Patrice de Mazières: Hommages à un des pères de l’architecture moderne marocaine

Le grand architecte Patrice De Mazières de Chambon s’en est allé sur la pointe des pieds à l’âge de 90 ans dans la nuit du 8 au 9 juin. Une grande perte pour le paysage architectural marocain qu’il a fortement marqué avec une œuvre empreinte de modernité qui a façonné plusieurs villes du Maroc. Témoignages, hommages.

Patrice de Mazières: Hommages à un des pères de l’architecture moderne marocaine

Le 11 juin 2020 à 19h38

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Le grand architecte Patrice De Mazières de Chambon s’en est allé sur la pointe des pieds à l’âge de 90 ans dans la nuit du 8 au 9 juin. Une grande perte pour le paysage architectural marocain qu’il a fortement marqué avec une œuvre empreinte de modernité qui a façonné plusieurs villes du Maroc. Témoignages, hommages.

Si l’on devait oser un parallèle avec la chanson « Que reste-t-il de nos amours », plusieurs tomes ne suffiraient sans doute pas à retracer l’énorme apport professionnel de Patrice De Mazières de Chambon au champ architectural marocain mais aussi pour la promotion de la culture et des arts.

Avec son décès, c’est une grande page de la culture architecturale du Maroc qui se tourne mais qui restera malgré tout inscrite à jamais dans la mémoire des férus d’architecture et des habitants ou utilisateurs des nombreux édifices administratifs ou commerciaux qu’il a construits avec son associé Abdeslam Faraoui.

En effet, s’il a toujours été de bon ton d’encenser les mérites, réels ou supposés, des défunts, l’histoire ne pourra en effet jamais faire l’impasse sur cet avant-gardiste.

Un architecte féru d’art

Sollicité, L'artiste Fouad Bellamine affirme l’avoir bien connu à l’instar de tous les architectes et artistes "dignes de ce nom" qui lui doivent beaucoup.

« Plus qu’un architecte, Patrice était mû par une véritable fibre artistique. D’ailleurs, sa femme Pauline a ouvert en 1971 à Rabat la première galerie professionnelle d’art, L’atelier, où elle a organisé des centaines d’expositions d’artistes devenus des sommités par la suite.

« Elle a notamment exposé Mohamed Melehi puis Farid Belkahia, Miloud Labied, Mohammed Chabaa et beaucoup d’autres de tous les horizons avant que mon tour ne vienne en 1978.

Digne héritier de Le Corbusier

« Selon moi, Patrice a introduit la modernité dans l’architecture du Maroc avec plusieurs clins d'œil au grand architecte français Le Corbusier qui était le père de l’expérimentation architecturale en Europe.

« C'est en effet Le Corbusier qui a ramené ce souffle de modernité en France et en Algérie qui a fini par contaminer toute la nouvelle génération d'architectes qui ont commencé à exercer après l'indépendance à la fin des années 50.

« Durant les années 60, De Mazières et son associé ont ainsi contribué à reconstruire une ville comme Agadir, mais aussi édifier de nombreux bâtiments administratifs et d'immeubles de logement.

« Il était connu pour une architecture qui allait droit au but sans fioritures qui se caractérisait par des volumes simples tranchant par leur franchise et leur élégance.

Un duo qui fait entrer le Maroc dans la modernité architecturale

« Contrairement à l’époque actuelle faite d’éclectisme désorienté et sans véritable originalité, le travail de Patrice se distinguait par une audace et une modernité architecturale quasi-révolutionnaire.

« A partir de là, on peut dire que le duo De Mazières-Faraoui a largement contribué à faire entrer le Maroc dans l’ère de la modernité architecturale en poursuivant de manière plus que brillante l’expérience du laboratoire architectural qui avait élu domicile à Casablanca au début du 20ème siècle.

« Si son cabinet était à Rabat, son champ d’activité professionnel s’étendait à tout le Maroc et notamment dans le Sud où il avait une prédilection pour l’architecture de terre et les matériaux locaux.

Un architecte qui impose des artistes dans ses chantiers

« Ce qui est remarquable, c’est qu’il a été un des premiers architectes à faire appel à des artistes pour intégrer des œuvres in situ comme à l’hôtel Almoravides de Marrakech ou celui de Boulemane Dadès.

« En effet, il a fait appel à des artistes comme Chabâa, Belkahia, Melehi pour intégrer leurs œuvres picturales ou sculpturales dans ses réalisations architecturales comme des fresques sur les plafonds.

« Les gens de ma génération se rappellent encore avec émotion de la superbe fresque, aujourd’hui disparue, de Chabâa qui ornait l'aéroport de Rabat », conclut Bellamine pour qui le défunt avait une activité d'architecte indissociable de celle d'un artiste.

Dans la profession, trois éminents architectes, très courus, tiennent à saluer la mémoire d’un grand homme en se voulant tout aussi dithyrambiques que Bellamine sur le legs de leur aîné.

De Mazières, Zevaco, Riou, tous marocains d’adoption

Visiblement affecté par ce décès, Fikri Benabdellah nous déclare que De Mazières fait partie de la grande école des géants de l'architecture marocaine comme Jean François Zévaco ou Louis Riou, tous des fils d’adoption du Maroc où ils ont grandi et qui ont choisi d’y finir leur vie.

« Cette grande école née dans le sillage du Congrès International de l'architecture moderne (Ciam) a réussi une magnifique jonction entre l'architecture traditionnel et les vecteurs de modernité.

« Ils ont su faire une espèce de transmission sensible, savante et émotive entre les attributs de l'architecture traditionnelle et un tracé contemporain accolé à un certain nombre de mouvements philosophiques, littéraires et artistiques qui a permis au Maroc d’absorber ce qu’il y a de mieux dans le monde.

Le Maroc perd un fragment patrimonial

« Si cette icône dégage une image importante pour la jeune génération d'architectes, c'est parce qu'elle constitue la dernière charnière d'individus emblématiques qui ont réalisé un travail considérable.

« De Mazières a développé des techniques de construction extrêmement soudées mais il a aussi aimé les matériaux, les a développés dans leur couleur, dans leur plasticité et dans leur capacité constructive.

« Selon moi, il fait partie des génies et les jeunes doivent faire en sorte que sa disparition soit malgré tout un grand moment de célébration car nous avons perdu un grand fragment du patrimoine national.

Un hommage national s'impose

« Les jeunes architectes qui l’admirent ont donc le devoir de faire connaître son apport à l'architecture et à la culture du pays et doivent faire prendre la mesure de son importance aux autorités marocaines.

 « Quand les conditions sanitaires seront plus favorables, la profession se fera un devoir de rendre un brillant hommage à la mémoire de ce chantre de la poésie architecturale marocaine », conclut Benabdellah en ajoutant que pour être honnête, il convient de ne pas dissocier son apport de celui de son associé Feu Faraoui.

Le premier à mélanger béton et zelliges

Pour le renommé Omar Alaoui, Patrice De Mazières a été à lui seul une école de l'architecture moderne du Maroc.

« J’ai moins connu personnellement De Mazières que ses aînés Zevaco et Azaguri mais le défunt a incontestablement marqué l’architecture moderne du Maroc post-colonial.

« En effet, il laisse une empreinte indélébile avec une architecture épurée alliant des tons bruts et des murs blancs.

« C’est l'un des premiers architectes à avoir introduit des matériaux typiquement marocains comme par exemple des zelliges sur la façade de ses bâtiments.

« Si nous lui devons tant, c'est parce que c’est un des pionniers qui a su développer des projets à volumétrie moderne, notamment dans le Sud où il a allié modernité et respect de l’esprit traditionnel », déclare Alaoui.

« Il serait plus correct d'honorer les génies de son genre de leur vivant »

Tout aussi élogieux que son confrère, l’architecte Skander Amine précise qu’il n’a pas eu la chance de connaître personnellement Patrice de Mazières mais que cela ne l’empêche pas de connaitre l'homme à travers son œuvre qu'il qualifie de courageuse, moderne, rationnelle, inspirée, sérieuse, humble, engagée, dynamique, avant-gardiste, et enfin ayant des convictions ...

« Comme tous mes confrères, certaines de ses œuvres m'ont inspiré dans mon travail et je tiens à le remercier pour cela », explique Amine qui trouve regrettable que l'on parle trop peu de leur vivant des gens qui ont œuvré pour le développement du Maroc et qu’il faille attendre leur départ pour les encenser.

De Laforgue à De Mazières, un destin familial tout tracé

Ami du défunt depuis de nombreuses décennies, le docteur Marmey, bien connu à Rabat, nous rappelle que sa famille était très liée avec celle des De Mazières en précisant que son père et son grand-père également médecins ont mis au monde le jeune Patrice à la maternité de Rabat.

« Si je l’ai perdu de vue ces dernières années, nos familles se connaissaient depuis la tendre enfance avec un point commun. En effet, les De Mazières étaient architectes à Rabat depuis 3 générations tout comme les Marmey étaient médecins depuis mon grand-père.

« Patrice était le fils de l’architecte Serge et de Berthe De Mazières mais aussi le petit-fils d’Adrien Laforgue qui avait été appelé avec d’autres architectes européens par le Maréchal Lyautey à travailler au Maroc en 1912.

"Son grand-père a construit quasiment tout le centre de Rabat : la poste, les anciens ministères et à Casablanca il a édifié la Poste Centrale et la Cité ouvrière de l’Office Chérifien des phosphates.

 « Ce n’est donc pas un hasard s’il a autant marqué l’architecture du Maroc car son grand-père est à l’origine de très nombreux édifices qui font partie du patrimoine marocain », résume Marmey.

Il commence sa carrière en construisant l’école Lamartine de Rabat avec son architecte de père

Sollicitée au lendemain des obsèques de son mari, Pauline De Mazières veut garder le souvenir d’un architecte de grand talent qui a produit des choses magnifiques pour l’histoire du Maroc.

« Quand il est revenu de Paris après son diplôme d'architecte en 1959, à l’âge de 29 ans, il devait travailler avec son père Serge De Mazières puis prendre sa suite mais ça n’a pas collé car ils ne se sont pas entendus sur la manière de travailler.

« Au final, la seule chose qu’ils ont réalisé ensemble a été l'école Lamartine de Rabat qui relève de la mission culturelle française mais en réalité comme son père était malade, c'est lui qui a fini le chantier.

Une amitié parisienne qui accouchera d’un grand duo d’architectes

« A partir de 1961, il a retrouvé son ancien camarade d'école parisien, Abdeslam Faraoui, un peu plus âgé que lui, et ils ont monté leur agence commune à Rabat puis une annexe à Casablanca.

« Selon moi, leur succès professionnel s’explique par le fait qu’ils étaient parfaitement complémentaires mais aussi parce qu’en dehors de leur relation professionnelle, ils avaient beaucoup d'amitié et de respect l’un pour l’autre.

« Quand ils ont

démarré, il n'était pas aisé d'imposer une architecture moderne au Maroc parce qu’à l’époque on n’aimait que les tuiles vertes.

« Quand son ami et associé Abdeslam est tombé malade en 1985, Patrice a continué à travailler seul en entamant la construction du magnifique projet CDG Mahaj Erryad au quartier Hay Riad de la capitale.

 « Il a également dessiné le très joli centre AMSAHM (Association marocaine de soutien et d’aide aux handicapés mentaux) qui se trouve à Rabat ainsi que la remarquable faculté de médecine de Rabat qualifiée par plusieurs médecins qui y ont étudié de bâtiment magnifique pour l’éternité.

Au total, De Mazières aura conçu 500 édifices

"Après un infarctus en 2013 et une succession d’ennuis de santé, il a fini par fermer son agence mais voulant partager son travail, il a fait don de ses archives professionnelles aux Archives nationales qui seront numérisées et rendues disponibles pour tous les chercheurs et les futurs étudiants en architecture.

« Il y a au moins 360 rouleaux désormais conservés aux Archives nationales. A ces rouleaux, il faut ajouter une centaine de rouleaux qu’il a brûlés car il ne les jugeait pas dignes d’intérêt. En d’autres termes, le nombre total de ses projets architecturaux avoisine les 500 chantiers.

« Aux obsèques qui ont eu lieu mercredi 10 juin, j'ai découvert plusieurs aspects incroyables de mon mari que j'ignorais, malgré 68 ans de vie commune.

Malgré le Covid 19, il y avait foule aux obsèques

« En effet, j'ai rencontré plusieurs de ses anciens étudiants ou stagiaires au cabinet qui ont tous souligné son apport précieux dans le cours de leur carrière professionnelle.

« Ils ont souligné sa générosité en ajoutant qu’il leur avait tout appris notamment le sens de l'éthique », conclut Pauline De Mazières qui attend avec impatience la publication d’un livre en cours d’écriture intitulé « 100 ans d’architecture au Maroc » dont son défunt époux et le grand-père Adrien Laforgue seront les figures de proue.

"Mon père et mon oncle de cœur étaient des anticonformistes"

L’hommage à De Mazières n’aurait sans doute pas été complet sans solliciter Ali Faraoui, fils de son défunt associé, Abdeslam Faraoui, avec qui il a fait ses premières armes avant de devenir un très grand architecte.

« Dès mon plus jeune âge, Patrice était un membre de ma famille avec qui j’ai grandi jusqu'à ce que mon père déménage de Rabat et crée une antenne du cabinet originel à Casablanca.

« Après s'être connus à l'école spéciale d'architecture de Paris, ils sont devenus inséparables avant de devenir au moment de l'indépendance, l'avant-garde de l'architecture moderne du Maroc.

« Ça a été une très belle rencontre car dès le départ, c'étaient des personnes qui se voulaient anticonformistes sachant que toute leur vie, ils étaient plus proches de l'art que du business mercantile.

Faraoui, tout premier marocain diplômé d’architecture

 « Ainsi, en 1949, il a fait partie des 900 bacheliers du Maroc dont 800 ans ont choisi de faire médecine, 99 des études de droit et il a été le seul qui a demandé à étudier l'architecture. A partir de là, on peut dire que mon père a été le premier marocain diplômé en architecture.

 « Sachant que ma mère a ouvert la galerie Nadar en 1973 à Casablanca et Pauline, l’atelier à Rabat en 1971, l’art a occupé une grande place dans nos deux familles respectives.

Des architectes à la fois humanistes et amis de la culture

« La rencontre du milieu artistique de leurs épouses a permis aux deux architectes de promouvoir et d’aider de grands artistes en imposant à leurs donneurs d'ordre de mettre des œuvres d'art dans les entrées des bâtiments d'habitation ou dans des chambres d'hôtel avec des sérigraphies.

« Amis de la culture, c’étaient aussi des humanistes qui ne prenaient pas leur travail à la légère car ils disaient toujours qu'il ne fallait pas oublier qu’il y avait des humains à l'intérieur des coups de crayon et que l'architecture ne se résumait pas à une jolie façade d'immeuble », conclut très joliment le fils de Abdeslam Faraoui.

Ci-après, une série de clichés inédits du travail de Patrice de Mazières et de Abdeslam Faraoui, publiée avec l'aimable autorisation du site MAMMA (Mémoire des architectes modernes marocains):

1) Abdeslam Faraoui à gauche et Patrice De Mazières à droite dans leur cabinet casablancais (copyright MAMMA non datée)

2) Dades Hôtel Boumalen dans la région de Dades (1974-76). Copyright MAMMA

3) Photo récente de Patrice De Mazières (publiée avec l'aimable autorisation de sa femme)

4) Hotel Ibn Toumart dans la région de Taliouine, Morocco (1972-75). Copyright MAMMA

5) Faculté de Médecine de Rabat (1972-74). Copyright MAMMA

6) Immeuble à Agadir, Morocco (1961-62)  © MAMMA.

7) Postal-sorting center | Casablanca (1979) Copyright MAMMA

 

8) Immeuble à Agadir (1961-62) © MAMMA

9) Immeuble à Rabat, 1970 (Copyright MAMMA)

 

10) wholesale market à Casablanca, 1979-81 (Copyright MAMMA)

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