Omar Balafrej : “Le discours du Chef du gouvernement a douché nos espoirs”

Au lendemain du discours de Saâdeddine Elotmani devant le parlement, le député de la fédération de la gauche démocratique déclare être très déçu par son contenu vide. Selon Omar Balafrej, le Chef du gouvernement a montré son incompétence pour gérer la crise et surtout le déconfinement à venir.

Omar Balafrej : “Le discours du Chef du gouvernement a douché nos espoirs”

Le 19 mai 2020 à 21h03

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Au lendemain du discours de Saâdeddine Elotmani devant le parlement, le député de la fédération de la gauche démocratique déclare être très déçu par son contenu vide. Selon Omar Balafrej, le Chef du gouvernement a montré son incompétence pour gérer la crise et surtout le déconfinement à venir.

     Medias24 : Quels ont été les points positifs du discours d’Elotmani ?

Omar Balafrej : Pour la première fois, le Chef de l’exécutif a donné à l’opinion publique des chiffres sur le nombre de patients en réanimation et sous respirateur artificiel soit respectivement 50 et 20.

Ce sont des indicateurs très utiles qu’il conviendrait de publier tous les jours notamment lors de la communication quotidienne du bilan épidémiologique par le représentant du ministère de la santé.

Sachant que c’est une question de transparence médicale, il est étrange que l'on ait dû attendre ce discours pour l'avoir de manière officielle 

     -En dehors de ces chiffres qu'avez-vous retenu de positif ?

-Sincèrement, alors qu'il y avait énormément d'attente, je considère que c’était un discours vide.

Sachant que les Marocains et notamment ceux qui vivent des situations difficiles avaient de grosses attentes, tout le monde s’attendait à une vraie communication qui respecte notre intelligence. 

     -Vous êtes donc resté sur votre faim ?

 -C'est beaucoup plus grave que de rester sur sa faim car en réalité, ce discours a cassé un élan d'espoir et d'optimisme qui était apparu ces dernières semaines.

Je n’ai aucun mal à le dire car en tant qu’opposant, j'ai été un des premiers à féliciter, au parlement et dans les médias, le gouvernement pour les mesures courageuses qu’il a prises au début de la crise.

A partir de là, je m'attendais à ce que les choses continuent de changer en terme de transparence mais au final, ce discours a douché mes espoirs et surtout ceux de la majorité des Marocains. 

     -Que lui reprochez-vous exactement ?

-Tout simplement de manquer de respect au citoyen avec un discours qui a éludé délibérément de nombreuses questions essentielles pour les Marocains.

Il n’y a eu aucune communication sur la santé physique des Marocains ni sur leur état mental alors qu’ils sont en plein désarroi.

Les remontées d'informations d’origine médicale sont très pessimistes et nous avons vraiment besoin de données concrètes. On ne sait pas, par exemple, combien de patients cardiaques, diabétiques, hypertendus … ont dû arrêter leur traitement....

      -Vous croyez que c'est au chef du gouvernement d’en parler ?

-Evidemment car il a présenté un certain nombre de données scientifiques dans son discours et il aurait donc dû exposer toutes les contraintes que nous vivons.

De plus, il n’a pas évoqué les problèmes socio-économiques d’une partie des Marocains alors qu’il devient évident qu’ils ne peuvent pas vivre plus longtemps avec une aide de 1.000 dirhams par mois.

La question se pose de savoir si les gens vont être capables de tenir un troisième mois avec cette aide de l’Etat.

Un autre point très important passé sous silence est celui de l'état des relations familiales et notamment de l’explosion des violences conjugales contre les femmes.

Face à ces situations dramatiques, il aurait dû adopter une démarche intellectuelle honnête en communiquant tous les éléments pour donner une meilleure visibilité aux Marocains concernés.

Je ne dis pas que les solutions sont faciles mais la moindre des choses aurait été d’exposer les différents paramètres et contraintes sur lesquels il se base pour prendre des décisions mais son silence montre clairement que Ssi El Otmani n'a pris aucune décision sur ces questions essentielles. 

     -Quid du processus à venir du déconfinement qu’il n’a pas évoqué ?

-Au Maroc, nous sommes en train de battre le record mondial en terme de durée de confinement car nous avons même dépassé la province chinoise du Wuhan d’où est parti le virus.

Sachant que l’idée de déconfiner à partir du moment où le virus sera détruit n’existe nulle part dans le monde, la question se pose de savoir si le Maroc a choisi cette voie complètement absurde.

Si ce n'est pas le cas, il faut le dire clairement et qu’il prépare l’opinion à un déconfinement progressif.

Elotmani a vraiment raté une occasion en or pour expliquer aux gens qu'il va falloir apprendre à vivre différemment en respectant les mesures barrière comme porter des masques, se laver fréquemment les mains, ne pas être nombreux dans certains endroits (cafés, restaurants, mosquées …).

C'est peut-être un point de détail mais en termes de communication, la façon dont il a enlevé son masque puis posé sur une table avant de s'adresser au Parlement a été tout simplement incroyable.

A la rigueur, il aurait pu venir sans masque mais l'enlever et le poser devant tout le monde a transmis un message catastrophique car les gens vont se dire qu’ils peuvent l’enlever et le remettre après.

C'est une véritable aberration en termes de communication politique y compris au niveau symbolique. 

     -Vous n’êtes pas d’accord avec sa décision de prolonger le confinement jusqu’au 10 juin?

-Oui et c'est là où je reviens sur la nécessité de mettre tous les éléments sur la table et notamment les risques croissants et mortels que présente la prolongation du confinement

A cause du confinement, de nombreuses personnes ne peuvent plus se soigner normalement. Ainsi, plusieurs cardiologues me disent que leur patient risque de mourir parce qu'il n’a plus accès aux soins tout comme beaucoup de cancéreux ne peuvent plus avoir leur séance de chimiothérapie.

La santé globale importe aussi car si on se retrouve avec des milliers de morts qui auraient pu être soignés pour des débuts de cancers ou des pathologies curables, le résultat final sera bien pire que la mortalité due à cette pandémie.

Il ne faut pas oublier la santé mentale des Marocains car dans de nombreux foyers qui respectent le confinement, certains se retrouvent dans des situations difficiles voire même dangereuses.

Certains enfants qui ne sont pas sortis de leur domicile depuis 2 mois commencent à avoir de graves problèmes psychologiques comme, par exemple, se remettre à faire pipi au lit ou bien pire encore.

Quand on est à la tête d’un gouvernement, on se doit de prendre en considération tous ces problèmes.

A titre personnel, je suis pour reporter le confinement jusque après l'Aïd mais pas 15 jours après car à force d’imposer des choses difficiles et incompréhensibles, il y a un risque de désobéissance.

Dans son discours, il aurait pu aussi expliquer le danger des repas familiaux pendant l’Aïd qui est une occasion de rassemblement mais aussi une cérémonie potentiellement dangereuse à l'origine d'une propagation massive du virus.

Un effort pédagogique aurait été utile notamment en direction des quartiers populaires où il y a un vrai risque.

     -Vu qu’il est resté muet sur ces questions, que proposez-vous sur le déconfinement ?

-Sachant que je ne dispose pas des mêmes éléments que le Chef de l’exécutif, il devrait commencer par nous communiquer le contenu des études d'impact sur les gens.

Pour ma part, je me base sur les éléments que je reçois, à savoir le fait que les Marocains ne se soignent plus, qu’une autre partie est en situation de déprime, que d’autres commencent à souffrir socialement et économiquement parce que 1.000 DH par mois ça ne leur suffit pas pour survivre.

Sachant que cela crée des risques importants pour le pays, le confinement doit, selon moi, prendre fin quelques jours après l'Aïd soit à la date du 1er juin.

Il faut préparer cette échéance avec des campagnes de communication sur les gestes barrière et les mesures à adopter dans les transports en commun pour ne pas se retrouver avec des bus bondés du jour au lendemain.

     -Au regard du relâchement dans plusieurs quartiers, ne faut-il pas envisager le pire ?

-Si on tient un discours raisonnable qui fasse appel à l’intelligence de nos concitoyens, je crois vraiment que les gens seront disciplinés et qu’on évitera une propagation massive post-confinement.

Dès le début j'ai soutenu qu'il fallait un confinement strict mais avec les données dont je dispose aujourd’hui, dans les quartiers populaires les gens sont à bout.

      -Vous risquez d'être tenu pour responsable d'une éventuelle explosion des contaminations...

 -Non car s'il y a une explosion des contaminations après le 1er juin, on pourra toujours revenir en arrière mais il faut parler aux Marocains comme à des citoyens intelligents et pas comme à du bétail.

Si on annonce à nos concitoyens qu'on va déconfiner de manière progressive avec des conditions drastiques et que le 1er juin n’est pas une fête, cela devrait bien se passer. 

     -Combien de temps devrait durer le processus  ?

-Encore une fois, je ne suis pas un gouvernant et je ne dispose donc pas de toutes les données.

Sachant qu’on ne pourra pas rester confiné jusqu'à ce qu'on tue le virus, on se doit de tester des choses et si commencer le 1er juin sera sans doute difficile, ça n’en reste pas moins faisable.

Après, s'il y a un retour massif des contaminations, on pourra toujours faire machine arrière région par région sachant qu'il y a des provinces qui n’ont pas été touchées depuis plusieurs semaines.

Pourquoi ces régions devraient-elles être enfermées de la même manière que les autres ?

Tout cela demande donc un changement de logiciel. 

     -Quid des Marocains bloqués à l'étranger qui n’ont pas été évoqués dans le discours ?

-C'est un vrai scandale et là encore je suis très à l'aise pour en parler car depuis le début, j'étais le seul à porter un discours de prudence pour lequel j’ai pris des coups et été insulté copieusement.

En effet, je disais que leur retour immédiat serait difficile et qu'il fallait qu'ils soient patients car ça ne pouvait pas se faire du jour au lendemain alors que tous les autres partis de l’opposition comme de la majorité clamaient partout, par populisme, qu'il fallait les faire rentrer immédiatement au pays.

Maintenant, comme je le dis depuis le début, il faut donner une date butoir pour leur retour.

Il pourra éventuellement y avoir un report mais il faut leur donner un espoir. On ne peut plus les laisser comme ça car ils ont vraiment l'impression qu'ils ne rentreront plus jamais dans leur pays. 

     -Comment expliquez-vous le silence du Chef du gouvernement ?

-Par un manque de courage politique qui est désespérant mais aussi par une absence de respect de la personne humaine dans notre pays.

Si on leur avait dit dès le début qu’il n'était pas possible de rentrer immédiatement mais que ça sera le cas après l'Aïd par exemple, ils auraient compris sans aucun problème.

Aujourd'hui, le gouvernement se doit de fixer une date pour les faire rentrer progressivement.

En effet, il est anormal qu’il n’y ait aucune communication là-dessus et qu'on doive apprendre par la presse espagnole que 200 d’entre eux sont rentrés de Melilla. 

     -Votre conclusion sur ce discours ?

-L’acteur politique que je suis a été bluffé par le semblant de transparence alors que rien n'a changé, je pensais qu'on allait en sortir grandi mais finalement on voit que les vieux travers sont toujours là.

Ce discours a montré que le chef du gouvernement était vraiment incapable de gérer une crise de cette ampleur car nous ne demandions qu'à avoir confiance mais au final, c'est une vraie douche glacée.

Je suis désespéré par rapport à ce gouvernement mais comme j'ai vu de belles choses pendant cette crise, j'espère que les Marocains sauront mettre la pression dans les urnes pour changer les choses …

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