Rachid Guerraoui (CSMD): Les Marocains ont deux cartes, la CIN et la carte SIM

Rachid Guerraoui (CSMD) : "Le numérique est avant tout une menace pour le Maroc" Désigné membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement par le roi Mohammed VI, Rachid Guerraoui, premier arabe élu au Collège de France, est une sommité mondiale dans le monde de l’intelligence artificielle. Dans cet entretien accordé à Médias 24, il revient sur sa nomination, les axes sur lesquels s’articuleront ses propositions au sein de la commission ainsi que sur certaines actions qu’il mène au Maroc depuis plusieurs années.

Rachid Guerraoui (CSMD): Les Marocains ont deux cartes, la CIN et la carte SIM

Le 24 décembre 2019 à 5h12

Modifié 10 avril 2021 à 22h08

Rachid Guerraoui (CSMD) : "Le numérique est avant tout une menace pour le Maroc" Désigné membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement par le roi Mohammed VI, Rachid Guerraoui, premier arabe élu au Collège de France, est une sommité mondiale dans le monde de l’intelligence artificielle. Dans cet entretien accordé à Médias 24, il revient sur sa nomination, les axes sur lesquels s’articuleront ses propositions au sein de la commission ainsi que sur certaines actions qu’il mène au Maroc depuis plusieurs années.

Discret, humble, Rachid Guerraoui fait rarement parler de lui au Maroc. Mais à l’international, c’est une figure incontournable de l’intelligence artificielle.

Premier maghrébin élu "fellow" à la prestigieuse association américaine ACM (Association for Computing), premier arabe élu au Collège de France (pour diriger la chaire du numérique en 2018), l’actuel directeur du Laboratoire d'algorithmique répartie à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne écume les distinctions les plus convoitées : Prix Google Focused Award (3 à 4 million de dollars pour la recherche dans son laboratoire), prix de la communauté Européenne ERC senior (2 millions d'euros pour la recherche), membre du conseil d'évaluation de plusieurs universités et organismes de recherche en Europe…

Pourtant, rien ne prédestinait l’enfant des Doukkala à une carrière aussi brillante.

Pur produit de l’école publique marocaine, celui qui rêvait de jouer pour Difaâ Hassani Al Jadidi a trouvé sa vocation à Paris, où il s’est envolé en 1984, bac sciences maths en poche. Issu de parents de la classe moyenne – tous deux enseignants -, Rachid Guerraoui, déterminé, a décroché un master d'Intelligence artificielle (Université de Paris Sorbonne) puis un doctorat en informatique en 1992 (Université de Paris Sud) et au Commissariat à l'Energie Atomique en France.

Après quoi, le jeune chercheur se fraie très vite un chemin parmi les grands du monde du numérique. Chercheur chez Hewlett Packard à la Silicon Valley en 1998, professeur invité au MIT à Boston, puis professeur à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, dont il dirige aujourd’hui le laboratoire d'Algorithmique Répartie.

Son esprit rationnel, il le met aussi au service de ses idées, résolument progressistes. Ainsi, loin des algorithmes et de l’intelligence artificielle, il a publié en 2016 "Ainsi parlaient Lahcen et Lhoucein", livre, passé hélas inaperçu, où il vilipende avec dérision l’hypocrisie de la société marocaine.

Médias 24 : Comment avez-vous accueilli votre nomination au sein de la CSMD ? Quelle a été votre réaction ?

Rachid Guerraoui : Ssi Chakib Benmoussa m’a appelé un soir pour me proposer cela en m’expliquant longuement les enjeux. Je lui ai dit que c’était un honneur et que ce n’était pas, là, une tâche facile, car le temps est court et qu’il y a eu déjà beaucoup de commissions et de rapports. Mais j'ai insisté sur le fait que c’était un honneur pour moi et que je ferai de mon mieux pour contribuer efficacement. 

Les principaux métiers au Maroc pourraient être du jour au lendemain remplacés à cause de la robotisation

-Sur quelles bases vos propositions s’articuleront-elles ?

-Mon expérience m’amène évidemment vers le numérique, l’intelligence artificielle, les algorithmes… Il s’agit de mon premier axe.

Il me semble important de rappeler tout d'abord que le numérique est avant tout une menace pour le Maroc dont l’économie est basée sur des métiers de services et un peu d’industrie, métiers qui pourraient du jour au lendemain être remplacés à cause de la robotisation. Bien entendu, le numérique peut aussi être une opportunité. J'essayerai de proposer quelques pistes pour surfer sur la vague au lieu de la subir.

Numérique: le Maroc n'a pas le choix. Le numérique s'imposera à nous

-Dans votre leçon inaugurale au Collège de France, intitulée "Algorithmes : à la recherche de l'universalité perdue’’, vous avez justement mis l’accent sur l’importance et le danger de l’intelligence artificielle. Le Maroc est-il en mesure de miser sur le numérique ? Auquel cas, quel devrait être le fondement d’une telle politique ?

-La question n’est pas de savoir s’il faut miser sur le numérique ou non. Il n'y a pas le choix. Le numérique s’imposera à nous dans tous les cas.

Il bouleverse les rapports sociaux et la politique: il suffit de voir l'impact des "fakes news" dans la campagne américaine et la campagne contre Danone. Aujourd’hui, les plus grandes entreprises ne s’appellent plus Ford ou Nestlé mais Google, Facebook et Amazon. La nouvelle économie est ainsi faite.

Pour schématiser, les Marocains ont deux cartes, à savoir la CIN et la carte SIM

La question est de savoir comment nous pouvons nous en sortir dans ce domaine, le risque étant de perdre énormément d’emplois que remplaceront les machines comme je viens de le souligner. Mais comment en créer d'autres.

Il est clair que l’axe principal est l’éducation dans le numérique pour former ceux qui pourraient concevoir des algorithmes et les mettre en œuvre. Mais il y a aussi la formation des gens qui  accèdent au numérique: l'alphabétisation numérique. Pour schématiser, les Marocains ont deux cartes, à savoir la CIN et la carte SIM. Il faut faire en sorte que cette carte SIM leur serve le mieux possible : accès administration, création d’entreprise. En gros, il faudrait exploiter l’opportunité qu’offre cette carte SIM.

-Loin des algorithmes, dans votre livre "Ainsi parlaient Lahcen et Lhoucein’’ (2016), un plaidoyer pour un Maroc progressiste et rationnel, vous disséquez, avec dérision, l’hypocrisie de la société marocaine. Peut-on, justement, détacher la réflexion sur le modèle développement économique de la religion et de certaines lois, par exemple ?

-Comme je vous l’ai dit, il y a mon expérience sur le numérique. Puis il y a ma sensibilité. Ma sensibilité, qui joue un rôle important dans tous mes choix, me dicte comment je vois une nation marocaine homogène avec plus d’équité. Est-ce que les deux peuvent être liés ? La réponse est oui.

Des jeunes s’instruisent aujourd’hui sur Internet. Quand l’Etat ne fait rien, ce vide est rempli par des charlatans et par des gens qui racontent n’importe quoi. Il faudrait remplir ce vide avec des choses intéressantes en encourageant en particulier des jeunes marocains qui produisent un contenu intéressant, parfois très accessible, en darija

Exemple : un jeune marocain a fait une vidéo où il traduit le livre Sapiens (Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari). La vidéo, en darija, a été vue par 400.000 personnes, donc probablement 400.000 marocains, ce qui est énorme. Cela traite de l’histoire, de la religion, de la théorie de l’évolution…

On s’aperçoit ainsi que l’accès au numérique est très important. Il est possible de surfer sur le numérique pour essayer de transmettre des informations utiles aux jeunes marocains.

-Produit de l’école publique, vous avez gravi les échelons au point de devenir une sommité mondiale dans l’intelligence artificielle. Aujourd’hui décrié par tous, l’enseignement public, pierre angulaire de tout développement, peut-il se redresser pour remplir efficacement son rôle à l’avenir ?

-Il y a deux éléments dans la question.

D’abord, est-ce que cette école publique peut produire des jeunes capables de faire de grandes études ? La réponse est oui, comme en témoigne l’exemple du lycée d’excellence de Benguerir qui réussit à prendre des jeunes de l’école publique issus de milieux sociaux pauvres, à les aider et à les pousser jusqu’aux plus grandes écoles.

La question plus délicate est néanmoins pour combien ? Est-ce que cela va s’appliquer à 1 %, à 5 % ou à 10 % ? La grosse difficulté est d’augmenter ce pourcentage. Certes, on ne va pas pouvoir assurer à 90 % des Marocains l’accès à l’école Mohammedia, à l’ENSIAS ou aux grandes écoles en France. Cela est impossible: que doit-on faire des autres ? Quelle éducation leur donner ? Il y a le modèle français qui essaye de pousser tout le monde vers le bac puis  à l’université. Mais le risque est de fabriquer ainsi des diplômés chômeurs. Est-ce le bon système ? Je pense qu’il faut explorer d’autres modèles.

La formation professionnelle peut être une solution mais avec une certaine dignité. Comment arriver à donner une dignité à des métiers dont on a besoin au Maroc (électricien, menuisier…) et à les valoriser. Si on ne les valorise pas, c’est peine perdue. En Suisse, un bon menuisier gagne autant qu’un médecin généraliste.

-Beaucoup de Marocains ont découvert votre nom lors de la nomination de la commission. Pourtant, bien que vous soyez installés à l’étranger, vous avez accompagné plusieurs projets au Maroc : les ateliers où vous invitez de grandes figures de l’intelligence artificielle, votre travail à l’Université de Benguerir... Un petit rappel de ces actions ?

-L’une des choses que je fais (avec d'autres) depuis douze ans est ce que j’appelle la "caravane du numérique", un évènement annuel où se côtoient professeurs marocains à l’étranger, professeurs marocains du Maroc, stars mondiales du monde numérique et où des étudiants marocains sont invités à écouter ces stars, mais aussi à présenter leur projet de master ou de licence et où ils peuvent bénéficier d’une aide. L’événement a lieu dans plusieurs villes marocaines, souvent dans des universités.

J'ai aussi  participé à une série de vidéos avec d’autres Marocains où on enseigne algorithmes, mathématiques et d’autres choses, dans diverses langues, y compris en darija.

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