Hôtel La Mamounia : Mais pourquoi privatiser un des joyaux du Maroc?

Le palace emblématique de Marrakech est sur la liste des entreprises publiques que le gouvernement propose de privatiser en 2019. Si on ne connaît pas encore le pourcentage du capital proposé aux investisseurs ni les modalités de la cession, la vente de ce monument, même partielle, interroge sur la pertinence d’un choix pouvant ouvrir, à terme, la porte à la liquidation d'autres biens à l’identité nationale marquée. Commentaires et prises de position.

Hôtel La Mamounia : Mais pourquoi privatiser un des joyaux du Maroc?

Le 12 novembre 2018 à 17h26

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

Le palace emblématique de Marrakech est sur la liste des entreprises publiques que le gouvernement propose de privatiser en 2019. Si on ne connaît pas encore le pourcentage du capital proposé aux investisseurs ni les modalités de la cession, la vente de ce monument, même partielle, interroge sur la pertinence d’un choix pouvant ouvrir, à terme, la porte à la liquidation d'autres biens à l’identité nationale marquée. Commentaires et prises de position.

Que faut-il penser de la privatisation d’un palace, mondialement connu, aux côtés d’une centrale électrique au motif purement comptable de renflouer le budget de l'Etat?

Peut-on tout vendre alors que la santé financière de « La Mamounia », qui se remet de ses déficits passés, ne pèse pas sur le budget de l’Etat contrairement à beaucoup d'autres entreprises?

Cet établissement classé 5 étoiles mais hors catégorie, participe activement à l’image mythique de la ville ocre. Il convient donc de s’interroger sur le bien-fondé du choix de vendre un monument que certains, sous le coup d'émotion, n'hésitent pas à comparer à la tour Eiffel voire, au château de Versailles. 

Difficile de répondre à cette question clivante qui a divisé nos interlocuteurs, partagés entre enthousiasme pour une décision « inéluctable » et rejet pour cause d’impossibilité d’évaluer ce bien "inestimable". S'il est difficile de l'estimer, ses comptes ne semblent pas permettre d'espérer plus de 1 à 2 MMDH pour une cession totale.

Précisons que la majorité des professionnels du tourisme ont préféré répondre de manière anonyme afin de ne pas s’aliéner leur ministre de tutelle ou pour ne pas heurter les susceptibilités.

Ainsi, selon un observateur ayant attentivement suivi le processus de privatisation des entreprises publiques, initié en 1993 par le défunt Hassan II, le choix de La Mamounia est incompréhensible.

« La prochaine privatisation sera celle de la Ménara »

« Pourquoi le gouvernement a ciblé cet établissement en particulier ? Cette question est d’autant plus essentielle qu’il va être très compliqué de déterminer sa valeur immatérielle qui est incalculable.

« Cet hôtel chargé d’histoire appartient à la mémoire collective. Il est fondateur du mythe de Marrakech. Des touristes y viennent pour visiter La Mamounia même s’ils n’ont pas les moyens d’y loger. Indissociable de l’image de Marrakech et du Maroc, c’est un élément constitutif de leur identité.

« Sa valeur symbolique devrait donc dépasser toutes les offres financières. Si on est dans une logique purement financière, on sera dans l'obligation d'accepter le plus disant même s'il n'est pas marocain. Ce monument tombera-t-il entre des mains étrangères ?

« Certains mettent en avant, et à raison, un nécessaire développement de son activité commerciale.

« Si on considère que l’Etat, via l’actionnaire principal ONCF, est incapable de le faire, pourquoi ne pas créer une société anonyme pour valoriser et développer son chiffre d’affaires comme ce qui a été fait en Espagne avec d’anciens palais transformés en chaine de grand luxe Parador.

« Sachant que le Maroc veut renforcer sa position dans le tourisme de luxe et haut-de-gamme, il peut le faire grâce à sa gastronomie, ses monuments, son architecture … dont l'une des vitrines est incontestablement La Mamounia.

« La mauvaise gestion étatique n’est pas une fatalité sachant que celle exemplaire de l’OCP prouve qu’une entreprise publique peut profiter à la nation.

« A contrario, on sait que la privatisation de Maroc Télécom a été une erreur car si on tient compte du manque à gagner (dividendes non versés), il s'agissait d'une mauvaise affaire financière pour l'Etat.  », résume notre interlocuteur qui pense que cette privatisation ouvre théoriquement la porte à celle de la Ménara ou de Volubilis.

Même son de cloche pour un grand opérateur touristique de la ville ocre qui parle de grand gâchis et de bradage d’un bijou de famille qui a largement contribué à édifier l’image touristique du Maroc.

Ce palace deviendra-t-il une Mamounia-Four Seasons ou une Mamounia-Hyatt ?

« Comment peut-on vendre un tel palace alors que de tels édifices se comptent sur les doigts d’une main dans notre pays et qu'il est fort probable qu'il se retrouve entre les mains d’un fonds d’investissement du Moyen-Orient ?

« Il ne s’agit pas d’être protectionniste, mais il serait vraiment stupide de le céder à des étrangers qui vont le banaliser alors qu’il est unique en Afrique, grâce à une histoire extraordinaire : Rappelons que Winston Churchill peignait dans les jardins de La Mamounia et tque ous les grands de ce monde y sont descendus.

« Les investisseurs du Moyen-Orient ont racheté la plupart des palaces de la planète et le résultat n’est pas toujours fameux.

« Un des plus prestigieux au monde à savoir le Dorchester de Londres a été acquis par le sultan de Brunei qui en a fait une chaîne internationale.

« On ne peut pas capitaliser sur un bâtiment historique comme la Mamounia ou le Dorchester et créer des structures éponymes.

« Est-il raisonnable de voir demain essaimer des nouveaux 5 étoiles affublés du nom Hyatt-Mamounia ou Mamounia-Four Seasons  ? », s’interroge notre source qui préfère rester anonyme.

« La démarche serait compréhensible si cet établissement avait besoin de grands travaux pour ressusciter. Ce n’est assurément pas le cas, car La Mamounia devient rentable après une rénovation qui a duré quatre années. De plus, en termes financiers, après un déficit de 190 MDH en 2009, l’hôtel est en train de voir le bout du tunnel (résultat net déficitaire contenu à 3 MDH en 2016).

« Cela veut dire que les futurs investisseurs n’auront rien d’autre à faire que d’encaisser leurs dividendes qui deviendront exponentiels après amortissement des frais de rénovation », conclut notre interlocuteur qui juge préférable une augmentation de capital par un groupe marocain.

Une liste de privatisables fourre-tout ?

Tout aussi scandalisé, un autre professionnel natif de Marrakech qualifie d'absurde la décision gouvernementale sachant qu'elle ne se justifie pas par un sauvetage de l’établissement.

« J’ai été extrêmement surpris de voir son nom accolé à celui d’une centrale électrique sur la liste des entreprises publiques à privatiser. Elle donne l’impression d’être un fourre-tout qui ne prend pas en considération la valeur de ce lieu unique.

« On ne vend pas une affaire qui marche. La Mamounia est un pavillon du Maroc qui fait vendre et contribue à attirer des millions de touristes étrangers », s’indigne notre source qui trouve que le gouvernement touche à une marque sacrée qui n’est en rien comparable aux enseignes internationales, aussi prestigieuses soient-elles.

Installé également à Marrakech, l’architecte Amine Kabbaj se veut plus positif sur la portée d’une privatisation qui lui permettra d’être rénové régulièrement et de coller aux attentes de sa clientèle future.

« Privatisable oui, mais avec un vrai cahier des charges »

« A mon sens, l’Etat doit se désengager de certaines entreprises qu'il n'a pas qualité à gérer. Il faut cependant être prudent car la part immatérielle de cet hôtel est incalculable. En le vendant, c'est également une part importante de Marrakech et du Maroc qui sera vendue.

« Le plus important est le respect du cahier des charges soumis au repreneur. Son choix sera donc déterminant pour ne pas rééditer l’exemple de gestion catastrophique de la SAMIR privatisée.

« Afin d’éviter un tel scénario, le cahier des charges devra imposer un comité d’éthique et d’esthétique qui exclura, par exemple, les extensions pouvant défigurer ou dénaturer l’établissement », suggère celui préside également la Biennale de Marrakech.

« Même privatisée, la Mamounia ne bougera pas de Marrakech »

Beaucoup plus enthousiaste, le président du CRT (conseil, régional du tourisme) de la ville ocre, Hamid Bentahar n’émet quant à lui, aucune réserve sur cette privatisation qu’il juge opportune si elle permet de développer l'activité commerciale du palace.

« La Mamounia est un des joyaux de notre hôtellerie mais même s’il est géré par des capitaux étrangers, l’hôtel ne bougera pas du Maroc.

« L’avantage de notre métier est qu’il n’y a pas de délocalisation possible que ce soit en termes géographiques ou de ressources humaines. Je soutiens donc pleinement cette initiative qui peut booster son activité et faire en sorte qu’il reste à son niveau », affirme celui qui est également PDG du groupe Accor.

Ci-après, la situation comptable de la Mamounia en 2016

Président conseil d’administration et PDG : Mohamed Rabie Khlie. Didier Becou : DG

Total bilan : 730 MDH

Foncier et constructions: 340 MDH

Capital social: 620 MDH.

Capitaux propres : 155 MDH (à cause des reports à nouveau déficitaires).

Fonds commercial : 190 MDH.

Crédit bancaire à long terme : 455 MDH.

Chiffre d’affaires: 350 MDH. Pic en 2014 : 424 MDH.

Résultat net : -3 MDH. Le déficit a été fortement résorbé de façon graduelle depuis 2010 où il s’élevait à -190 MDH.

En conclusion

Cet article fait mine de s'interroger: "pourquoi privatiser La Mamounia?".

Cette privatisation est proposée dans le cadre du budget 2019. Autrement dit, son objectif est de couvrir une partie du déficit budgétaire en tenant compte du fait que les dépenses sociales de l'Etat sont désormais plus élevées.

L'objectif est donc financier.

Une privatisation au plus offrant -et quel que soit le cahier des charges- sera basée sur le prix de cession qui sera offert par le futur investisseur. Ce dernier n'est pas un mécène. Son objectif est la rentabilité. L'hôtel n'est pas rentable ou si peu. AU mieux, et à la louche, en tenant compte du capital immatérial, de la puissance de cette marque, l'Etat peut espérer 1 à 2 milliards de DH. Ce montant ne peut en aucun cas justifier de céder ce joyau.

Le projet de loi proposant de privatiser le palace mythique a été adopté en conseil de gouvernement. Il doit maintenant faire l'aller-retour entre la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. Les députés ont le pouvoir de biffer La Mamounia et de placer d'autres actifs non stratégiques de l'Etat à la place. Il y en beaucoup. Par sa valeur symbolique, La Mamounia doit entrer dans la liste des actifs stratégiques de l'Etat et ne pas faire l'objet de cession.

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