Mohamed Karim Lamrani, le businessman devenu homme de confiance de Hassan II

Il est difficile de résumer 99 ans de la vie d’un homme qui, en plus d'avoir occupé plusieurs fois la fonction de Premier ministre, a été le patron emblématique de la première grande entreprise publique, l'OCP, pendant près de 20 ans. La vie de Mohamed Karim Lamrani est un condensé d'une partie de l'histoire du Maroc avant et après l'indépendance et un résumé de l'histoire du capitalisme marocain. Il est décédé ce 19 septembre 2018. 

Mohamed Karim Lamrani, le businessman devenu homme de confiance de Hassan II

Le 20 septembre 2018 à 14h49

Modifié 20 septembre 2018 à 14h49

Il est difficile de résumer 99 ans de la vie d’un homme qui, en plus d'avoir occupé plusieurs fois la fonction de Premier ministre, a été le patron emblématique de la première grande entreprise publique, l'OCP, pendant près de 20 ans. La vie de Mohamed Karim Lamrani est un condensé d'une partie de l'histoire du Maroc avant et après l'indépendance et un résumé de l'histoire du capitalisme marocain. Il est décédé ce 19 septembre 2018. 

Mohamed Karim Lamrani n’est plus. La nouvelle est tombée tôt ce matin du 20 septembre plongeant dans la tristesse les milieux politiques et des affaires.

Le décès de Mohamed Karim Lamrani prolonge la liste de ces figures emblématiques du capitalisme marocain qui nous quittent l’un après l’autre, tournant ainsi une page dense de l’histoire du Maroc de l’après-indépendance.

Prétendre dresser un portrait complet d’un tel homme, c’est comme vouloir consigner un pan de l’histoire marocaine en quelques paragraphes. Il est difficile de résumer 99 ans de la vie d’un homme qui a occupé plusieurs fois la fonction de Premier ministre, et a été le patron emblématique de la première grande entreprise publique, l'OCP, pendant près de 20 ans. 

"Il m’est difficile de vous parler de lui comme ça. Toute ma vie, je n’ai connu qu’un seul patron et c’était lui. C’est un homme hors du commun", nous déclare d'une voix tremblante un des anciens directeurs de l'OCP ayant officié sous sa direction.

Mais avant d’être l’un des hommes puissants du règne de Hassan II et celui qui a marqué l’histoire du groupe OCP, Mohamed Karim Lamrani a d’abord été un redoutable homme d'affaires.

Self made man

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le puissant Mohamed Karim Lamrani n'est pas né dans une famille ostentatoirement riche en ayant un chemin tout tracé dans la vie. Il est né à Fès en 1919 dans un Maroc colonisé et qui se bat pour son indépendance notamment dans la région du Rif où Français et Espagnols mènent une guerre contre Abdelkrim Khattabi et ses camarades. 

Dans sa ville natale, le jeune Mohamed est plus enclin au business qu'aux études. Et dès son jeune âge, il préfère le commerce aux bancs de l'école. Son oncle qui l'a élevé, décide de lui ouvrir une boutique dans les ruelles de Boujloud pour vendre des postes radio, juste après la fin de son collège rapporte Telquel qui lui a consacré un dossier en 2014.

Comme tous les self-made-men, Mohamed Karim Lamrani va faire évoluer son business au gré des opportunités et des rencontres. Il quittera son Fès natal et s'installera à Casablanca, capitale incontestée du business. A l'indépendance du Maroc, le jeune Karim a 37 ans et continue de faire ses affaires loin de la politique. 

OCP, sa porte d’entrée dans les milieux du pouvoir

Homme d’affaires prospère et redoutable, ayant été forgé à l’école de la vie surtout en côtoyant les Français, Mohamed Karim Lamrani va aller encore plus loin. Son poids économique lui permet d’être en relation avec les grands du pays.

Dans ce Maroc de l’après-indépendance, le ministre de l’Economie nationale, Abderrahim Bouabid (1956-1960), cherche des jeunes marocains capable de reprendre la gestion des principaux pans de l’économie des mains des Français. Le nom de Mohamed Karim Lamrani lui est soufflé pour intégrer OCP. C’est ainsi que celui qui deviendra par la suite plusieurs fois Premier ministre, intègrera la plus importante entreprise du pays avec pour objectif de la faire évoluer.

Il est d’abord secrétaire général pendant le mandat de Jacques André Bondon, qui sera d’ailleurs le dernier directeur général français de OCP. Ce dernier sera remplacé par M’hamed Zghari en tant que DG et Mohamed Karim Lamrani conserve son poste de SG qui était entre temps devenu l’homme fort de l’entreprise marocaine.

Karim Lamrani gérera les affaires de OCP, dans l’ombre, jusqu’en 1967 où il est nommé directeur général. Un poste qu’il occupera jusqu’en 1990.

"C’est un fonceur, un développeur. OCP lui doit beaucoup", nous explique, Mourad Chérif, ex-DG d'OCP et ex-ministre dans un des gouvernements dirigés par Lamrani. Ce dernier nous dépeint le portrait d’un homme charismatique, chaleureux "qui savait mettre à l’aise ses interlocuteurs". "Vous savez, j’ai connu la première fois si Lamrani alors que j’avais 24 ans et je sortais à peine de l’école des mines de Paris. Il venait à la rencontre des jeunes diplômés marocains, je trouvais cela très beau", ajoute-t-il.

Selon notre interlocuteur, c’est Mohamed Karim Lamrani qui a démarré la stratégie de valorisation de la roche de phosphate en investissant dans une unité industrielle à Jorf Lasfar. "Il a porté ce projet contre vents et marées. OCP lui doit beaucoup", assure cet ex-patron de l’entreprise nationale qui n’a pas hésité à demander conseil à Lamrani quand lui-même a été nommé la première fois à la tête d'OCP. "Son conseil a été subtil. Il m’a dit qu’il fallait aller de l’avant et foncer", se remémore Mourad Chérif.

Homme de confiance de Hassan II

Lamrani a gagné ses galons en dirigeant OCP, la plus stratégique entreprise publique du pays. Il n’est pas étonnant que cela lui ouvre les portes du gouvernement notamment dans des périodes où Hassan II avait besoin d’hommes de confiance dans des périodes de transition.

C’est ainsi qu’il sera nommé Premier ministre la première fois en août 1971, juste après le putsch avorté de Skhirat, survenu en juillet de la même année. Il dirigera le gouvernement pendant un an et un peu plus de trois mois avant de laisser la place à Ahmed Osman.

Il sera encore appelé à diriger le gouvernement de 1983 à 1986 et de 1992 à 1994. Et en tant que Premier ministre, Mohamed Karim Lamrani a fait preuve de pragmatisme, nous rapporte un des ministres ayant fait partie de son gouvernement. "Ce qui m’a marqué le plus, c’est qu’il était jovial et travaillait dans la décontraction mais en même temps très efficace", témoigne Mohamed Hassad qui a été son ministre des Travaux publics, de la Formation professionnelle et de la Formation des cadres.

Un avis que partage cet autre ex-ministre l’ayant côtoyé. "Il se plait à créer un climat de détente et de confiance en plaisantant … lors de toute réunion dans l’approche de tout sujet épineux … et au cours de la période de l’ajustement structurel les sujets épineux ne manquaient pas", témoigne Mohamed Berrada, ancien ministre des Finances, ancien DG d'OCP. "Il savait faire travailler ses collaborateurs dans la mesure où il arrivait toujours au bureau premier et partait le dernier", ajoute-t-il.

De son expérience de ministre, Mourad Chérif garde de son Premier ministre, l’image d’un bosseur infatigable. "Avec lui, on savait quand le conseil du gouvernement commençait mais jamais quand il allait se terminer", nous raconte-t-il.

Sur son pragmatisme, Hassad nous rapporte que le patron d’un établissement public au bord de la cessation de paiement demandait conseil à Lamrani. Ce dernier lui dit: "Ne fais pas l’erreur d’arrêter de payer tout le monde. Négocie avec tes plus gros créanciers des délais supplémentaires, et paie plus rapidement si possible tes petites factures car ce sont celles-ci, qui, si elles ne sont pas payées, risquent de te faire une mauvaise publicité".

Et d’ajouter, "il était très proche de feu Hassan II qui lui faisait confiance. Quand une question nécessitait un avis royal, il arrivait à l’obtenir rapidement".

"Ce qui est prévu demain, je le fais aujourd’hui… j’ai horreur du suspens", disait-il nous rapporte un de ses proches. Pour ce dernier, Lamrani avait le sens de l’ordre et ne laissait traîner aucun dossier sur son bureau quand il rentrait chez lui.

Le business dans le sang

Si Mohamed Karim Lamrani est connu pour sa carrière d’homme d’Etat puissant, il n’en est pas moins resté un homme d’affaires qui a su gérer à la fois le développement de son business et les affaires du pays.

Il a toujours été discret en ce qui concerne son empire dont la partie la plus connue reste le groupe Safari, dirigé depuis plusieurs années par sa fille Saida Karim Lamrani qui a été initiée à la gestion des affaires familiales, jeune, quand lui était occupé par ses différentes responsabilités gouvernementales.

D’ailleurs, beaucoup voient en lui un homme visionnaire pour avoir poussé sa fille aux devants dans une société où la femme n’avait pas encore sa place dans le business.

En plus de Safari, l’empire Lamrani compte aussi d’autres entreprises comme Magrex, Sofacal, Somafco, Conorma.

Mohamed Karim Lamrani est parti à l’âge de 99 ans, et avec lui se tourne une page de l’histoire du Maroc.

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