. "C’est un très gros montant que nous aurions pu mettre ailleurs, ça nous permettrait de construire des écoles par exemple", suggère le député.

Du côté du ministère de l’Economie et des Finances, on réfute toutes manœuvres visant à "brader" les 40% de l‘entreprise publique. Une source autorisée au sein du département ministériel a expliqué à Médias24 la procédure de privatisation, dans l’objectif de lever le doute. "La procédure est très claire. Nous préparons un schéma de transfert, et nous procédons à l’évaluation de l’entreprise, avec nos partenaires, sur des bases scientifiques et financières avant de lancer l’introduction", explique notre source du département de Boussaid.

La même source ajoute: "l'Etat n'a pas perdu 2 milliards de DH. Au contraire: les petits porteurs ont gagné 2 MMDH et l'Etat a valorisé la part qu'il détient dans Marsa MAroc. Tout el monde est gagnant". Et d'enfoncer le clou: "Il n'y a pas de questions au gouvernement tant qu'il s'agit de gestion des affaires courantes. Alors, poser une question sur les réseaux sociaux alors que le gouvernement ne peut pas y répondre, ce n'est pas logique".

La méthode DCF retenue


C’est la direction des établissements publics et de la privatisation au ministère de l’Economie et des Finances qui a chapeauté toute la procédure de privatisation, en partenariat avec les conseillés choisis pour cette opération. Mais avant d’aller affronter le marché, le dossier Marsa Maroc devait passer par deux entités au sein du département ministériel. Il s’agit de l’organisme d’évaluation et de l’organisme de transfert.

"Pour rappel, l’organisme d’évaluation est présidé par le Wali de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri, et d’autres éminentes personnalités du monde de la finance. Cette entité a accepté la valorisation que nous lui avons présentée, lance notre interlocuteur au ministère des Finances avec l’objectif d’accorder plus de crédit à la procédure.

La valorisation préparée par Attijari Finance Corp (AFC), filiale d’Attijariwafa Bank s’est basée sur une méthode adoptée dans toutes les IPO ou presque. "Nos conseillers ont fait leur travail conformément aux pratiques utilisées dans le monde entier, et nous avons confiance dans leurs compétences", se défend notre source ministérielle.

Dans le détail, la méthode des multiples boursiers et la méthode des transactions comparables n’ont pas été retenues pour des raisons techniques. C’est donc la fameuse méthode d’actualisation des flux de trésorerie futurs, connue sous le nom de Discounted Cash Flow ou DCF, qui est retenue.

La méthode DCF est communément reconnue comme étant la méthode d’évaluation fondamentale des sociétés. La méthode d’actualisation des flux de trésorerie futurs est la méthode qui a été privilégiée pour valoriser Marsa Maroc, pouvait-on lire sur la note d’information de l’introduction. La valorisation, basée donc intégralement sur le DCF a fait ressortir un prix de l’action à 68,5 DH. Et finalement, le prix qui a été convenu était de 65 DH, soit une décote de 5%.

Convaincre les instituts

Sauf que le député de la FGD ne semble pas convaincu des informations communiquées sur cette note. "La valorisation a été effectuée sur la base des éléments fournis par Marsa Maroc comme le business plan et les prévisions de croissance", argumente-t-il.

Du côté du spécialiste de l’exploitation des ports, on prône la véracité des éléments et la bonne foi. "Nous avons préparé le business plan quelques mois avant la publication de la note d’information. Nous avons présenté une image sincère de notre entreprise, et nous avons fourni en notre âme et conscience des éléments que nous avons jugés bons et que nous estimions réalisables au moment de l’élaboration du document", se défend une source autorisée chez Marsa Maroc.

D’ailleurs, pour tâter le terrain et voir à quel point la note d’information et le business plan sont attrayants, le département de Mohamed Boussaid avait organisé un road show. L’objectif était de convaincre les investisseurs institutionnels d'entrer dans le tour de table de Marsa Maroc. "C’est aussi pour mettre les petits porteurs en confiance et pour accorder au tour de table de Marsa Maroc une stabilisation temporelle", précise un analyste financier.

Le projet a été présenté à presque tous les investisseurs institutionnels. "Ça nous a aussi permis de jauger l’attractivité de la valeur et d’évaluer son potentiel", nous raconte notre source. Le 4 juillet, soit quelques jours avant l’introduction, un pacte d’actionnaires est signé entre Mohamed Boussaid et la CMR, la RCAR et Wafa Assurance. Les trois investisseurs ont acheté chacun 3,33% du capital contre un siège au conseil de surveillance qu’ils vont garder pour une durée de 15 ans.

La CIMR pas convaincue

Si ces trois institutionnels ont été convaincu, le département de Boussaid n’a pas réussi à en séduire d’autres. C’est le cas de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR). "Nous avons trouvé que la valeur Marsa Maroc était légèrement surévaluée, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas adhéré au projet", rembobine Khalid Cheddadi, président directeur général de la CIMR, dans une déclaration à Médias24.

Cela dit, notre interlocuteur précise qu’après avoir étudié le dossier Marsa Maroc, les équipes de la CIMR en sont sortis avec un avis favorable. "Nous avons trouvé que c’est une société très solide et bien gérée. Sauf que dans l’évaluation, nous avons estimé que la prise en compte des risques et des opportunités étaient un peu déséquilibrée. Autrement dit, nous avons relevé qu’ils étaient un peu optimistes sur les opportunités, mais en face, ils n’avaient pas tenu suffisamment compte des risques", argumente-t-il, sachant que le prix qui lui a été proposé était de 71,5 DH.

Autrement dit, la CIMR a estimé que Marsa Maroc n’a pas assez pris en compte la possibilité qu’un concurrent puisse lui poser problème et la gêner dans son développement commercial. "Ceci étant, nous étions intéressés pour entrer dans le noyau dur, sauf que les conditions étaient un peu sévères à notre sens", explique le PDG de la CIMR.

Le séjour en bourse

Après cette étape, Marsa Maroc a entamé son aventure sur le marché casablancais le 19 juillet dernier. "L'IPO de Marsa Maroc a été souscrite 6,3 fois et nous avons remarqué un fort engouement dès les premiers jours. La demande était bien plus importante que ce que nous avions vu pour les introductions précédentes comme Taqa", précise notre analyste. Si l’Etat a mis sur le marché l’équivalent de 1,9 milliard de DH en actions, la demande a dépassé les 12 milliards avant l’introduction. "C’est la raison pour laquelle durant les trois premiers jours, la valeur a pris 20%. Il y avait de la demande", argumente-t-il.

L’arrivée de Marsa Maroc à la Bourse de Casablanca était applaudie par tout le monde. Le marché était depuis des années dans une situation de morosité et en attente de papier frais. "L’entreprise publique proposait des agrégats financiers très solides et affichait une gestion exemplaire. Elle était une belle opportunité pour nous", nous explique un petit porteur.

Du côté des analystes, on nous explique que l'essor d’un titre peut être expliqué par plusieurs éléments, et la sous-évaluation initiale en fait partie en effet. Dans le cas de Marsa Maroc, il y a eu une première communication financière assez encourageante et très attrayante.

Durant la première partie de l’année, le trafic des conteneurs traités par Marsa Maroc a progressé de 20 %, et il y a eu aussi une forte hausse de l’importation des céréales avec la sècheresse que le Maroc a connue malheureusement. "Ces deux éléments ont donné lieu à des résultats qui dépassaient les prévisions et qu’on ne pouvait pas prévoir le jour de l’élaboration du business plan", décortique notre source chez Marsa Maroc.

Dans tous les cas, les investisseurs ont très bien accueilli les résultats de l’entreprise pour qu’une tendance à la hausse à la bourse se déclenche. "La valeur a connu une période très calme où son cours a stagné, avec les résultats, il y a eu la reprise du cours", se rappelle un analyste.

Une flambée globale

D’un autre côté, il y a aussi le dividende attrayant que propose l’entreprise publique. "Nous avions annoncé 3,5 DH sur la note d’information et le PLF 2017 a revu à la hausse ce montant pour qu’il atteigne environ 7 DH", rappelle notre source chez Marsa Maroc. Sachant que les investisseurs cherchent une rentabilité et sont friands des valeurs rémunératrices, le cours en bourse a repris sa hausse en novembre.

Mais le titre Marsa Maroc n’était pas le seul qui a flambé en fin d’année dernière, c’est le marché dans sa globalité qui a connu un regain de confiance qui s’est soldé par une performance exceptionnelle du MASI qui a dépassé 30%. "Quand nous faisons une lecture des fondamentaux, nous n’arrivons pas à très bien comprendre ce qui motive ces hausses, mais les investisseurs en profitent", avoue notre analyste.

La fin d’année a aussi été synonyme d’arrivée massive de liquidités sur le marché actions, car les taux obligataires avaient baissé et le marché obligataire est devenu moins rémunérateur.

Pour Omar Balafrej, les hausses spectaculaires que nous avons pu observer ces derniers temps à la Bourse de Casablanca sont à nuancer. "Généralement, ce sont des entreprises qui étaient en difficulté. Elles ont réussi à s’en sortir et présentent de belles perspectives", nous explique-t-il.

Avant de conclure, le député rappelle que "le ministre est obligé de me répondre, par écrit avec un délai légal de 20 jours à partir du moment où le président du Parlement lui transfère la question. Je vais relancer si jamais il n’y a pas de réponse".

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