Interrogations autour des 230 milliards alloués à l'investissement public en 2021

Cette enveloppe est en augmentation de 26% par rapport au budget d'investissement de 2020. L’Etat montre a priori sa volonté d'augmenter son effort de dépenses, mais en attendant les détails du projet de loi de finances, ce montant suscite des interrogations aussi bien dans le secteur privé que chez certains économistes quant à sa véritable teneur.

Interrogations autour des 230 milliards alloués à l'investissement public en 2021

Le 15 octobre 2020 à 17h49

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Cette enveloppe est en augmentation de 26% par rapport au budget d'investissement de 2020. L’Etat montre a priori sa volonté d'augmenter son effort de dépenses, mais en attendant les détails du projet de loi de finances, ce montant suscite des interrogations aussi bien dans le secteur privé que chez certains économistes quant à sa véritable teneur.

230 milliards de dirhams d'investissement public pour 2021. Le chiffre est inédit. Jamais le budget de l'investissement public n’a dépassé la barre des 200 milliards de dirhams. Pour 2020, ce même budget était de 198 milliards, avant qu’il ne soit ramené à 182 milliards dans la loi de finances rectificative.

Par rapport à cette enveloppe dédiée à l’année budgétaire 2020, l'investissement public en 2021 sera renforcé de 48 milliards de dirhams, soit une progression de 26%. Une progression encore une fois inédite.

Un chiffre à retraiter de l'apport des institutionnels

« C’est un bon signal qu’adresse le gouvernement à l’économie. Ca montre qu’on ne sera pas dans une logique d’austérité, que l’Etat assumera sa responsabilité de premier investisseur et de principal moteur de la relance de l’économie », estime un membre du patronat. Avant de nuancer « qu’il faut maintenant que l’on sache les détails de ces investissements, leur affectation, et surtout être sûr que ce qui est budgétisé sera exécuté. Car ce n’est souvent pas le cas », estime-t-il.

Contacté par Médias24, un éminent économiste trouve également ce signal rassurant, mais affiche un certain scepticisme quant à la teneur de ce montant annoncé. 

« Si on veut le prendre comme un signal, oui, c’est effectivement un bon signal à l’économie. Mais nous n’avons pas encore les détails de ce budget d’investissement. On ne peut pas donc nous prononcer sur la chose, surtout que dans ce budget, on compte également le fonds d’investissement stratégique de 45 milliards, dont le plus gros viendra des acteurs privés et non de l’Etat », estime-t-il.

Ces 230 milliards prennent en effet en compte, selon le communiqué post-conseil des ministres, l’enveloppe de 45 milliards qui sera allouée au Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Un fonds dont la création a été annoncé par le Roi dans son discours du Trône, et dont le montage a été également détaillé par le souverain lors de son discours d’ouverture du Parlement prononcé vendredi dernier.

Ce fonds, comme annoncé par le Roi, sera alimenté à hauteur de 15 milliards de dirhams par le budget de l’Etat. Une injection qui servira à mobiliser les ressources des institutionnels nationaux et étrangers à hauteur de 30 milliards.

Si on soustrait les 30 milliards qui seront apportés dans ce fonds par les investisseurs institutionnels, l’effort d'investissement public descend ainsi à 200 milliards de dirhams. Il reste tout de même un budget en augmentation de 9,8% par rapport à celui de 2020 (182 milliards).

Mais là encore, et en l’absence des détails du projet de loi de finances, notre économiste émet des interrogations par rapport à ce chiffre retraité et le véritable effort budgétaire qui sera consenti par le gouvernement en 2021.

« Il faut qu’on sache ce qu’on compte dans les 200 milliards de dirhams. Les 15 milliards affectés au fonds d’investissement devaient être prélevés du budget de l’investissement de l’année 2020 comme annoncé par le ministre des Finances après le discours du Trône. Si le fonds n’est pas bouclé durant cette année budgétaire, ce budget des 15 milliards sera donc transféré au budget de l’année 2021. Donc en réalité, dans les 200 milliards, peut-être qu’on aura 15 milliards provenant d’un simple transfert d’une année budgétaire à l’autre. Ce ne sera pas de l’argent nouveau, mais juste un transfert, un jeu d'écriture comptable », explique-t-il.

Calcul fait, en suivant cette hypothèse émise par notre économiste, l’effort d’investissement public sera en 2021 de 185 milliards, soit un niveau quasi similaire à celui voté dans la loi de finances rectificative de 2020 (182 milliards). Un niveau qui était déjà en baisse de 18% par rapport à ce qui était prévu initialement dans la première loi de finances de 2020 (198 milliards).

L'exécution du budget, le véritable enjeu

Une tendance qui se comprend parfaitement, puisque l’Etat vit également une situation particulière et fait face à une équation financière extrêmement compliquée à résoudre.

Avec une baisse attendue des recettes fiscales de 20 à 25 milliards de dirhams, et des dépenses de fonctionnement difficilement compressibles, notamment celles relatives à la masse salariale, le maintien de l’investissement à son niveau de 2019 peut être lu en soi comme un véritable effort budgétaire consenti par l’Etat pour maintenir la dépense publique à un niveau correct. Car le choix de facilité aurait été de couper -comme l’a fait le gouvernement Benkirane en 2013 au moment de l'explosion des charges de la compensation- dans le budget de l’investissement pour alléger le déficit des comptes publics. Le gouvernement Elotmani n’a semble-t-il pas fait ce choix.  

Et ce qui compte finalement, comme nous le dit notre économiste, « c’est le montant de l’investissement global qui sera injecté dans l’économie, qu’il soit public ou non public. Si ce fonds stratégique est opérationnel en 2021 et qu'il réalise les investissements de relance budgétisés, on arrivera finalement au même résultat : plus d’argent qui circule dans l’économie, une recapitalisation des entreprises en difficulté, le maintien de l’emploi… Ce qui compte au final, c’est que ce budget annoncé soit exécuté. Et bien ciblé », explique-t-il.

Et c’est là où, aussi bien notre source patronale que notre économiste, expriment quelques inquiétudes. Car le niveau d'exécution du budget de l’investissement public ne correspond jamais à ce qui est voté dans les lois de finances.

« L’exécution de l’investissement public tourne globalement autour de 60 à 70% au meilleur des cas, à cause des lourdeurs administratives dans le lancement et l'exécution des marchés publics. Annoncer un chiffre dans une loi de finances, c’est bien. Mais le plus important, c’est que ce budget soit exécuté. Surtout en temps de crise, où on ne peut pas se contenter des effets d’annonce », souligne notre source patronale.

Dans son rapport sur l'exécution du budget de l’Etat au titre de l’année 2019, la Cour des comptes affirmait en effet que le taux réel de réalisation des investissements budgétaires était de 63% en 2019. C’est pratiquement le même taux d'exécution aligné durant toute cette dernière décennie.

« En 2020, ce taux sera encore plus bas à cause du confinement, de l'arrêt des projets étatiques, du retard pris dans les chantiers d’infrastructures et des mesures restrictives qui continuent d’être appliquées dans plusieurs régions. Et si la pandémie dure en 2021, ce qui n’est pas exclu, l’exécution du budget sera encore une fois très faible. Et on n'atteindra pas l’effet souhaité, qui est de redynamiser l’économie par la commande publique », explique notre économiste.

La préférence nationale fortement attendue

Au-delà du souci d’augmenter le budget de l’investissement, tout en allégeant le déficit budgétaire à 6,5% comme prévu dans la loi de finances, le véritable défi pour le gouvernement serait donc d’accélérer le rythme des investissements programmés pour que la dépense publique ait un impact réel et direct sur l’économie. Mais aussi de réussir ce grand défi de mobilisation de l’épargne nationale et internationale pour monter le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, qui sera le véritable outil capitalistique pour sauver et relancer l’activité des entreprises et les emplois.

Car comme nous l’expliquait l’économiste Larabi Jaidi dans une récente interview, miser sur un effet de levier de cette ampleur en ces moments de crise ne sera pas chose aisée.

« Ce fonds va être financé par un apport public de 15 milliards, en comptant sur l’effet de levier pour mobiliser le reste des ressources. On ne sait pas d’abord dans quel horizon de temps ca va se faire, sur une année ou à moyen terme. Et je pense que l’effet levier de cet investissement public ne va pas fonctionner d’une manière aussi simple qu’on le prétend. Les montants annoncés ne me paraissent pas pouvoir être atteints dans le court terme », soulignait-il.

Par ailleurs, la question du rendement des investissements publics, en termes de création de richesses et d'emplois pour l'économie nationale, demeure posée auprès des observateurs. Les 230 milliards de DH bénéficieront-ils en grande partie aux opérateurs marocains ? Certes, le gouvernement a montré récemment sa détermination pour activer réellement la préférence nationale dans le cadre des marchés publics, mais il faudra savoir comment dans la pratique cette volonté sera concrétisée par l'Etat central, les entreprises et établissements publics et les collectivités territoriales.

Des questions que seul le ministre des Finances pourra éclaircir lors des débats qui s'ouvriront bientôt au Parlement autour du projet de loi de finances. 

>>Lire aussi: Commande publique: ce qu'il faut pour réellement activer la préférence nationale

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