RECIT. Le jour où Casablanca a mis M’dina Bus sous séquestre

EXCLUSIF. Samedi 5 octobre 2019. Au petit matin, les Casablancais apprennent que la société M'dina Bus, ses dépôts, sa flotte, ainsi que tous ses équipements ont été mis sous séquestre la veille, au soir. Beaucoup ne mesurent pas la portée de cet événement inédit. Médias24 en a reconstitué les étapes et vous en propose le récit.

RECIT. Le jour où Casablanca a mis M’dina Bus sous séquestre

Le 14 octobre 2019 à 9h28

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

EXCLUSIF. Samedi 5 octobre 2019. Au petit matin, les Casablancais apprennent que la société M'dina Bus, ses dépôts, sa flotte, ainsi que tous ses équipements ont été mis sous séquestre la veille, au soir. Beaucoup ne mesurent pas la portée de cet événement inédit. Médias24 en a reconstitué les étapes et vous en propose le récit.

La veille, vendredi 4 octobre 2019, vers 21H : Le wali de Casablanca Saïd Ahmidouch quitte le siège de M’dina Bus au Maârif, Bd Bir Anzarane, là où se situe le principal dépôt des autobus de la métropole. Mission accomplie. Tout s’est bien déroulé.

Le wali venait de réunir dans les locaux de la société, l’encadrement de M'dina Bus, en présence des représentants de l’autorité délégante, en l’occurrence le président du Conseil de la ville, des représentants de l’ECI (Etablissement de coopération intercommunale), ainsi que les responsables de la SDL Casa Transports et la société Alsa. A partir de cet instant, c’est Alsa qui a pris les choses en main et qui gère désormais les transports de la ville dans 18 arrondissements dont Mohammédia et Nouasseur. Ainsi s’achève une période de 4 mois faite de tensions, de préparation minutieuse, de consultations juridiques, de détermination et d’action.

Anticiper tous les risques

Ahmidouch a été nommé en février 2019 comme wali de Casablanca. Au mois de mai, il rencontre le président de M’dina Bus, Khalid Chrouate qui a insisté pour une réunion. La réunion se déroule avec la participation du maire Abdelaziz El Omari.

Chrouate évoque probablement ce qu’il appelle “les engagements non tenus par la Ville“. Selon des sources de la mairie, El Omari et Ahmidouch évoquent la qualité insuffisante des prestations de M’dina Bus qui ne correspondent pas aux exigences du contrat. Dans la foulée, ils insistent sur la continuité du service public lors de la prochaine période de transition vers un nouveau gestionnaire délégué.

Dans ce dialogue de sourds, il y avait une seule certitude : le contrat de M’dina Bus allait prendre fin, naturellement, le 30 octobre 2019. La Ville ne comptait pas le reconduire. Selon une source qui connaît bien les arcanes de la Ville, Chrouate a refusé de prendre le moindre engagement aussi bien sur une amélioration des prestations que sur une éventuelle coopération pendant la période transitoire et la passation.

Bref, la réunion s’achève sur une tonalité tendue.

Ahmidouch découvre ainsi l’acteur essentiel de la gestion des transports publics par autobus, Khalid Chrouate. Après son départ, El Omari et Ahmidouch échangent leurs impressions. Une décision est prise : défendre par tous les moyens légaux et avec la plus grande détermination, l’intérêt de la ville et de ses habitants. Anticiper tous les risques, y compris celui d’un sabotage ou d’une défaillance totale du service public de transport par bus. Veiller à une stricte application du contrat. Mettre le gestionnaire délégué devant ses responsabilités.

Laxisme et opportunisme

Les relations entre M’dina Bus et la Ville de Casablanca remontent à 2004. Le contrat a démarré le 1er novembre de cette année-là. Mais le contrôle de la part de l’autorité délégante était complètement absent. De 2008 à 2016, le “comité permanent de suivi“, créé pour suivre l’exécution du contrat, ne s’est pas réuni une seule fois.

En 2012, la Cour des comptes avait consacré à M’dina Bus et à la gestion des transports publics par autobus à Casablanca, un rapport dont les constats étaient accablants, notamment sur la qualité des prestations et les manquements aux obligations contractuelles par la société délégataire.

Des sources sûres à Casablanca et Rabat nous indiquent que M’dina Bus n’avait que deux objectifs :

- obtenir de la Ville la somme de 4 MMDH pour “manque à gagner“ et “non-respect“ des engagements contractuels.

- la prolongation du contrat existant.

Les mêmes sources s'accordent sur “l’absence totale de coopération de la part de la société pour améliorer les prestations“. Pire, la société a “fait toutes les obstructions possibles“.

“Comment une situation aussi déplorable a-t-elle pu perdurer pendant 15 ans dans une métropole qui est censée être la vitrine du Maroc ?“, s’interrogent nos sources. Le contrat, en effet, comportait des clauses de sortie que la ville n’a pas actionnées.

Parmi les engagements pris par M’dina Bus dans le contrat, apporter l’outil industriel : 300 bus la première année et vers 2018, il devait y avoir 1.200 bus en circulation. Nos sources considèrent que l’autorité délégante a fait preuve de “laxisme“ tandis que M’dina Bus est passée entre les mailles du filet en jouant aux victimes.

La mise sous séquestre prévue dans le contrat

Le contrat se termine donc de plein droit le 31 octobre 2019. Au fur et à mesure que l’échéance approchait, le service se dégradait et la société lançait différents recours en justice pour bloquer les appels d’offres lancés par la Ville pour sélectionner un nouveau gestionnaire délégué.

Au mois de mai 2019, Khalid Chrouate obtient la fameuse réunion avec le wali et le maire. Ces deux responsables mettent sur la table les modalités de fin de contrat et la nécessité d’une passation fluide dans l’intérêt des usagers. Lui, évoque un litige judiciaire et demande une indemnisation. Apparemment, il n’avait pas l’intention de passer la main. Le risque était qu’il refuse la passation et maintienne le 1er novembre, le service aux couleurs de M’dina Bus quoi qu’il arrive.

Dès cette date, mai 2019, les autorités de la ville commencent à se préparer à toutes les éventualités. Elles envisagent tous les scénarios et surtout le pire d’entre eux : le blocage, avec persistance du service actuel ou l’arrêt complet du service.

La mise sous séquestre fait partie, dès le mois de mai, des options étudiées de près. Cette option figure dans la convention de gestion déléguée entre M’dina Bus et la ville de Casablanca :

"ARTICLE 49 : Mise sous séquestre par régie provisoire et substitution d’office

1- En cas de manquement fréquemment répété, de manquement grave ou de faute grave imputable au Délégataire dans l’exécution des obligations mises à sa charge par le Contrat de Gestion Déléguée, notamment si la sécurité publique est menacée ou si le service délégué n’est rempli que partiellement causant une perturbation durable et sérieuse, pour une cause autre qu’une grève du personnel du Délégataire ou autre mode de revendications sociales admis par le droit marocain, l’Autorité Délégante lui enjoint, par notification écrite, d’y satisfaire dans un délai déterminé, commençant à courir au jour de la réception de la notification, et qui ne peut, sauf exception, être inférieur à dix (10) jours francs.

2- Si, à l’expiration du délai qui lui est imparti par l’injonction, le Délégataire ne satisfait pas aux obligations pour lesquelles il est défaillant ou fautif, l’Autorité Délégante peut, aux frais et risques du Délégataire, prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

Mise sous séquestre du Contrat de Gestion Déléguée par l’établissement d’une régie provisoire, totale ou partielle, aux torts, frais et risques du Délégataire ;

Substitution d’une entreprise au Délégataire défaillant, en vue de remédier au manquement ou à la faute ayant donné lieu à la mise en demeure, et ce jusqu’au rétablissement de la situation normale.

3- La mise sous séquestre par l’établissement d’une régie provisoire ou la substitution d’une entreprise cesse à l’issue d’un délai de six (6) mois, à compter de la notification de la décision de prendre cette mesure au Délégataire ou au rétablissement de la situation normale.

Pendant la durée de la mise sous séquestre par l’établissement d’une régie provisoire ou de la substitution d’une entreprise, le Contrat de Gestion Déléguée est suspendu en tout ou partie. (…)"

Le vote de la mise sous séquestre est passé inaperçu

Le wali en personne pilote l’opération de reprise en main, en étroite collaboration et l’implication totale des élus. Un cabinet d’avocats de grande envergure assistera la Ville. Chaque pas est pesé, chaque décision. Les réactions de l’autre partie sont anticipées. Les possibilités de blocage juridique ou de référé sont déminées à l’avance. Ahmidouch bénéficie de l’appui technique et juridique des experts du ministère de l’Intérieur.

A partir de là, un dossier est constitué, fait de constats d’huissiers et de notifications. Des constats documentés sont établis, parfois à minuit ou à 6H00 du matin : sécurité des bus, incendies de véhicules sur la voie publique, lignes non servies, insuffisance du parc, composition réelle du parc.

A la mi-septembre, M’dina Bus reçoit une notification officielle de l’autorité délégante, comprenant les défaillances documentées par les constats d’huissier. Un délai de 15 jours lui est fixé pour prendre les mesures correctives dans les domaines évoqués tels que la sécurité, l’entretien des véhicules, le rétablissement du service sur les lignes abandonnées… En vain.

Les événements s’accélèrent. Juridiquement, la prérogative des transports est dévolue à l’ECI El Beida, l’établissement de coopération intercommunale. Celui-ci est réuni le mardi 1er octobre. Auparavant, les autorités se sont assurées d’une présence suffisante pour que le quorum soit atteint et ont sensibilisé les participants sur le sujet du transport public par bus.

Le point de la mise sous séquestre, une première, est inclus dans l’ordre du jour. Il sera examiné en dernier. La mise sous séquestre est votée à l’unanimité.

Depuis la notification adressée à M’dina Bus, des réunions quotidiennes de coordination de tous les intervenants se tiennent à la wilaya, pour garder la mobilisation et anticiper toutes sortes de difficultés éventuelles.

Une intervention bien orchestrée

En septembre, puis début octobre, au fur et à mesure que les jours passaient, le service de M’dina Bus se dégradait, jusqu’à une grève observée par le personnel pour non-paiement des salaires.

Alsa avait été désignée comme adjudicataire du marché et allait succéder à M’dina Bus à partir du 1er novembre 2019. Mais les autorités de la ville n’ont pas voulu prendre le risque d’attendre le 1er novembre. Elles ont préféré maîtriser la situation et agir immédiatement pour prévenir toute dégradation supplémentaire, voire un éventuel arrêt total du service dès le mois d’octobre.

Après l’adoption de la décision de mise sous séquestre par l’ECI le mardi 1er octobre, une convention spécifique de gestion pour le seul mois d’octobre 2019 par Alsa, a été signée.

Vendredi 4 octobre, les représentants légaux de M’dina Bus, son DG puis son président, refusent d’accuser réception de la notification de mise sous séquestre. Mais un huissier avait été requis par les autorités et était présent pour constater que cette notification était faite, avec refus d’en accuser réception.

Vers 18H, l’opération de mise sous séquestre démarre. Le lieu est le siège de M’dina Bus à Casablanca et le dépôt adjacent. En première ligne de la prise de contrôle, les représentants de l’autorité délégante ainsi que le service permanent de contrôle assuré par Casa Transports.  En deuxième ligne, les représentants de la wilaya et de la société Alsa, choisie comme professionnel de la gestion des transports pour assurer la continuité du service public. En troisième ligne, la force publique, police et forces auxiliaires.

Selon nos sources, le wali demandera aux forces publiques d’être bien visibles, car une bonne dissuasion évite toute intervention et neutralise les tentations de résistance ou de sabotage.

Le wali arrive sur place vers 19H. Il réunit le personnel et promet un paiement des salaires en retard “à partir de mercredi prochain“. Ce qui sera fait et avant l’échéance promise.

Dans les heures qui suivent cette prise de contrôle, les cadres de M’dina Bus sont appelés un par un par des responsables de la ville de Casablanca. Ces appels avaient été planifiés. L’objectif est d’expliquer, de rassurer, de mobiliser et d’éviter toute tentation de sabotage. Le système d’information par exemple, est immédiatement maîtrisé et sécurisé.

Samedi matin 5 octobre, le service reprenait normalement.

Dans les prochaines semaines, le réseau casablancais sera étoffé par des véhicules qu’Alsa va ramener en renfort, dont des BHNS (bus à haut niveau de service). Les 350 bus commandés par la Ville ne seront opérationnels qu’en novembre 2020. A la même date, Alsa injectera 350 autres véhicules neufs. Si tout se passe comme prévu, Casablanca aura enfin un service public de bus à la hauteur.

Ce qu’il faut retenir de cet épisode, c’est que les élus, la SDL et les autorités ont joué la même partition. Un capital qui pourrait être fructifié pour l’avenir.

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