Banalisation inquiétante de la violence sur les réseaux sociaux

Avec la multiplication des smartphones et la démocratisation des réseaux sociaux, le partage et le visionnage de scènes de brutalité voire d’extrême-cruauté se sont multipliés au Maroc. Ce phénomène n'est pas sans impact sur la société. Voici l'avis du sociologue Ahmed Al Motamassik.

Banalisation inquiétante de la violence sur les réseaux sociaux

Le 22 juillet 2019 à 16h30

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

Avec la multiplication des smartphones et la démocratisation des réseaux sociaux, le partage et le visionnage de scènes de brutalité voire d’extrême-cruauté se sont multipliés au Maroc. Ce phénomène n'est pas sans impact sur la société. Voici l'avis du sociologue Ahmed Al Motamassik.

Que faut-il penser du partage croissant de vidéos comme celle de la triste affaire "Hanane" où la violence la plus immonde s’expose sans tabou à la vue de tous y compris des plus jeunes, devenus friands d’images morbides qu'ils se partagent sans scrupule aucun ?

Un phénomène mondial

Si les atrocités humaines n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour exister, il n’empêche que ces derniers leur ont donné une visibilité incroyable sachant que dans le passé ces actes n’étaient visibles qu’au cinéma. La question de l’impact sociétal devient donc essentielle.

Sollicité par Médias24 sur cette banalisation croissante de la violence au Maroc, Ahmed El Motamassik a d’abord tenu à préciser que ce phénomène touchait tous les pays de la planète pour peu qu’ils soient connectés.

"Autrefois, ce phénomène était cantonné à certains films ou contenus télévisés qui proposaient des images très violentes avec ou sans effets spéciaux. Mais qu'elles soient fictives ou réelles, les spectateurs finissaient souvent par s’habituer à la violence véhiculée.

"Ainsi, la diffusion d’images de Palestiniens brimés et violentés a pendant un temps permis de mobiliser le soutien à leur cause de nombreux sympathisants mais à force d’être vues, plus personne ne réagissait.

Désensibilisation

"Actuellement, on a droit à une banalisation de la violence encore plus amplifiée avec une population qui s’habitue de plus en plus non seulement à visionner des vidéos de la vie quotidienne aux contenus souvent sordides mais aussi et surtout à les partager avec leur environnement (famille, amis, collègues…).

"Le visionnage répété de ce type de vidéos conduit en effet leur spectateur à minorer et in fine à occulter la gravité des actes filmés. Cet étalage participe donc à une désensibilisation progressive de toute empathie pour autrui.

 "A ce propos, l’ethnologue français René Girard avançait qu’aucune société équilibrée ne pouvait vivre dans une violence totale ce qui en d'autres termes veut dire qu’elle ne peut exister qu’en domestiquant sa violence.

"Chez nous, le problème est que le partage croissant de vidéos ultra-violentes participe à la propagation d’un sentiment inhibant de peur voire de terreur. Une méfiance qui paralyse et pousse à terme les gens à ne plus réagir quand ils seront confrontés dans la rue ou près de chez eux à une vraie scène de violence.

Une réponse supplémentaire de l'Etat s'impose

"Dernièrement, en voulant éloigner un mari qui frappait sa femme, j’ai dû faire face à une opposition généralisée des passants pour qui cette violence matrimoniale était tout à fait légitime.

"Sachant qu’au niveau de l’inconscient d’une bonne partie des Marocains, existe cette idée que la violence contre les femmes ou les enfants est normale, ces vidéos vont donc renforcer ce sentiment d'impunité car le plus souvent, leur contenu montre des actes violents contre des jeunes filles ou des épouses.

"Même s’il existe plusieurs textes de lois qui criminalisent ce type d’images, une réponse supplémentaire de l’Etat s’impose. Il faut donc en effet punir ceux qui filment puis ceux qui partagent ces contenus affreux

"Les premiers ont une responsabilité énorme. Non seulement, ils donnent l’impression de prendre du plaisir à filmer mais en plus, ils sont indéniablement complices directs des ignominies filmées en normalisant et validant ces violences.

"Ceux qui les reçoivent puis les partagent doivent également être sévèrement condamnés car ils font l’apologie de la violence. En effet, ils banalisent une culture de la violence en envoyant ces vidéos à des gens qui prennent un plaisir morbide à visionner des scènes où ils se délectent de la souffrance des victimes.

Double-souffrance des proches de la victime

"A l’image des condamnations récentes pour apologie du terrorisme, le Maroc doit donc prendre au sérieux cette déferlante de vidéos qui occasionnent une double souffrance chez les familles et les proches des victimes.

"En effet, ils doivent non seulement faire leur deuil de leur proche tué, comme avec l’affaire Hanane, mais aussi supporter des images où sa souffrance pré-mortem est exhibée devant toute la population marocaine et même mondiale.

"Un voyeurisme insupportable avec une atteinte grave à l'image d’un être cher", dénonce Al Motamassik qui tient à préciser que le seul avantage de la diffusion d’images affreuses est de faciliter l'arrestation des coupables par la police grâce aux adresses IP (Internet protocole) de ceux qui les diffusent en premier.

La société civile a un rôle important à jouer

"Si les autorités ont un rôle important à jouer, la société civile doit nécessairement se manifester en mettant en place des actions pour canaliser une violence qui s’exprime le plus souvent chez les jeunes.

"Ainsi, à l’association Relais, nous avons institué des jeux de rôle avec des prisonniers qui prennent conscience de la gravité de leurs actes après avoir joué leur propre rôle dans une pièce de théâtre.

"Cela permet de valoriser le détenu pour exorciser son crime dans une sorte de catharsis et donc d’éviter d’éventuelles récidives", conclut le sociologue qui espère que cette déferlante d’images cruelles sera prise au sérieux par tous les acteurs concernés.

Au final, la violence a toujours été une constante de l’espèce humaine mais sa médiatisation extrême, via WhatsApp ou Facebook, doit absolument faire réagir et être combattue avant qu’elle n'entre dans nos mœurs.

En effet, pour le politologue Mohamed Tozy, contacté par nos soins, "dans une société en partie analphabète comme le Maroc, il est difficile de prévoir ou de connaître l’usage qui sera fait du saut technologique induit par internet mais il faut espérer qu’il sera plus vertueux que la diffusion actuelle de vidéos odieuses".

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