Il y a 100 ans, le dernier poilu marocain condamné à mort était fusillé à Casa

Le 28 avril 1920, il y a cent ans, l’armée française fusillait à Casablanca le dernier soldat marocain condamné pour des faits commis pendant la Première Guerre mondiale.

Il y a 100 ans, le dernier poilu marocain condamné à mort était fusillé à Casa

Le 29 avril 2020 à 8h45

Modifié 10 avril 2021 à 22h32

Le 28 avril 1920, il y a cent ans, l’armée française fusillait à Casablanca le dernier soldat marocain condamné pour des faits commis pendant la Première Guerre mondiale.

L'officier d'administration Lacroix s'est levé avant l'aube. Au matin du 28 avril 1920, à quatre heures quarante-cinq, le greffier près du conseil de guerre des troupes d'occupation du Maroc occidental assiste à la prison militaire de Casablanca au réveil de Brahim Ben Ahmed, un soldat du 2e régiment de tirailleurs marocains condamné à mort pour « désertion à l'ennemi ».

Né à Marrakech, ce tailleur de profession de vingt-quatre ans a déposé un recours en grâce auprès du président de la République, Paul Deschanel, mais il ne sait pas que sa demande a été rejetée la veille. Il en est informé au saut du lit par le commissaire rapporteur du conseil, le capitaine Rech, qui accompagne Lacroix. D'autres personnes sont là également dont l'avocat du tirailleur, le gardien chef de la prison, un médecin, un imam et un interprète.

Dehors, une ambulance attend Ben Ahmed qui s'engouffre dans le véhicule à cinq heures. Dans la nuit, l'automobile emprunte le boulevard circulaire, puis celui du front de mer, avant l'arrivée à proximité du phare d'El Hank, cinq cent mètres environ au sud-ouest.

Descendu de la voiture, le jeune homme est remis à un détachement militaire qui le conduit au poteau d'exécution. En face, un piquet d'infanterie est en place, les armes à la main. Après lecture du jugement, en français et en arabe, Ben Ahmed est fusillé et le décès prononcé. Son corps est mis en bière par quatre infirmiers envoyés sur les lieux avec un cercueil. Transportée sous escorte, la dépouille est inhumée le jour même. Comme le veut le code de justice militaire, les frais du procès, trente-trois francs et soixante-cinq centimes, sont prélevés sur les biens du supplicié.

Qu'a fait Ben Ahmed ? Le 20 juin 1918, le tirailleur est en sentinelle au mont Sans-Nom dans la Marne. L'endroit, qui est depuis le début de la guerre le théâtre de violents combats, a été repris aux Allemands par les Français un an plus tôt. C'est un lieu difficile à tenir, soumis à la pression permanente de l'ennemi.

Selon le rapport établi par l'armée, Ben Ahmed, placé à l'intersection d'un boyau qui fait communiquer les tranchées françaises et allemandes, a quitté son poste vers onze heures pour rejoindre les lignes adverses. Le lendemain, vers vingt-trois heures, une attaque à la grenade vise la position qu'il a abandonnée la veille. Au cours de l'assaut, des témoins disent avoir entendu une voix crier en arabe : « Je suis Brahim Ben Ahmed, vous aurez affaire à moi ! »

Note expliquant le déroulé de l'exécution de Brahim Ben Ahmed


Fiche d'un spahi fusillé en Serbie


Extrait d'un rapport sur le cas de Driss Ben M'Hamed


Croquis réalisé pour les besoins de l'enquête sur Tahar Ben Hadj

Le soldat, qui ne sera retrouvé au Maroc qu’au début de l'année 1919, a-t-il, comme le prétendent ses supérieurs, délibérément fui et, circonstances aggravantes, transmis des renseignements aux « boches » en vue d'un coup de main ?

Ben Ahmed a toujours réfuté cette version, expliquant avoir été kidnappé par des Allemands déguisés en officiers français. Seulement, personne ne le croit et ses états de service ne jouent pas en sa faveur. On le dit « indiscipliné », « menteur », « lâche ». « Chaque fois qu'un petit bombardement avait lieu, il se cachait », déclare le capitaine commandant sa compagnie. L’image du mauvais soldat, irrécupérable et amoral, lui colle à la peau. Lui, qui s'est engagé dans l'armée pour quatre ans en 1916, aurait aussi à plusieurs reprises menacé de rejoindre le camp d'en face.

Selon les archives des conseils de guerre conservées au Service historique de la Défense, Ben Ahmed est le dernier poilu marocain fusillé par l'armée française – environ quarante mille soldats marocains ont servi pendant la Première Guerre mondiale.

Le registre officiel établi par la France recense mille neuf militaires et civils fusillés (passés devant un peloton d’exécution en application d'une décision de justice militaire), exécutés sommairement (sans jugement) ou abattus. Certaines archives sont toutefois incomplètes et d’autres ont tout simplement disparu, jusqu’à 20% des conseils de guerre dans certains cas.

Dans le cas des soldats non-européens d’Afrique, l’identification s’avère aussi problématique en raison de l’absence d’état civil et de la rédaction souvent hasardeuse des noms. Les chercheurs indépendants qui travaillent également à partir d’autres sources établissent actuellement à vingt-six le nombre, « très faible » d’après le collectif Prisme 14-18, des Marocains fusillés ou exécutés.

Il s'agit en majorité de condamnés pour des affaires de droit commun. On y trouve treize militaires, comme ce tirailleur fusillé pour meurtre le 31 août 1918 à Chars (actuel Val-d'Oise). Dans la majeure partie des cas, les dossiers de procédure sont fournis et détaillés. Certains font près de cent pages et comprennent les plaintes, rapports et procès verbaux, ainsi que les notes d’audience et parfois les recours en révision. Les hommes meurent majoritairement au Maroc et en France, en Algérie aussi et jusqu’en Serbie, où deux spahis sont exécutés sommairement, l’un le 17 octobre 1918 à Knjaževac, l’autre le 20 octobre suivant à Zajecar.

En pleine guerre dite de « pacification », les civils, treize au total, passent aussi devant les conseils de guerre. Le plus jeune a dix-neuf ans, le plus âgé cinquante. Il s’agit principalement de moissonneurs ou de journaliers, comme ces trois hommes qui sont fusillés au camp Poublan près de Meknès, le 7 juin 1915, pour avoir tué un Marocain et volé sa mule. On y trouve aussi un caïd, passé par les armes à El Boroudj la même année, en juillet, pour complicité d’assassinats.

Contrairement à l’Algérie, où s’exerce la compétence des conseils de guerre permanents sous l’autorité du ministère de la Guerre, comme dans la zone de l'intérieur en métropole et la région de Tunis, les autorités politiques du Maroc ont demandé et obtenu que le royaume, comme pour le Sud tunisien, soit placé dans la zone des armées, avec une procédure simplifiée, sous l’autorité directe du général en chef. Le coup d’Agadir est encore dans les esprits et l’activisme des agents du kaiser « El Hadj Guilloum » fait rage, surtout au nord, où les Allemands financent les rebelles du Rif.

Avec Brahim Ben Ahmed, Driss Ben M'Hamed est le second poilu marocain condamné à mort pour « désertion à l'ennemi », cette fois au Maroc. À Koudiat El Biad, le 7 juillet 1914, il emporte « un mousqueton, un sabre baïonnette et des cartouches dans la tribu des Riata », au côté de laquelle il fait le coup de feu contre les troupes françaises quelques jours plus tard. Retrouvé au bout de six mois, il est fusillé le 8 septembre 1915 à proximité du cimetière de Bab Segma à Fès.

On ne relève qu’un seul cas de mutilation volontaire, très courant au début de la guerre. Fusillé à vingt-sept ans, le 26 février 1915, à Offemont dans l'Oise, Tahar Ben Hadj est un ouvrier agricole qui vit près d'Oran au moment de son entrée au 1er régiment de marche de tirailleurs algériens en 1914. La même année, dans la nuit du 13 au 14 décembre, vers minuit, il est blessé à la main gauche en relevant une sentinelle dans un boyau des tranchées de Puysaleine.

Dépêché auprès du soldat au matin, le médecin est formel : « La mutilation a été provoquée soit par le blessé lui-même, soit par la complicité d'un camarade. » Dans le compte-rendu qu’il soumet au commandant du régiment, il ajoute : « Ben Hadj s’est la veille et l’avant-veille présenté à la visite médicale, alléguant une maladie qui n’existait pas. » Comme pour Ben Ahmed, plusieurs témoins remettent en cause la version du tirailleur. L’un affirme l'avoir vu se mutiler la main et indique que Ben Hadj l'a « supplié de ne pas le dénoncer ». Le conseil de guerre est saisi. L'homme comparaît le 25 février 1915 pour « abandon de poste en présence de l'ennemi par mutilation volontaire ».

Interrogé à plusieurs reprises, le tirailleur raconte : « J'étais accoudé sur la tranchée avec la moitié du buste à découvert. Tout à coup, j'ai reçu un coup dans la main gauche et je ne sais d'où c'est venu. » On lui demande : « Pourquoi y avait-il une douille vide dans votre canon de fusil ? » Il répond : « C'est défendu de tirer et je n'ai pas tiré. Je ne sais pas pourquoi il y avait cette douille dans mon fusil. » On poursuit : « Un camarade vous a vu vous mutiler volontairement ? » Il déclare : « Moi je ne l'ai pas vu, il n'était pas à côté de moi, et il ment. » On insiste : « Avouez-vous que vous vous êtes mutilé volontairement car les médecins l’affirment ? » Il maintient : « Je n’avoue pas, d’ailleurs les médecins disent souvent ça des blessés. »

Condamné à l'unanimité, Ben Hadj est fusillé le lendemain matin, à huit heures, par un piquet de zouaves. Un détachement de cinquante hommes est présent, dont des éléments de la 3e brigade du Maroc. Les frais du procès, douze francs, ont été prélevés sur ses biens.

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