Ralentissement préoccupant des dépôts auprès des banques

Les dépôts bancaires n’ont crû que de 2,9% en 2018, moins vite que les crédits (+3,3% hors affacturage du crédit TVA). Le cash qui sort du système bancaire augmente à un rythme inquiétant. Risque sur le financement de l'économie.

Ralentissement préoccupant des dépôts auprès des banques

Le 24 juillet 2019 à 15h03

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

Les dépôts bancaires n’ont crû que de 2,9% en 2018, moins vite que les crédits (+3,3% hors affacturage du crédit TVA). Le cash qui sort du système bancaire augmente à un rythme inquiétant. Risque sur le financement de l'économie.

Selon nos informations, Bank Al-Maghrib est préoccupée par cette situation. Si la tendance se poursuit, le taux de transformation des dépôts en crédits, qui est de 96% à fin 2018, pourrait dépasser les 100%, ce qui risque, au vu des règles prudentielles, de freiner la distribution de crédits, déjà en ralentissement.

Selon les données de BAM, en 2018, les dépôts bancaires de la clientèle n’ont crû que de 2,9% contre 5,5% en 2017. Ils totalisent 928 milliards de DH. C’est inférieur au crédit bancaire qui a progressé de 3,3% hors opération spéciale de financement du remboursement par l’Etat du crédit de TVA dû aux entreprises par voie d’affacturage. En comptant cette opération, les crédits ont évolué de 6,5%, à 891 milliards de DH.

Ce ralentissement des dépôts s’est accompagné d’une baisse du rythme d’ouverture de nouveaux comptes bancaires : +4,7% en 2018 à 27 millions de comptes, soit le taux le plus bas depuis 2013 au moins.

Qu’est-ce qui explique ce tassement ? Est-ce la création monétaire qui a baissé ?

Moins de crédits et de rentrées de devises

Il est vrai que la distribution des crédits bancaires a fortement ralenti ces dernières années, surtout pour les entreprises privées. Il faut savoir en effet que les crédits se transforment en dépôts, et le ralentissement des premiers s’accompagne d’un tassement des seconds.

Les différentes parties prenantes (banques, Bank Al-Maghrib, CGEM, gouvernement) peinent à redresser la situation malgré toutes les mesures prises depuis 2016 : remboursement du crédit TVA, réduction des délais de paiement dans le secteur public, soutien au financement des TPME, amélioration de la relation des banques avec leur clientèle…

Il est vrai aussi que le Maroc reçoit moins d’argent de l’étranger. Les envois des MRE ont baissé de 1,7% ou 1 milliard de DH selon l’Office des changes (-1,5% selon BAM), le solde positif de la balance voyages a baissé de 0,8% ou 450 MDH suite à une faible amélioration des recettes et une envolée des dépenses, les dons du CCG se sont taris… Ceci en plus du déficit commercial qui ne cesse de se creuser.

D’ailleurs, les réserves internationales nettes du Maroc ont baissé de 4,4% en 2018, à 230 milliards de DH.

240 milliards de DH de cash en circulation

Mais il n’y a pas que le ralentissement de la masse monétaire qui explique le tassement des dépôts. Il y a aussi de plus en plus de sorties d’argent du système bancaire.

Selon les données statistiques de BAM, la monnaie fiduciaire en circulation au Maroc s’est établie en moyenne mensuelle à 226,7 milliards de DH en 2018 contre 211,3 milliards en 2017. Ce sont ainsi 15,4 milliards de DH supplémentaires qui sont sortis du système en une année, soit le flux le plus important depuis au moins 2011.

A fin 2018, la monnaie en circulation atteignait 233,6 milliards de DH. Elle vient de franchir la barre des 240 milliards de DH en mai dernier.

Le poids de la monnaie fiduciaire dans la masse monétaire a, au lieu de baisser, augmenté. Il était de 16,2% en 2010, il est passé à 18,3% actuellement.

Qu’est-ce qui explique ces sorties importantes de cash du système bancaire alors que l’objectif des pouvoirs publics et des acteurs financiers est de réduire la circulation du cash ?

La loi anti-blanchiment, la peur des actions de recouvrement de l'Etat...

Des banquiers dénoncent les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent, décidées par BAM et entrées en vigueur en mars 2018. Ces mesures instaurent un contrôle renforcé de l’identité des clients et de l’origine des fonds.

Selon ces banquiers, elles ont impacté les flux financiers vers le système bancaire, notamment ceux issus ou reçus par les non résidents (MRE ou étrangers) qui passent désormais hors circuit bancaire. "Il est anormal qu’un client se voie systématiquement appelé par sa banque pour contrôler l’origine de 20.000 DH ou 30.000 DH reçus sur son compte", dénonce l’un d’entre eux, qui estime que le Maroc est allé trop loin dans la conformité aux règles imposées à l’international.

Les données de Bank Al-Maghrib montrent en effet que ce sont les dépôts des MRE qui ont le plus ralenti en 2018, avec une croissance de 0,9% seulement contre 5,1% en 2017 et 5,5% en 2016, pour s’établir à 183 milliards de DH. Mais BAM lie ce ralentissement au seul facteur du recul des transferts des MRE.

Les dépôts des Marocains résidents n’ont connu qu’un petit tassement : +4,6% contre 6,4% en 2017, à 473 milliards de DH.

Un autre facteur est avancé : certains déposants craignent les actions de la DGI, la TGR, la Douane, la CNSS…

La multiplication des contrôles et actions de recouvrement menés par ces administrations pour lutter contre l’évasion fiscale et sociale et ayant visé plusieurs professions (médecins, notaires, promoteurs immobiliers, commerçants) peut en effet être à l’origine de sorties d’argent du système bancaire.

D’ailleurs, l’argent des gros déposants est de plus en plus retiré des comptes. Selon les données de BAM, même si les dépôts des particuliers résidents ont maintenu une croissance de 4,6%, les dépôts à terme de cette clientèle ont baissé de 6,8% en 2018, à 40 milliards de DH.

BAM justifie cette baisse par le recul des taux d’intérêts servis. Or, les dépôts à terme des entreprises privées ont enregistré une hausse de 10%, à 26 milliards de DH, et ceux des entreprises publiques une augmentation de 18%, à 25 milliards de DH.

Rush sur la pierre ?

En fait, si la raison de la baisse des dépôts à terme était principalement des taux de rémunération moins intéressants, les déposants auraient quitté le système bancaire sans quitter le système financier global, celui-ci offrant d’autres produits de placement comme les OPCVM.

Or, il se trouve que même les OPCVM connaissent une chute des souscriptions nettes des rachats (+19 milliards de DH en 2018 contre +40 milliards de DH en 2017). D’ailleurs, même les OPCVM ont retiré une grosse partie de leurs dépôts à terme (-30%) pour faire face aux rachats de parts d’OPCVM qui se sont multipliés.

Cela dit, il y a tout de même des souscriptions nettes aux OPCVM, et l'investissement des personnes physiques dans les contrats d'assurance-vie est en augmentation.

Il n'empêche qu'une bonne partie de l’argent qui sort du système bancaire quitte donc tout le système financier. S’oriente-il vers l’immobilier ? Une partie probablement. D’ailleurs, l'indice des actifs immobiliers de BAM et de la Conservation foncière au 4ème trimestre 2018 montre une hausse de 12,4% des transactions immobilières sur une année, avec +14,6% pour les appartements, +30% pour les maisons, +39,7% pour les villas, +16,6% pour les locaux commerciaux et +30,7% pour les bureaux.

Bémol, ces transactions se font sur les biens de seconde main. Elles n’ont donc pas permis de dynamiser le marché immobilier du neuf, toujours en berne.

Les banques compensent par d'autres types de ressources

En tous les cas, face à des dépôts de la clientèle qui augmentent plus faiblement que les crédits, les banques sont contraintes de mobiliser d’autres types de ressources pour équilibrer leurs bilans.

Les ressources des banques contractées auprès des autres établissements de crédits se sont en effet envolées de 30%, à 130 milliards de DH. Elles ont principalement été contractées (56% contre 20% en 2016) auprès de BAM sous forme d’avances à 7 jours.

BAM lie explicitement ce fort recours à ses avances à l’augmentation de la circulation fiduciaire.

Les banques ont également recouru aux émissions d’emprunts obligataires et de titres de créance négociables dont l’encours a augmenté de 6%, à 105 milliards de DH.

Mais si le recul des dépôts de la clientèle, qui ne représentent plus que 69% du total bilan des banques contre 71% en 2016, se poursuit avec des sorties massives de cash du système, le risque sur le secteur bancaire et l’économie en général peut devenir important.

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