Relancer le BTP contribuera à redémarrer toute l’économie (Driss Effina)

La consommation de ciment a enregistré sa plus forte baisse historique en avril. La relance du BTP aura des effets d’entrainement sur plusieurs activités. Docteur en économie et spécialiste du secteur, Driss Effina propose quelques mesures pour redémarrer la machine.

Relancer le BTP contribuera à redémarrer toute l’économie (Driss Effina)

Le 7 mai 2020 à 21h33

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

La consommation de ciment a enregistré sa plus forte baisse historique en avril. La relance du BTP aura des effets d’entrainement sur plusieurs activités. Docteur en économie et spécialiste du secteur, Driss Effina propose quelques mesures pour redémarrer la machine.

La consommation du ciment est le baromètre du secteur du BTP. En avril, cette consommation a chuté de 55,5% après un recul de 28,2% en mars, selon les dernières statistiques de l’Association professionnelle des cimentiers (APC), reprises par le ministère de l’Habitat.

Sur les 4 premiers mois de l’année, la baisse s’élève à 20,6%, soit une consommation de 3,8 millions de tonnes contre 4,8 millions une année auparavant.

Le redressement des ventes à fin février 2020 (+4,4) ainsi que sur l’année 2019 (+2,5%), qui avait permis de rompre avec un long cycle baissier de plusieurs années et donné de l’espoir aux opérateurs sur une possible reprise du secteur, a été cassé par l’impact du Covid-19 qui a mis un coup d’arrêt aux transactions et conduit les autorités à fermer quasiment tous les chantiers.

« En pourcentage, la baisse du mois d’avril est la plus forte jamais enregistrée dans l’histoire du Maroc », affirme Driss Effina, docteur en économie ayant une longue expérience dans le secteur du BTP.

Driss Effina, docteur en économie,
spécialiste du secteur du BTP

Une baisse de 5 à 10% de la consommation du ciment en 2020

Ce secteur est en train de vivre une crise sans précédent. Selon les analystes d’Attijari, la consommation de ciment devrait chuter de 20% sur toute l’année 2020. Pour Driss Effina, cette prévision est un peu pessimiste mais l'Etat doit tout faire malgré tout pour relancer le secteur.

D’une part, « la branche travaux publics du secteur du BTP va continuer à fonctionner parce que l’Etat a la volonté de relancer l’économie à travers les grands chantiers d’infrastructures. D’ailleurs, les 550.000 tonnes vendues en avril correspondent à la consommation de cette branche, les chantiers de construction privés étant quasiment tous à l’arrêt et le réseau de distribution au détail étant totalement fermé », estime l’économiste qui appelle au maintien des investissements publics comme seule solution de relance de l’économie.

De l’autre, « l’investissement dans le secteur étant une décision lourde et programmée d’avance, les chantiers privés suspendus vont reprendre et les projets de construction reportés seront concrétisés en 2020 malgré un décalage d’un mois ou deux », pense-t-il.

« Donc si le Maroc sort du confinement, comme prévu, à la fin de ce mois, et si les activités se déroulent normalement par la suite, il y aura un rattrapage. Je pense que la baisse se limitera à -5% ou -10% ».

Mais pour Driss Effina, l’Etat doit faire des efforts pour que le secteur du BTP termine l’année à l’équilibre, voire sur une légère croissance. « Si les politiques prennent un certain nombre de mesures, on pourrait même atteindre +5% ».

La reprise du BTP aura des effets multiples sur l'économie

Pour lui, à travers l’investissement dans le BTP, l’Etat peut limiter les effets du Covid-19 sur l’économie en général. « La moitié des investissements dans l’économie passent par le BTP ».

« Des Etats-Unis au Japon, il y a une grande relance économique à travers l’immobilier. Alors pourquoi par au Maroc ? »

« C’est un secteur domestique dont la relance peut avoir des effets d’entrainement sur plusieurs activités. Le BTP compte beaucoup d’activités informelles et d’artisans qui y opèrent de façon directe ou indirecte. Les gens qui construisent viennent généralement des régions pauvres. Lorsque la construction reprendra, ce sont ces régions qui seront dynamisées en premier grâce aux transferts des revenus. Le secteur fait aussi travailler le transport, de nombreuses activités de services, de l’industrie (ciment, fer à béton, peinture…). Il peut avoir des effets multiples sur toute l’économie », estime l’économiste.

Ce dernier propose quelques mesures qui pourraient avoir un effet plus ou moins immédiat sur le secteur et par ricochet sur l’économie :

Propositions de mesures de relance

- Mettre en place des crédits bancaires à taux zéro pour l’acquisition de logements ou l’auto-construction (qui représente la moitié du marché du logement au Maroc).

« Des pays comme les Etats-Unis l’ont fait. La Fed permet l’octroi de prêts gratuits pour l’achat de logements et de voitures. Pourquoi pas le Maroc ? Il faut mettre en place des mécanismes publics de garantie et de compensation ou de stabilisation pour permettre aux banques de financer le secteur à taux zéro. Il faut que Bank Al-Maghrib ose sortir des sentiers battus et que le gouvernement l’accompagne. Les banques ont intérêt à ce que la demande reprenne parce que sinon, à un moment donné la machine va se gripper  », estime Effina.

- Assouplir les procédures et les conditions pour lancer des travaux d’aménagement, de surélévation, de maintenance.

« Ces travaux drainent chaque année entre 5 et 10 milliards de DH d’investissements. Ils captent une bonne partie de l’épargne d’une grande frange de la population. Or l’obtention des autorisations est devenue compliquée dernièrement à cause des multiples circulaires du ministère de l’Intérieur. Ce dernier pourrait assouplir les procédures aux ménages, et les communes pourraient faciliter l’octroi des autorisations à condition que les ménages soient accompagnés par des architectes ou des bureaux d’études. Cela pourrait facilement doubler le montant des investissements annuels ».

- Alléger la fiscalité sur le secteur immobilier, aussi bien sur les promoteurs pour encourager l’investissement (IS, taxes sur le transfert de la propriété du foncier…), et les acquéreurs pour soutenir la demande (droits d’enregistrement, TVA…).

« Le secteur est en difficulté depuis quelques années à cause de la charge fiscale importante qui pèse sur lui. Compte tenu de la crise actuelle, il ne peut plus continuer à supporter la même pression fiscale. Si on allège la fiscalité ne serait-ce que pendant 2 ans, le secteur pourrait réaliser une croissance à 2 chiffres ».

- Exiger suffisamment de création d’emplois à travers la commande publique.

« L’Etat investit beaucoup dans les infrastructures, environ 90 milliards de DH par an. Aujourd’hui, les chantiers sont trop mécanisés, les adjudicataires utilisent de grosses machines au détriment de la main d’œuvre. C’est pour cela que beaucoup d’économistes disent aujourd’hui que l’argent public investi dans les infrastructures se transforme en importations (de grosses machines). En Inde par exemple, les chantiers publics font travailler plus la main-d’œuvre que les machines. Il faut que l’Etat marocain ajoute des clauses dans les cahiers des charges des marchés publics qui seront lancés au cours des prochains mois, pour que les adjudicataires recourent au maximum à la main-d’œuvre possible ».

- Encourager la production de logements moyen-standing à prix convenable pour satisfaire une demande jusque là insatisfaite.

« Faute de produit adapté, la classe moyenne se rabat provisoirement sur la location ou le logement social. Il faut des logements dont les prix varient entre 300.000 et 500.000 DH. Pour cela, il faut ouvrir le maximum de foncier à l’urbanisation dans les périphéries et autoriser les constructions verticales pour mieux valoriser le foncier ».

- Relancer les dérogations pour les projets dépassant 500 unités et les lotissements de plusde 50 hectares avec prise en charge des hors sites par les promoteurs.

- Encourager le placement dans le logement locatif même pour un investissement portant sur deux logements minimum, à travers des incitations fiscales.

- Encourager l’investissement étranger dans l’immobilier au Maroc.

« Le pays a aujourd’hui besoin de devises. L’immobilier est le deuxième pourvoyeur d’IDE au Maroc. Il faut encourager davantage la vente de logements aux non résidents, par exemple en offrant des incitations fiscales. Le Maroc est très loin derrière certains pays comme l’Espagne qui réalise chaque année 70 milliards d’euros de ventes de logements aux étrangers contre seulement 10 milliards de DH au Maroc. Il faut par ailleurs soigner l’image du Maroc après les scandales immobiliers qui ont éclaté ces dernières années, et que les régions intègrent la promotion du logement dans leurs stratégies de développement. Il y a des régions très prisées par les étrangers comme Marrakech et Agadir ».

Evidemment, d'autres conditions nécessaires doivent être respectées pour un meilleur impact de telles mesures, comme la préférence nationale dans les marchés publics, l'ouverture de la commande de l'Etat aux TPME, le recours aux matériaux de construction locaux, le respect des délais de paiement et la facilitation des procédures.

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