Les ingénieurs s’opposent à la reconnaissance des écoles privées

Selon l’Union nationale des ingénieurs marocains, le ministère de l’éducation s’apprête à accorder la reconnaissance à plusieurs écoles supérieures privées. Elle a adressé une lettre au chef du gouvernement pour s’y opposer. Pour l’UNIM, c’est une tentative de privatiser l’enseignement qui risque d’affecter le statut de l’ingénieur.

Les ingénieurs s’opposent à la reconnaissance des écoles privées

Le 14 juin 2019 à 15h55

Modifié 11 avril 2021 à 2h42

Selon l’Union nationale des ingénieurs marocains, le ministère de l’éducation s’apprête à accorder la reconnaissance à plusieurs écoles supérieures privées. Elle a adressé une lettre au chef du gouvernement pour s’y opposer. Pour l’UNIM, c’est une tentative de privatiser l’enseignement qui risque d’affecter le statut de l’ingénieur.

Après les enseignants des Académies et les étudiants en médecine, un nouveau bras de fer risque d’opposer le ministère de l’éducation nationale… cette fois-ci aux ingénieurs.

Ces derniers accusent le gouvernement de vouloir « privatiser » l’enseignement de l’ingénierie en accordant la reconnaissance de l’Etat à des écoles privées « qui se soucient de leur seul profit » pour réduire la pression sur les établissements publics de formation.

La reconnaissance de l'Etat, c'est quoi ?

Pour rappel, en 2016, le ministère de l’enseignement supérieur a ouvert la voie aux écoles privées pour décrocher la reconnaissance de l’Etat.

Sur l’échelle de la conformité des établissements privés, il y a d’abord l’autorisation d’ouverture qui prouve que le minimum requis pour assurer une formation est respecté ; l’accréditation des filières qui signifie que les programmes de formation sont homologués par l’Etat ; puis la reconnaissance par l’Etat.

Celle-ci est une sorte de label de qualité qui assure que l’enseignement assuré par un établissement supérieur privé est du même niveau que celui dispensé dans une école publique. Elle valorise les diplômes qui deviennent équivalents à ceux délivrés par l’Etat, ce qui est recherché sur le marché de l’emploi.

Surtout, la reconnaissance signifie que les lauréats peuvent participer aux concours d’accès à la fonction publique, poursuivre leurs études supérieures dans les universités publiques ou encore accéder à des métiers réglementés (architectes…).

La reconnaissance de 18 écoles et universités est attendue

Jusqu’à aujourd’hui, seuls dix établissements ont obtenu la reconnaissance de l’Etat, principalement les universités privées : l’Université internationale de Rabat (UIR) en 2016, l’Université internationale de Casablanca (UIC), l’Université Mohammed VI des Sciences de la Santé, l’Université Privée de Marrakech, Universiapolis (Agadir) et l’Université internationale Abulcasis des Sciences de la Santé (Rabat) en 2017, et enfin l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès (UEMF) en 2018.

Quelques écoles ont été également reconnues lors de cette première vague : l’Ecole Supérieure d’Architecture de Casablanca (EAC), ESCA Ecole de Management et l’Ecole Centrale de Casablanca (ECC).

18 autres établissements attendent la validation de leurs dossiers par le SGG, dont de nouvelles universités privées (UM6 Polytechnique de Benguérir, l’Université privée de Fès, Mundiapolis) mais surtout plusieurs écoles dispensant des formations d’ingénieurs : EMSI, IGA, ESTEM, ISGA, EMG-Rabat…

Voici la liste des établissements reconnus et ceux en cours.

Un courrier adressé au chef du gouvernement

Selon l’Union nationale des ingénieurs marocains, créée en 1971 pour défendre les intérêts de ces profils et comptant entre 5.000 et 6.000 adhérents, le gouvernement s’apprête à publier les décrets de reconnaissance de ces établissements, ce qui est loin de la satisfaire.

Elle a adressé une lettre au chef du gouvernement (voir fac-similé ci-dessous), dans laquelle son président affirme avoir appris que le ministère de l’éducation lui a adressé un projet de décret accordant l’équivalence du diplôme d’ingénieur délivré par certains établissements de l’enseignement supérieur ».

(NB : les projets de décrets sont chez le SGG et non chez le chef du gouvernement, selon le département de l’enseignement supérieur. Et il s’agit de reconnaissance des établissements privés et non d’équivalence des diplômes, cette dernière procédure étant réservées aux diplômes étrangers).

L’UNIM considère cette décision de « précédent dangereux », et « refuse catégoriquement ce projet qui menace l’avenir de l’enseignement d’ingénierie » dans une conjoncture nationale et internationale particulière.

Elle estime que cet enseignement doit être assuré principalement par les établissements publics, les écoles privées ayant comme principal objectif la réalisation de profits au détriment de la qualité et de la valeur de l’ingénieur et de l’ingénierie marocaine.

La réponse du ministère de l'enseignement supérieur

Contacté par Médias24, Mohamed Tahiri, directeur de l’enseignement supérieur au ministère, explique que la liste publiée des établissements reconnus et ceux en cours, qui date de septembre 2018, est à jour. Autrement dit, que les projets de décrets pour la reconnaissance des 18 établissements sont toujours en cours de validation chez le SGG.

Le directeur ne cache pas sa surprise de voir l’UNIM protester maintenant contre la reconnaissance des établissements privés, prévue par loi 01-00 sur l’enseignement supérieur qui date de l’année 2000 et dont les textes d’application remontent à 2014-2015. Il trouve la coïncidence avec le mouvement de boycott des examens par les étudiants en médecine suspecte.

Il s’étonne d’ailleurs de l’absence de réaction de cet organe de représentation lors de la reconnaissance de la première vague d’établissements privés en 2016-2017 parmi lesquels certains forment également des ingénieurs.

"Non aux écoles ouvertes dans des appartements d'immeubles d'habitation"

Abderrahim Handouf, président de l’UNIM, précise que la reconnaissance d’établissements réputés, dont le but n’est pas à 100% lucratif et fondés par des acteurs au statut particuliers (type OCP) n’est pas ce qui pose vraiment problème. Il conteste la reconnaissance des écoles « qui ouvrent dans des appartements, font appel à des vacataires, distribuent les bonnes notes et délivrent des diplôment estampillés « ingénieur » sans se soucier de la qualification de leurs lauréats ».

Mohamed Tahiri réfute cette allégation. « Nous n’accordons pas la reconnaissance à des écoles qui ouvrent dans des appartements. Ce sont des écoles qui disposent de leurs propres immeubles aménagés pour dispenser des cours dans un environnement convenable. De plus, nous exigeons qu’elles ne dépassent pas un délai pour déménager dans des campus ».

Un cahier des charges déjà en place

Le directeur rappelle que l’octroi de la reconnaissance est encadré par la loi et obéit un processus strict avec un cahier des charges à respecter, un examen des dossiers par une commission…

Voici la procédure de reconnaissance des établissements privés.

Voici le cahier des charges.

Entre autres conditions pour l’obtention de la reconnaissance :

-          Avoir au moins 300 étudiants (1.000 pour les universités privées)

-          Toutes les filières d’enseignement doivent être accréditées

-          Les équipements, l’encadrement, les programmes de formation et les activités de recherche doivent respecter le cahier des charges.

-          Au moins 60% du corps enseignant doit être permanent dont 50% doivent avoir un doctorat ou son équivalent.

-          Avoir au moins 1 enseignant par 20 étudiants pour les écoles scientifiques, techniques ou des sciences de l’ingénieur.

-          Avoir au moins 1 encadrant administratif par 100 étudiants.

Les dossiers de demande de la reconnaissance sont étudiés d’abord par le ministère, ensuite par une commission d’experts composée d’un président d’université publique et de deux membres d’une université ou une école publique, puis par une commission élargie comprenant les membres de la commission d’experts et des représentants de l’Administration. Une visite de terrain est organisée.

Une fois accordée, la reconnaissance reste valable pendant 5 ans. Elle est renouvelée sur présentation d’un nouveau dossier.

"Obligation des classes prépa pour l'égalité des chances"

Pour le président de l’UNIM, un cahier des charges plus strict doit être imposé. Voici ses propositions :

-          Les établissements privés doivent disposer d’infrastructures au moins égales à celles des écoles publiques (laboratoires, amphithéâtres, salles de sport, espaces verts, internat…) et non de simples appartements dans des immeubles d’habitation.

-          L’accès à ces établissements doit être conditionné par le passage du Concours national commun d’accès aux écoles d’ingénieurs, c’est-à-dire après des classes préparatoires.

-          Ces établissements doivent réserver une partie des places aux étudiants brillants en situation économique difficile.

-          Disposer d’un corps enseignant permanent et dont le niveau de compétence est égal à celui des enseignants dans les écoles publiques.

-          Les programmes de formation doivent être contrôlés de façon continue par une commission publique.

Manque d'ingénieurs

Bref, un nouveau bras de fer risque d’avoir lieu, surtout que les élèves ingénieurs, déjà très solidaires avec les étudiants en médecine, peuvent s’approprier le dossier.

Ceci à un moment où le Maroc manque cruellement d’ingénieurs. Il n’en forme pas assez et de plus en plus de profils quittent le pays à la recherche d’une meilleure vie personnelle et professionnelle. Or il en a grandement besoin pour construire le pays, transformer son économie.

Il n’existe pas de chiffres officiels et exhaustifs sur le nombre d’ingénieurs au Maroc. Selon l’UNIM, près de 15.000 ingénieurs travaillent dans le secteur public. « Aucune donnée n’existe sur le nombre d’ingénieurs qui s’active dans le secteur privé », précise Abderrahim Handouf.

Toujours selon lui, les écoles publiques produisent environ 5.000 ingénieurs par an, les établissements privés quelques 2.500. Le président de l’UNIM craint un renversement pour bientôt.

Rappelons qu’au début des années 2000, le Maroc ambitionnait de former 10.000 profils d’ingénieur par an…

La formation d’un ingénieur coûte cher : jusqu’à 4 fois le coût d’un profil universitaire classique. Vu les contraintes budgétaires de l’Etat, une participation du secteur privé à l’effort de formation ne serait pas de refus, mais à condition que les exigences en matière de qualité soient respectées.

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