Un mouvement de boycott atypique contre des marques de grande consommation au Maroc

Depuis vendredi 20 avril, des appels au boycott ont pris de l'ampleur sur les réseaux sociaux. Ils visent trois secteurs et trois marques leaders: Sidi Ali, Afriquia et Danone. Petit tour d'horizon d'un phénomène atypique au Maroc.

Un mouvement de boycott atypique contre des marques de grande consommation au Maroc

Le 24 avril 2018 à 19h26

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Depuis vendredi 20 avril, des appels au boycott ont pris de l'ampleur sur les réseaux sociaux. Ils visent trois secteurs et trois marques leaders: Sidi Ali, Afriquia et Danone. Petit tour d'horizon d'un phénomène atypique au Maroc.

L’appel au boycott de marques n’est pas vraiment nouveau au Maroc. Mais cette fois-ci, il a pris plus d’ampleur que les actions passées, qui étaient restées confidentielles. Ce nouveau boycott est porté par le réseau Facebook. Il présente des caractéristiques qui en font un phénomène atypique et pour le moment inclassable.

L’appel est parti vendredi 20 avril, de deux pages Facebook, presque concomitamment. Le premier hashtag était #laisse_le_cailler (en langue arabe). La première cible a été le lait, puis plus précisément Centrale Danone. Le mouvement a gagné une petite visibilité au cours du week-end et a été élargi à Afriquia et Sidi Ali comme cibles. Des chaînes tv étrangères en langue arabe l'ont annoncé.

Ce mardi 24 avril, de nombreuses autres marques sont citées, d’une manière chaotique. Produits lactés de toutes marques, café, thé, huile de table…

La FGD de son côté, publie des comparatifs de prix Maroc-Espagne, pour plusieurs produits.

 

L’objectif du boycott souhaité n’est pas précisé et, quand il l'est, il peut changer d'une page FB à une autre. On y trouve de tout: les marques en question seraient les symboles d’un libéralisme économique sauvage, du gain effréné, de la voracité capitaliste. On leur prête de récentes hausses des prix, ce qui est faux ou pas démontré.

Les relais les plus virulents de cet appel au boycott sont des pages “activistes“ ou engagées. C’est là que l’on trouve le maximum de partages, qui peuvent être très nombreux.

Les fausses informations, destinées à faire croire à une réussite implacable du boycott, sont tout aussi nombreuses. On partage de faux posts de “Jaouda“ (Copag), annonçant une baisse des prix pour “satisfaire les revendications du hirak populaire“. Une information inventée.

Un journal annonce, vidéo à l’appui, qu’Afriquia est en train de changer ses enseignes en une marque nouvelle “Moov Oil“, pour se soustarire au boycott…  En fait, il s’agit d’une vieille information, Moov étant un réseau low cost en milieu rural, composé à terme d’une trentaine de stations, lancé effectivement par Afriquia. Mais il ne s’agit pas d’un changement d’appellation provoqué par le boycott.

Des vidéos montrent le prix du carburant à Melillia ou Sebta (0,94 euro/litre) alors qu’il s’agit de produits détaxés.

Autre fausse information: l’eau minérale coûterait deux à trois fois moins cher en Europe qu’au Maroc. C’est faux. Les exemples donnés sont ceux de packs d’eau minérale en promotion ou en entrée de gamme. La fourchette communément admise est située entre 0,3 et 1 euro pour un litre, contre 5 à 6 DH au Maroc pour une bouteille de 1,5 l, selon la marque.

Des personnes affirment être contre le boycott et interviennent dans le débat, sur les pages Facebook, pour soulever des contradictions. Leurs arguments sont les suivants:

-“ces produits attaqués sont tous les trois marocains et emploient des milliers de Marocains.

-“Danone emploie 5.000 Marocains et il est à la fois pionnier et exemplaire dans le domaine de l’agrégation. Ses contrats d’achat de lait auprès des éleveurs marocains apportent des ressources à 400.000 personnes au minimum en milieu rural.

-“Le groupe Akwa emploie directement 12.000 salariés. L’attaquer, c’est faire le jeu d’autres enseignes connues et qui sont plus chères. Afriquia est une enseigne marocaine.

-“Dans 10 DH de prix d’un litre de carburant, 4,50 DH vont à l’Etat (taxe intérieure de consommation) et 4,50 DH à l’achat de la matière première. Le reste va dans le transport, les assurances, le stockage, les salaires. Même si on supprime les marges, la baisse de prix du carburant serait minime ou insignifiante. Afriquia dispose du réseau le plus large au Maroc. Son réseau a pesé sur les prix pour les contenir à un niveau bas, comme le montrent les relevés de prix (cliquer par exemple ici, ici ou ici).“

Les auteurs de tels commentaires sont parfois violemment pris à partie, surtout dans les pages “activistes“ où ils sont qualifiés de “traîtres“ et désignés à la vindicte générale. Les appels au boycott ciblent également les médias, accusés de connivence avec les grandes marques.

Ces différentes réactions anti-boycott, factuelles, voire rationnelles, ne sont pas toujours audibles, car en face il y a de l’émotion.

Mais une émotion qui se base sur quoi? Là réside toute la question.

Dans le monde, une action collective appelée boycott

Les appels au boycott, en tant qu’action collective, se banalisent, ou en tous les cas, se multiplient dans le monde grâce aux réseaux sociaux.

Au plus près de nous, il y a eu la Tunisie au cours des derniers mois, avec des appels à boycotter les poissonniers, et le hashtag #laisse_le_pourrir (en arabe). Il est vrai que le pays souffre d’une transition économique interminable après la révolution et d’une dépréciation de la monnaie nationale (-20% face à l’euro en une année). Ce mouvement de boycott, très largement relayé sur Facebook, a échoué.

Quelques semaines plus tard, un phénomène similaire a été constaté en Algérie avec le mouvement #laisse_la_rouiller. Cible: les voitures neuves.

Le phénomène du boycott remonte en fait à bien avant les réseaux sociaux. Ceux-ci l’ont amplifié, lui ont donné une grande résonance.

Les appels au boycott partent généralement d’un fait:

-une raison politique: les boycotts de Gandhi contre la colonisation, de Martin Luther King contre le racisme... Il y a eu également en Europe des mouvements célèbres de boycott d’un opérateur économique sud-africain du temps de l’apartheid.

-des raisons éthiques, écologiques, sociales: en 2001, Danone malgré son positionnement social très puissant, a subi en France un boycott provoqué par des licenciements et des fermetures d’usines malgré les bénéfices réalisés.

Des marques peuvent être boycottées ou stigmatisées pour le comportement d’un DRH ou d’un DG, une action anti-écologique (par exemple une pollution), un acte raciste.

D’autres l’ont été parce qu’elles ont fait fabriquer leurs produits par des enfants ou par des personnes qu’elles ont fait travailler dans des conditions inhumaines.

En France, depuis 2016, le groupe laitier Lactalis est accusé de ne pas réserver aux éleveurs le traitement économique et social qu'ils méritent.

Dans tous ces cas, la raison du boycott étaient clairement indiquée. Les réponses varient cependant d’une entreprise à l’autre. Celles de Lactalis ont été jugées arrogantes. Celles de Danone, en 2001 et 2002 en France avaient été jugées insuffisantes et finalement la célèbre marque a su s’adapter.

Dans des cas comme ceux-là, les raisons sont claires et concrètes: pollution, comportement social, problème éthique, travail des enfants. Ce que l’on demande à l’entreprise concernée, c’est de changer son comportement pour se conformer aux standards sociaux. La réponse est évidente: bien recueillir toutes les données et cerner les reproches ; bien communiquer en interne ; bien réagir et, s’il le faut, reconnaître ses torts et opérer des correctifs.

Dans ce genre de cas, la communauté agit comme un contrôleur ultime et elle demande des comptes lorsqu’elle estime les lignes rouges dépassées. Toute société, a fortiori une marque connue, doit avoir un comportement socialement et éthiquement acceptable et responsable.

Dans le cas marocain, le schéma est atypique. Les appels sont anonymes et diffus. Les relais, les marques de soutien sont multifactoriels. Les entreprises visées sont leaders chacune dans son domaine. Elles sont le symbole d’un secteur ou d'une réussite. Ces secteurs ne sont pas les seuls concernés. Un homme politique a proposé que les prochaines cibles soient les télécoms et l'huile.

On leur reproche une supposée voracité mais d’autres rétorquent que les bénéfices d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

Ici, la perception est plus forte que les faits. On est davantage dans la post-vérité que dans la vérité. Cette dernière n’a pas d’importance. S’agit-il d’un acte politique, d’une sorte de glissement du pouvoir politique vers le pouvoir du consommateur? S’agit-il d’une réaction contre le gouvernement accusé de collusion, d’impuissance ou de complicité indirecte avec ces capitalistes? S’agit-il d’une manipulation, locale ou étrangère, à des fins politiques? S'agit-il d'une forme de grogne sociale? S'agit-il d'une prise de position diffuse contre le libéralisme? contre le modèle de développement et la répartition des richesses? S'agit-il d'une protestation contre la détérioration du niveau de vie? Peut-être un peu de tout.

Chacun aura son explication. En attendant d’y voir plus clair dans les prochains jours. Contactées par nos soins, deux des trois marques concernées nient tout impact sur leurs ventes. Pour le moment, il nous a été impossible de vérifier ces déclarations.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

REIM Partners: Publication de la valeur liquidative exceptionnelle de l’OPCI « SYHATI IMMO SPI » au 15 mars 2024

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.