Ciblage des aides sociales : les leçons pour l’après-Covid, selon Larabi Jaidi

La crise de la Covid-19 a démontré que le Maroc a besoin dans les meilleurs délais d’un système de ciblage des aides sociales efficace. La réforme en cours doit tirer les leçons de cette expérience grandeur nature. Voici les leçons à retenir selon l’économiste Larabi Jaidi.

Ciblage des aides sociales : les leçons pour l’après-Covid, selon Larabi Jaidi

Le 29 juillet 2020 à 13h41

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

La crise de la Covid-19 a démontré que le Maroc a besoin dans les meilleurs délais d’un système de ciblage des aides sociales efficace. La réforme en cours doit tirer les leçons de cette expérience grandeur nature. Voici les leçons à retenir selon l’économiste Larabi Jaidi.

Pendant le confinement, le gouvernement a mis en place des aides directes pour limiter l’impact de l’arrêt forcé de l’activité économique sur une large frange de la population travaillant dans l’informel. Pour cibler les personnes éligibles à ces aides, le gouvernement a dû se baser sur l’existant notamment les cartes Ramed et puis les déclarations spontanées des citoyens.

Un système qui a permis de ratisser large et dont le ciblage n’était pas au point, car de l’aveu même du ministre de l’intérieur, il y a bien des personnes non éligibles qui ont bénéficié des aides et des personnes cibles qui n’en ont pas bénéficié.

Mais en somme, il s’agit d’une première expérience grandeur nature de distribution d’aides directe à une cible donnée. Une expérience qui mérite d’être analysée pour en tirer les leçons. C’est le travail effectué par l’économiste Larabi Jaidi dans un policy paper d’une trentaine de pages publié par le Policy Center For The New South.

Les techniques de ciblages

Avant se pencher sur l’expérience marocaine dans ce domaine, il convient de rappeler que le ciblage « est l’ensemble du processus (méthodologie, outil, système d’information) permettant d’identifier, dans une population donnée, des entités (individus/ménages/zones) présentant certaines caractéristiques communes. Le ciblage vise à optimiser, dans un contexte de ressources limitées, la distribution/redistribution des ressources en s’assurant que l’aide parvient, en priorité, à ceux qui en ont le plus besoin ».

Larabi Jaidi rappelle aussi que le ciblage peut avoir d’autres objectifs comme promouvoir une croissance et un développement plus équilibrés ; redistribuer la richesse afin de poursuivre des objectifs d’équité sociale ; ou maximiser l’impact sur les principaux indicateurs de développement (pauvreté, éducation, santé...).

« Un système de ciblage renvoie, donc, à une question d’arbitrage sur des décisions relatives à des mesures d’aides sociales, tenant compte des objectifs et priorités retenus et des ressources disponibles. A terme, le ciblage doit permettre de maximiser l’impact des programmes d’assistance sociale ou, plus largement, de protection sociale, tout en promouvant l’équité sociale», explique-t-il.

Dans ce sens, les techniques utilisées sont multiples. Mais « les techniques de ciblage, quelle que soit leur pertinence, ne peuvent être d’un réel apport à l’efficacité des programmes des filets sociaux que si elles s’appuient sur une définition rigoureuse des phénomènes qu’elles sont censées saisir (pauvreté, vulnérabilité), et si un système de suivi-évaluation des programmes est établi et appliqué. La mise en place du Registre social unifié sera confrontée à la nécessité d’apporter des réponses à ces questions ».

Les expériences de ciblage au Maroc

L’analyse des politiques des aides sociales appliquées au Maroc montre que quatre grandes techniques de ciblage ont été adoptées dans différents programmes allant de l’absence de ciblage pour le plus important d’entre eux, la compensation hors FNBT, au ciblage individuel par le test d’éligibilité multidimensionnel (TEM), explique M. Jaidi dans son analyse.

Le Maroc a eu recours au ciblage géographique, notamment avec les cartes de pauvreté sur la base desquelles plusieurs programmes d’aides ont été déployés.  « Dans la longue trajectoire de la stratégie de lutte contre la pauvreté, ces programmes ont donné des résultats. En témoignent, la baisse des taux de pauvreté, l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base…Mais peut-on, pour autant, dire que les ressources ont été utilisées avec efficience, que des populations n’ont pas été laissées sur le « bord du chemin », que des territoires n’ont pas été marginalisés ? », s’interroge l’économiste.

« Une géographie de la pauvreté est nécessairement complexe et doit être lue à travers plusieurs filtres successifs permettant de répondre aux questions suivantes : où sont les pauvres ? Quelles sont les dimensions territoriales des dynamiques de pauvreté ? En quoi la disposition des pauvres dans l’espace joue-t-elle un rôle positif ou négatif sur les phénomènes de pauvreté ? (...) Il faut garder en mémoire le fait que ces politiques sont susceptibles de jouer différemment en fonction de la mobilité et de la localisation résidentielle des ménages », poursuit Larabi Jaidi.

Le Ramed et Tayssir, des cas d’école

La deuxième technique de ciblage expérimentée au Maroc est celle par le TEM. C’est le cas notamment du Régime d’Assistance médicale aux Economiquement Démunis (RAMED).  Dans son analyse de cette expérience, Larabi Jaidi conclut que «l’estimation de la population éligible au Régime s’est heurtée à plusieurs difficultés, et tout particulièrement à la définition de la pauvreté ainsi qu’aux ajustements géographiques. (…) Les critères du régime sont complexes, surtout du fait d’une procédure qui tient compte du revenu et du patrimoine déclarés mais qui laisse une marge d’appréciation aux commissions d’éligibilité ». Ainsi, « la marge d’erreur dans l’estimation de la population cible est, donc, considérable ».

La troisième technique de ciblage analysée par l’économiste est celle adoptée pour le programme Tayssir : un ciblage géographique et catégoriel. La mise en oeuvre du programme a révélé quelques défaillances dans le ciblage : 

- L’absence d’un mécanisme de ciblage direct des bénéficiaires. L’opération de ciblage des ménages bénéficiaires du programme est indirecte, puisqu'elle se base sur la zone géographique et ne tient pas compte du niveau socio-économique des familles.

- Le programme a été confronté aux limites du ciblage géographique. En clair, lorsqu'une commune répond aux critères d’éligibilité socioéconomiques (pauvreté et précarité), l’ensemble des ménages y résidant peut bénéficier de Tayssir, incluant des familles n’étant pas dans le besoin, ce qui crée des erreurs d’inclusion, mais aussi d’exclusion. Des communes non éligibles, d’un point de vue socioéconomique, comportent tout de même des poches de pauvreté dont les résidents seraient normalement bénéficiaires des subventions Tayssir.

- Le cadre contractuel souffre de quelques défaillances : non-respect de la structure organisationnelle et défaut de coordination, absence de mécanisme de suivi évaluation.

Le programme Tayssir a subi des modifications en cours de route visant son amélioration. « Cependant, dans cette opération d’extension des bénéficiaires et d’amélioration des dispositifs mis en oeuvre, le ciblage n’a été que partiellement ajusté », conclut Larabi Jaidi.

L’examen des expériences d’aide aux ménages ne peut se passer de l’étude de l’expérience de la compensation. Dans ce cadre d’analyse, il s’agit de la technique du ciblage aveugle ou du non ciblage. « Les transferts effectués par la Caisse sont de type universel. Les subventions sont ouvertes à toutes les catégories de la population, mais il a été constaté qu’une large proportion de ces subventions n’atteint pas les consommateurs, et celle qui leur parvient bénéficie essentiellement aux plus riches », résume l’économiste.

« En dépit de ses impacts, la compensation crée des effets pervers et des comportements anti- économiques : gaspillage de ressources, découragement pour l’utilisation des énergies renouvelables et pour l’efficacité énergétique, non-incitation à la recherche de réduction des coûts, effets de distorsion », ajoute l’auteur. 

Une réforme de la caisse de compensation est engagée depuis plusieurs années pour mettre fin à ce système qui reste « un poids encore contraignant dans la gestion des finances publiques (…) avec comme arrière-plan l’exigence d’une meilleure allocation des ressources et une sélectivité dans l’orientation des transferts ».

Les enseignements à retenir

« A la lecture des résultats des différentes méthodes, l’expérience laisse apparaître une large marge d’erreurs et d’exclusion dans le ciblage des populations. C’est le cas lorsque les critères de ciblage utilisés sont trop inclusifs au regard des ressources disponibles. C’est, aussi, le cas lorsque les critères ne sont pas rigoureusement définis ou sont mal pondérés. L’expérience laisse, aussi, apparaître un recours fréquent à la décision discrétionnaire de commissions pour l’identification finale des bénéficiaires. Cela augmente le risque d’exclusion de certains groupes ou bénéficiaires potentiels », analyse Larabi Jaidi. 

« Le ciblage objectif est primordial pour des raisons d’équité. En effet, un meilleur ciblage permettrait de concentrer les ressources sur ceux qui en ont le plus besoin et de maximiser, ainsi, l’impact des programmes sociaux », poursuit-il. 

C'est la raison pour laquelle une réforme multidimensionnelle a été engagée par l’Etat pour donner une cohérence d’ensemble à la politique publique d’aide aux ménages et populations vulnérables. Elle touche la caisse de compensation à travers la décompensation d’un certain nombre de produits subventionnés. Elle touche aussi les différents programmes sociaux comme le Ramed, Tayssir et d’autres en vue d’améliorer leur ciblage en attendant la réforme ultime, celle du ciblage lui-même.

Dans cette réforme, ce ne sont pas les programmes qui définiront une cible donnée en se basant sur une technique qui peut varier d’un programme à un autre. Il s’agit plutôt de mettre au point un système de ciblage unique des populations sur lequel les programmes sociaux s’appuieront pour toucher leur cible en fonctions de leurs critères. Ce système, le Registre Social Unique (RSU), dont le déploiement est en cours, se base sur des technologies d’identification avancées et un système de scoring plus précis.  

Jaidi identifie trois défis majeurs pour toute réforme de la politique sociale et de la technique de ciblage qui s'en suivra. Il y a d'abord « le retour sur le concept de pauvreté ».

« Les débats sur les questions relatives à la mesure de la pauvreté ne finissent pas de s’imposer, non seulement en raison de leur pertinence dans le ciblage des populations pauvres ou vulnérables mais, également, dans une perspective plus large de l’institutionnalisation des politiques publiques de lutte contre la pauvreté. L’identification des individus et des ménages pauvres nécessite de s’accorder sur une base informationnelle capable de révéler, le plus fidèlement possible, l’information concernant le niveau de bien-être des ménages enquêtés. Il est aussi nécessaire, avant de mener toute politique de réduction de la pauvreté, de retenir une méthode de mesure pertinente du phénomène et de définir un mécanisme transparent et efficace de ciblage des bénéficiaires des programmes d’aide », conseille Larabi Jaidi. 

Le deuxième défi est relatif aux « difficultés du ciblage ».  « Il faut minimaliser les erreurs d’inclusion et d’exclusion. Mais, il est difficile de diminuer les unes sans augmenter les autres. Un arbitrage entre les deux types d’erreurs est, donc, souvent nécessaire », précise-t-il.

Le troisième et dernier défi est celui relatif à « l'imperfection de l'information ». «La réalisation d’une base de données sociale harmonisée est une tâche essentielle pour la mise en oeuvre d’une politique de ciblage efficace. Cette tâche est contrariée par le manque de coordination entre les différents Ministères et Départements, pour ce qui est de la collecte des données sectorielles, en particulier au niveau de la Province ou de la Commune », avance l'économiste. 

« Il est donc essentiel de mettre en place des systèmes d’information et de gestion (SIG) pour les différents filets de sécurité et régimes de protection sociale et rendre les systèmes d’information fonctionnels pour échanger des informations entre eux (interopérabilité). (...) Les SIGs sont un moyen d’intégrer des systèmes de gestion des données qui permettent, à la fois d’avoir une vision de l’ensemble des filets sociaux et régimes de protection sociale et de proposer une allocation plus équitable des ressources financières et humaines. Ils aideront à la surveillance et à la transparence de l’action publique, et permettront la responsabilisation des gestionnaires des différents régimes. Ils sont, également, utiles
pour éviter les doublons », préconise Larabi Jaidi. 

Ce dernier insiste sur la nécessité de « renforcer la capacité de l’Etat à mieux identifier les populations vulnérables, les zones de forte fragilité sociale pour augmenter l’impact social de son action ».

Il estime par ailleurs que « les performances de ciblage des programmes ne sont pas seulement liées à la disposition de techniques de ciblage robustes et efficaces. Elles sont, aussi, étroitement liées à l’évaluation des incidences de ces programmes, de l’accessibilité des populations aux services et aux prestations qui leur sont destinées».

« C’est que la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité et la réduction des inégalités imposent des choix. Les politiques publiques visent à satisfaire beaucoup d’objectifs souhaitables : fournir aux plus pauvres un revenu ; les réinsérer dans la société ; la réduction des risques qu’ils subissent ; le ciblage des transferts vers ceux qui en ont le plus besoin. Tous ces objectifs sont louables, mais inévitablement, entrent en conflit les uns avec les autres. L’éradication de la pauvreté impose, dès lors, non seulement des arbitrages mais mobilisent des dispositifs différents qui ne se limitent pas aux techniques de ciblage », conclut-il. 

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