Loi de finances rectificative : De l’austérité habillée en politique de relance…

DEBAT. Au moment où le monde économique s’attendait à une hausse des dépenses publiques pour contrer les effets de la crise, le gouvernement présente un projet de Loi de Finances rectificative où les dépenses d’investissement ainsi que celles de fonctionnement sont en baisse. Appelé à jouer un rôle central dans cette sortie de crise, l’Etat n’a annoncé aucune grande mesure en faveur de la relance et n’a présenté aucune vision de l’après Covid-19.

Loi de finances rectificative : De l’austérité habillée en politique de relance…

Le 9 juillet 2020 à 19h26

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

DEBAT. Au moment où le monde économique s’attendait à une hausse des dépenses publiques pour contrer les effets de la crise, le gouvernement présente un projet de Loi de Finances rectificative où les dépenses d’investissement ainsi que celles de fonctionnement sont en baisse. Appelé à jouer un rôle central dans cette sortie de crise, l’Etat n’a annoncé aucune grande mesure en faveur de la relance et n’a présenté aucune vision de l’après Covid-19.

C’est la montagne qui a accouché d’une souris. D’une toute petite souris. « Ou la souris qui croit avoir accouché d’une montagne », comme le souligne ironiquement l’économiste Nezha Lahrichi. « Ce n’est même pas une souris, c’est une puce », lance pour sa part l’économiste Najib Akesbi.

Ce projet de Loi de Finances rectificative (PLFR) cristallisait beaucoup d’espoirs. Dans une situation de crise inédite, un double choc de l’offre et de la demande, un véritable plan de relance avec des mesures fortes, des ruptures, des orientations nouvelles dans la politique économique étaient attendus. Mais le PLFR tel que présenté par le gouvernement s’apparente à un simple texte de réactualisation du budget d’avant-Covid.

Aucune mesure forte n’y est annoncée. Ni pour le soutien de l’offre, ni pour la demande. Et l’effort budgétaire qui était demandé par l’ensemble des opérateurs, économistes et acteurs politiques, est totalement absent.

Dans ce projet, l’Exécutif se contente de mettre à jour les hypothèses de croissance (-5%) et de déficit budgétaire (7,5%), et réajuste les dépenses et les recettes de l'Etat en fonction de ces éléments nouveaux. Loin, très loin de ce qui était attendu (et espéré) par la sphère économique.

Dès le déclenchement de la crise, de nombreux économistes marocains ont en effet appelé à un changement de dogme dans la gestion budgétaire dans l’espoir d’un retour de l’Etat providence qui utilise l’instrument budgétaire pour favoriser la croissance, créer de l’emploi, investir massivement dans les secteurs sociaux (santé et éducation notamment) et instaurer des filets et des aides directes pour les populations les plus vulnérables. Une des réflexions générées par la crise et partagée par la grande majorité des économistes et des intellectuels au Maroc et dans le monde.

Ce PLFR devait en principe acter ce virage, ce retour de l’Etat protecteur, stratège, qui utilise la dépense publique comme outil de relance. C’est finalement tout l’inverse qui s’est produit, le gouvernement El Othmani ayant « concocté » un plan prévoyant une baisse générale des dépenses, aussi bien celles de fonctionnement que celles (stratégiques) de l’investissement.

Ce qui fait dire à plusieurs économistes et acteurs politiques sondés par Médias24, qu’on est face à une politique d’austérité, que le gouvernement tente de déguiser en stratégie de relance.  

Baisse des dépenses à tous les étages

« C’est une politique d’austérité évidente aux yeux de tous ceux qui savent lire une loi de finances », lance Nezha Lahrichi. Un avis partagé par le député et membre de la commission parlementaire des finances Omar Balafrej qui estime qu’on est « clairement devant un budget d’austérité ». Najib Akesbi, lui, est encore plus sévère : « C’est pire que de l’austérité. C’est du masochisme. On est en train de s’autodétruire. C’est un projet de loi qui nous enfoncera encore plus dans la crise ».

Les chiffres du PLFR parlent d’eux-mêmes. Alors qu’on s’attendait à un effort budgétaire soutenu et volontariste de la part de l’Etat, le gouvernement présente dans son budget des dépenses de fonctionnement en baisse de 2,76% et des dépenses globales d’investissement en chute de 8%.

« J’ai été atterré quand j’ai vu ces chiffres », tonne Najib Akesbi. « J’avais réellement un petit brin d’espoir, je croyais vraiment qu’on avait compris que les politiques antérieures ne menaient à rien. Je pensais qu’on allait augmenter les dépenses et les restructurer pour un meilleur ciblage. On n’a finalement ni augmenté les dépenses, ni engagé leur restructuration. Ceci reflète un état d’esprit au sein du gouvernement qui semble vouloir refermer au plus vite la parenthèse du Covid et continuer à utiliser les mêmes recettes d’avant la crise ».

Omar Balafrej ne se dit même pas choqué, ni surpris : « Je m’y attendais. Rien ne montrait qu’on se dirigeait vers des ruptures ou des changements de dogme ». Le pire, dit-t-il, c’est qu’on nous parle de relance en « jouant » sur les chiffres.

Le député FGD fait ici référence aux annonces gouvernementales qui parlent d’une hausse de 15 milliards de dirhams de l’investissement pour soutenir l’économie. Un chiffre trompeur en vérité, car il ne s’agit là que de l’investissement du budget général de l’Etat central, et qui ne prend pas en compte la plus grosse part de l’investissement public qui provient des établissements et entreprises sous la tutelle de l’Etat. Celui-ci a été amputé selon les données du PLFR de près de 30 milliards de dirhams, passant d’une enveloppe de 101,2 milliards en début d’année à 72 milliards actuellement, soit une baisse de 28,3%. Idem pour l’investissement des collectivités territoriales qui a été également amputé de 23%, passant de 19,5 à 15 milliards de dirhams.

Des baisses contre-balancées relativement par la hausse de l’investissement du budget général, mais qui maintiennent la tendance de l’investissement global à la baisse (-8%).

En parlant de « manipulation des chiffres », Balafrej fait également référence à l’origine de ces 15 milliards, présentés comme un effort supplémentaire de l’Etat. Or il ne s’agit pas selon lui d’un argent nouveau qui est injecté dans le budget, mais d’une simple réallocation des ressources des différents ministères.

Le département de l’éducation amputé de 5 milliards de dirhams

« On n’a rien créé de nouveau, on a simplement amputé les budgets de certains ministères pour les transférer au ministère des Finances qui engagera des investissements dont on ne connait toujours pas les détails », précise-t-il. « Même le ministère de l’Education n’a pas été épargné, puisqu’on l’a amputé de 5 milliards de dirhams : 1,5 milliard sur la rubrique des investissements et 3,5 sur les dépenses de fonctionnement. Ce qui signifie des écoles et des recrutements en moins dans l’éducation ».

Il nous révèle également que le ministère de la Santé qui aurait dû voir ses moyens renforcés n’a été doté d’aucun dirham supplémentaire. « Je pense qu’ils n’ont pas osé toucher au budget de la santé, qui est donc resté stable. Or, c’est ce département en particulier qui aurait dû bénéficier de plus de moyens en ces circonstances », déplore-t-il.

Le PLFR qui devait donc marquer une rupture, une transition vers un nouvelle façon de gérer la question budgétaire, s’inscrit ainsi dans la continuité de ce qui se faisait jusque-là : gérer au mieux les sacro-saints équilibres macro-économiques.

Face à la chute des recettes (hors emprunts) par rapport à ce qui été prévu initialement (-17,38% ou 44 milliards de dirhams), le gouvernement a essayé de grapiller ici et là pour limiter la casse et aboutir in fine à un déficit de 7,5%, qui n’est pas, rappelons-le, inédit.

Nabil Adel : "l'Etat veut garder des cartouches"

En 2011, le déficit budgétaire (hors privatisations) avait même atteint 7,6% à cause notamment de l’explosion des charges de la compensation. Et le pays y a survécu, sans tomber dans le piège du surendettement ou de la perte de souveraineté. Dans ce contexte de crise mondiale, nos sources pensent qu’on aurait pu aller encore plus dans le déficit, puisque c’est la politique qui est suivie dans le monde entier, y compris dans les pays les plus orthodoxes, et qui paraît être la seule solution pour venir au secours d’une économie paralysée par le Covid-19.

Un point de vue que ne partage pas Nabil Adel, professeur d’économie qui se réclame d’un courant économique conservateur. « Je suis heureux que le gouvernement ne soit pas tombé dans ce piège, et qu’il ait préféré jouer la prudence et la raison », nous dit-il. « L’Etat ménage des cartouches pour l’avenir. Car tant que l’on n’a pas éradiqué le virus, on ne peut pas s’aventurer dans des politiques dépensières. Avec un déficit budgétaire de 7,5%, une deuxième vague et un reconfinement de la population nous fera passer à au moins 13% de déficit et une explosion de la dette publique. Donc tant qu’on n’a pas résolu le problème du virus, on ne peut pas aller dans le sens des chantres de la relance par la dépense publique », argumente-t-il.

Une opinion qui tranche avec celle de la majorité des économistes sondés par Médias24 depuis le début de la pandémie mais qui semble, en tout cas, coller à la politique affichée (mais non assumée pour l’instant) par le gouvernement El Othmani.

L’effort de relance sous-traité aux banques…

En faisant le choix d’une politique budgétaire ultra-conservatrice, le gouvernement sous-traite de fait l’effort de relance à d’autres acteurs, les banques à leur tête.

Pour le soutien de l’offre et des entreprises, le PLFR se contente en effet de reprendre les mesures déjà prises par le CVE, basées essentiellement sur l’instrument crédit. Le gouvernement annonce que des plans sectoriels seront actés avec les différentes fédérations de la CGEM, mais aucun détail de ces plans n’est annoncé pour l’instant.

En attendant, toute la pression sera supportée par les banques à travers les crédits mis en place pour renflouer la trésorerie des entreprises et assurer leur survie : « Damane Oxygène » pour la période du confinement et « Damane Relance » pour la phase du redémarrage. Le premier produit a mobilisé 17 milliards de dirhams jusque-là, comme annoncé mercredi 8 juillet par le ministre des Finances au Parlement. Le second mobilisera un total de 66 milliards de dirhams sous forme de crédits à moyen terme (5 ans), avec une franchise de 2 ans.

Si les deux produits sont appuyés par la garantie de la CCG, ils n’ont toutefois bénéficié d’aucun concours budgétaire de l’Etat, puisque leur couverture sera assurée par le fonds anti-Covid, comme l’a annoncé le ministre des Finances. La CCG, bras armé de l’Etat dans cette opération de relance par le crédit, sera dotée à travers ce fonds d’une enveloppe de 5 milliards de dirhams pour pouvoir faire face à ces nouveaux engagements.

Un fonds qui a été jusque-là le principal outil d’intervention des pouvoirs publics et auquel le budget de l’Etat n’a concouru qu’à hauteur de 10 milliards de dirhams, contre 23 milliards de contributions venues des entreprises, des grosses fortunes du pays, d’institutionnels et de citoyens de tout bord…

Un effort qui met la pression sur les banques, qui sont comme le souligne une de nos sources entre deux feux, « celui de la Banque centrale qui contrôle leur faits et gestes, et celui des entreprises qui les appellent au secours en l’absence d’outil de recapitalisation ou de renflouement des fonds propres portés par l’Etat ».

Et qui sera en même temps insuffisant pour éviter les faillites en cascade d’entreprises qui partent déjà avec le handicap du surendettement et qui feront de l’emploi leur seul et unique variable d’ajustement.

« Cette absence de l’Etat va livrer les salariés à la loi du marché. Sans relance réelle par l’intervention étatique, il y aura des effets de persistance, comme le chômage et la dégradation du pouvoir d’achat des ménages. Dans ces conditions, si l’investissement privé ne suit pas, pour créer de la valeur et des emplois, on se dirigera vers une véritable catastrophe sociale », alerte un des économistes consultés par Médias24.  

Aucun mécanisme pour le soutien de la demande

En essayant de répondre à cette problématique des licenciements massifs qui sont programmées aussi bien dans les entreprises privées que publiques, le gouvernement a essayé d’intervenir dans le PLFR en conditionnant les aides octroyées par la préservation d’au moins 80% des emplois déclarés à la CNSS. Une mesure qui tente de limiter la casse, mais qu’on peut voir aussi comme une autorisation implicite donnée aux entreprises de licencier jusqu’à 20% de leurs salariés. «Cela montre bien que même dans l’esprit du gouvernement, l’emploi sera la variable d’ajustement pour sauver les entreprises. Et le PLFR ne parle que des salariés déclarés à la CNSS. Ceux qui ne sont pas déclarés sont d’office livrés à leur sort et seront les premières victimes de cette politique de flexibilité à l’américaine qui n’est pas assumée », commente notre économiste.

De son côté, le député Omar Balafrej se dit très inquiet du sort qui sera réservé aux salariés et de la dégradation du pouvoir d’achat d’une grande partie des ménages marocains, en l’absence de véritables mécanismes de relance et de protection sociale.

Pendant le confinement, l’Etat, à travers le fonds Covid, a tenté d’amortir le choc de la crise, en soutenant le pouvoir d’achat par la distribution d’aides directes aux ménages : 2.000 DH d’indemnités mensuelles pour le chômage partiel des salariés déclarés à la CNSS et entre 800 et 1.200 DH par mois pour les populations évoluant dans l’informel (Ramedistes et non Ramedistes).

Ce filet social - qui a permis de maintenir à flot quelque 900 000 salariés et 5,5 de familles opérant dans l’informel - a pris fin le 30 juin. Et rien n’indique pour l’instant s’il sera reconduit ou non. « Le PLFR ne fait aucune mention de la prolongation de ces mesures, qui peuvent amortir le choc de l’explosion du chômage et sauver les gens de la précarité. Et on ne sait toujours pas si ce mécanisme va être reconduit ou pas », confirme Omar Balafrej, qui n’exclut pas des risques de tensions sociales dans l’avenir si le gouvernement ne réfléchit pas dès à présent à des filets sociaux pour ces centaines de milliers de personnes qui se retrouveront du jour au lendemain sans revenus.

Au-delà de ce volet, le PLFR était également attendu sur une politique de soutien de la demande, deuxième levier de sortie de cette crise inédite. Des partis politiques comme l’Istiqlal, l’USFP, le PPS, le PAM ont envoyé avant la préparation du PLFR des propositions en ce sens pour permettre une relance de la consommation, en injectant du pouvoir d’achat dans l’économie par des baisses des taux de l’IR, de la TVA et de certaines taxes. Mais aucune mesure fiscale ou non fiscale n’a été retenue ou décidée, le gouvernement considérant certainement que la sortie de la crise, la reprise de la consommation, passera d’abord par le soutien à l’offre. Mais sans réellement faire un effort budgétaire quelconque pour soutenir cette offre, à part pousser les entreprises à s’endetter encore plus.

« C’est un projet purement technocratique. On sent que le gouvernement essaie de faire le dos rond face à la crise, avec comme seul objectif de limiter l’impact sur les équilibres macroéconomiques, sans penser à l’avenir, aux changements que nous impose la crise… Il n’y a aucun souffle politique dans ce projet. Aucune vision. Comme si ce que le monde a vécu n’a été qu’un mauvais rêve, une parenthèse qu’on a envie de vite refermer…», se désole un grand économiste et ancien haut commis de l’Etat contacté par Médias24.

Même son de cloche recueilli auprès de Najib Akesbi, Nezha Lahrichi ainsi que d’autres économistes qui ont préféré s’exprimer sous couvert d’anonymat. Déçus, ils estiment qu’on a tous été un peu rêveurs en imaginant que la crise du Covid pourrait secouer le cocotier, nous sortir des dogmes du passé et enclencher des ruptures profondes dans la gestion de la politique budgétaire.

Industrie : quelques lueurs d’espoir

Le Maroc post-Covid sera donc le même que celui d’avant la pandémie. C’est le seul message lisible qui transparaît, selon nos sources, de ce PLFR. Sauf peut-être en ce qui concerne la nouvelle stratégie industrielle, pour laquelle quelques signaux positifs ont été envoyés à travers ce texte, comme le note Omar Balafrej.

C’est le cas de l’activation de la préférence nationale dans les marchés publics, et l’augmentation des droits de douane de 30 à 40% sur les produits finis de consommation importés de pays hors ALE. Insuffisant pour amorcer le nouveau virage industriel comme imaginé par Moulay Hafid Elalamy -qui suppose une renégociation de l’ensemble des ALE signés par le Maroc. Néanmoins, ces mesures envoient au moins un signal, montrent un cap, une volonté affichée d’aller vers une protection raisonnable de l’industrie et des entreprises locales. Et signent le début d’une rupture avec les dogmes du passé en matière de commerce extérieur.

Autre lueur d’espoir soulignée par le député FGD : le texte sur l’industrie de l’armement examiné en Conseil des ministres. « On ne connait pas encore les détails de ce que prévoit ce texte, mais ce signal me paraît positif. Il peut être potentiellement porteur d’espoir en termes d’investissement et de création d’emploi industriels, et peut nous économiser des milliards de dollars en importations », signale Omar Balafrej.

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