Taxe de solidarité. Syndicalistes et politiques s'alignent sur les salariés

Considérée comme injuste, car ciblant essentiellement les salariés, les fonctionnaires et les retraités, la contribution de solidarité sur les revenus proposée dans le PLF 2021 a créé une grande vague d'indignation sur les réseaux sociaux. Nous avons contacté des politiques de tout bord, qui expriment également le même sentiment, pointant du doigt un choix de facilité d’un gouvernement qui fait toujours payer les mêmes.

Taxe de solidarité. Syndicalistes et politiques s'alignent sur les salariés

Le 25 octobre 2020 à 16h20

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Considérée comme injuste, car ciblant essentiellement les salariés, les fonctionnaires et les retraités, la contribution de solidarité sur les revenus proposée dans le PLF 2021 a créé une grande vague d'indignation sur les réseaux sociaux. Nous avons contacté des politiques de tout bord, qui expriment également le même sentiment, pointant du doigt un choix de facilité d’un gouvernement qui fait toujours payer les mêmes.

Dès la publication du projet de loi des Finances, nous avions produit une analyse à chaud qui expliquait le caractère injuste de cette nouvelle contribution de solidarité qui touche aux revenus.

Dans son projet de loi de Finances, le gouvernement veut instituer une taxe de 1,5% sur tout revenu net mensuel égal ou supérieur à 10.000 dirhams. Une contribution qui concerne également les entreprises dont le bénéfice net dépasse les 5 MDH.

Cet argent collecté à travers cette taxe (estimé à 5 milliards de dirhams) ira alimenter le fonds d’appui à la cohésion sociale dans sa nouvelle version, qui va intégrer également le financement du chantier d’élargissement de la couverture sociale.

Si le principe de la solidarité fait l’unanimité en ces moments de crise, le montage que propose le gouvernement ne passe pas. Il est qualifié d’injuste, d’inéquitable.

Bronca populaire sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, plusieurs citoyens ont, dès la circulation de l’information, considéré que le gouvernement essaie toujours de faire payer les mêmes, c'est-à-dire les salariés et les fonctionnaires, car ce sont finalement eux qui supporteront pour le volet de taxation des revenus, cette contribution.

La structure même des recettes de l’IR le démontre : à ce jour, plus de 70% des recettes collectées par l’Etat sur l’IR proviennent des salariés et des fonctionnaires car prélevés directement à la source contrairement aux autres catégories d’individus qui sont soumises au mode déclaratif pour les revenus fonciers, agricoles ou professionnels.

C’est ce sentiment d’injustice fiscale qui s’exprime dans tous les posts relayés sur les réseaux sociaux, nombreux citoyens se demandant pourquoi le gouvernement n’est pas allé puiser dans les niches qui ne paient pas d’impôt, comme le secteur informel, ou en demandant aux riches, aux grandes fortunes de contribuer via un impôt pur et dur sur le patrimoine ou sur les successions.

Cette levée de boucliers, les citoyens ne sont plus les seuls à l’exprimer. Nous avons contacté plusieurs politiques de tout bord, de la majorité comme de l’opposition, qui disent à peu près la même chose. Et expriment leur solidarité avec les citoyens qui se sentent lésés par cette mesure fiscale.

Une mesure discriminatoire et infondée selon l’UMT

A l’UMT, par exemple, syndicat le plus représentatif dans les secteurs privé et public, cette mesure est perçue comme une nouvelle attaque contre le pouvoir d’achat des classes moyennes, qui renforcera encore plus le sentiment d’injustice fiscale qui règne dans le pays.

Contacté par Médias 24, un des dirigeants du syndicat nous renvoie vers une déclaration publique faite par l’UMT à ce sujet, le 21 octobre. Une déclaration qui reprend les principaux motifs de rejet de cette contribution de solidarité :

« Alors que le contexte de la crise sanitaire, due à la pandémie de Covid-19 , avec  ses conséquences dramatiques pour la santé et ses conséquences sociales et économiques catastrophiques pour l’emploi (suppressions de postes d’emplois, augmentation du chômage et de la précarité...), et pour le pouvoir d'achat et les conditions de vie des travailleurs-euses et d’une partie importante de la population…

"Et au moment où les travailleurs dont l’Impôt sur le Revenu (IR) est retenu à la source, à savoir les fonctionnaires, les salariés du privé et les retraités, s’attendaient à une baisse de la pression fiscale par l’élargissement de l’assiette fiscale, la révision des tranches d’imposition et le relèvement du seuil d'exonération, en application des recommandations des dernières Assises Fiscales et en réponse à nos incessantes revendications syndicales…, voilà que le gouvernement projette de surtaxer les salariés en introduisant dans le Projet de loi de finances une mesure fiscale discriminatoire et infondée sous forme de contribution sociale de solidarité ciblant les travailleurs assujettis à l'Impôt sur le Revenu (IR) et ayant un revenu mensuel à partir du seuil de 10.000 DH nets par mois.

"Cette autre injustice fiscale que le gouvernement compte appliquer avec un taux de 1,5 %, essentiellement sur les revenus salariaux, ne tient pas compte du fait qu'à date d'aujourd'hui, plus de 73% de l'IR collecté par l'Etat vient des revenus salariaux des employés du privé et des fonctionnaires, imposés à la source. Au moment où les revenus fonciers, immobiliers, professionnels, rentiers et agricoles sont sous-taxés à cause du "mode déclaratif volontaire" et flexible accentuant la fraude et l'évasion fiscale, et alors que le secteur informel continue d'échapper totalement à l'impôt.

"De la même façon, cette mesure ne tient pas compte du revenu des familles qui pour beaucoup se trouvent amputés des salaires des conjoints victimes de licenciements.

"En outre, il est moralement injuste et financièrement infructueux de faire supporter le financement du fonds d'appui à la cohésion sociale et à l'élargissement de la protection sociale, principalement sur les travailleurs qui subissent déjà de plein fouet l'impôt sous toutes ses formes, les frais de scolarité et de santé faute de services publics de qualité en sus de la facture de la décompensation.

"A travers ce montage fiscal et alors que la fortune, le patrimoine ou les successions, qui représentent un grand gisement de recettes fiscales, sont toujours épargnés, et que la rente, la fraude et l'évasion fiscale ne sont nullement appréhendés, le gouvernement consacre, une fois encore, le choix de la facilité en faisant payer toujours les mêmes et enterre le vœu cher d'un système fiscal et d'un modèle social justes et équitables.

"L'élargissement de la protection sociale est un chantier national dont le financement incombe en premier lieu à l'Etat qui doit imaginer de nouveaux mécanismes justes pour augmenter ses recettes fiscales, en élargissant l'assiette fiscale à ceux qui ne paient pas l’impôt, en intégrant l'informel et en taxant justement les secteurs qui ont profité de la crise ... Et non pas en érodant davantage le pouvoir d'achat des seuls salariés qui supportent déjà lourdement l'impôt. »

Abdellatif Maâzouz : « La solidarité, c’est bien, mais elle doit être juste ».

Même avis ou presque au sein du parti de l’Istiqlal, dont le président de l’Alliance des économistes, Abdellatif Maâzouz nous dit comprendre parfaitement la colère populaire contre cette mesure fiscale.

Pour lui, le principe de solidarité en soi ne pose pas problème. C’est quelque chose qui s’impose plus que jamais en ce contexte de crise. Mais pas telle qu’elle est conçue aujourd’hui par le gouvernement, nous dit-il.

Deux critiques principales sont soulevées par M. Maâzouz : le montage fiscal de cette taxe et le sentiment d’injustice qu’elle crée au sein de la population des salariés, des fonctionnaires et des retraités.

Sur le premier point, M. Maâzouz estime d’abord que la solidarité ne doit pas s’exprimer sous forme de taxe. « La solidarité, c’est quelque chose qui doit s’exprimer volontairement. Pas par un prélèvement obligatoire », estime-t-il.

« Et même si on décide qu’elle se fasse sous forme de prélèvement, on ne peut pas taxer les gens à partir de 10.000 DH de revenu par mois. En 2013, ça s’est fait de la même manière, mais à partir de 30.000 DH de revenu mensuel », rappelle-t-il.

Il pointe également une aberration dans le montage fiscal de cette mesure : la différence de traitement entre individus soumis à l’IR et les entreprises.  

« Sur les entreprises, le gouvernement prend comme base de taxation les bénéfices à partir d’un seuil de 5 MDH. Or, pour les individus, on prend comme base le revenu, sans prendre en compte les charges que supporte cet individu. C’est une aberration », signale-t-il.

Pour lui, la différence de traitement ne concerne pas que les deux catégories ciblées, entreprises et individus. Selon lui, même au sein des individus soumis à l’IR, il y a une différence de traitement qui doit être prise en compte.

« Les salariés, les fonctionnaires et les retraités sont prélevés à la source. C’est eux d’ailleurs qui contribuent au plus gros des recettes de l’IR. Alors que les professionnels ou les revenus fonciers ne contribuent pas assez, à cause du mode déclaratif qui leur permet de déclarer ce qu’ils veulent et échapper à l’impôt. On ne peut taxer les mêmes catégories de la même manière en sachant qu’il y a cette distorsion », explique-t-il.

Pour lui, in fine, ce sont donc les salariés, les fonctionnaires et les retraités qui vont payer l’essentiel de cette contribution de solidarité. Ce qui renforce le sentiment d’injustice fiscale chez cette population qui paie déjà trop d’impôts.

« Les Marocains sont prêts à être solidaires. Mais ne doivent pas se sentir lésés. Il y a encore des poches de recettes fiscales inexploitées. Il faut lever des exonérations qui sont accordées à certains secteurs, élargir l’assiette fiscale, intégrer l’informel… La solidarité, c’est bien, mais tout le monde doit y participer. Et les mêmes règles doivent s’appliquer à tous », explique le président de l’Alliance des économistes istiqlaliens, qui tient à préciser qu’il s’agit ici de son avis personnel, pas celui du parti.

Mehdi Mezouari : « On paie le prix des réformes fiscales non faites »

Député et membre du bureau politique de l’USFP, parti de la coalition gouvernementale, Mehdi Mezouari se dit également déçu de ce montage proposé par l’exécutif dans son projet de loi des finances.

« Je ne sais pas si c’est l’avis de notre premier secrétaire, mais à mon niveau, je considère l’institution de cette taxe comme une erreur politique », nous dit-il.

Le montage tel que proposé dans le PLF va renforcer le sentiment d’injustice fiscale dans le pays, selon lui. Et montre que le gouvernement a eu encore une fois recours un choix de la facilité au lieu de réformer en profondeur le système fiscal.

« Le gouvernement taxe toujours les mêmes. On paie en vérité le prix des réformes fiscales qui n’ont pas été faites après les deux dernières assises de la fiscalité », déplore-t-il. « Je ne suis pas contre la solidarité comme principe, mais il ne faut pas que cette solidarité soit porteuse d’injustice fiscale », ajoute-t-il.

« 150 DH de prélèvement sur un revenu net de 10.000 DH, c’est une journée de travail. C’est rien peut-être pour certains. Mais quand les citoyens voient cette oligarchie qui se développe dans le pays, l’économie de rente qui continue de prospérer, toutes les niches fiscales exonérées totalement de l’impôt, l’informel qui ne paie rien…C’est normal qu’il y ait une colère populaire », explique-t-il.

Selon M. Mezouari, cet impôt de solidarité s’impose en ces moments de crise, mais il devait être institué au milieu de toute une réforme du système fiscal, ou au moins, en émettant des signaux qui montrent que le gouvernement n’essaie pas de taxer toujours les mêmes. « Si on met un impôt sur la fortune par exemple, ça peut ne pas rapporter beaucoup d’argent, mais ça créera au mois un sentiment de justice fiscale, ça donnera un signal aux Marocains qui verront que tout le monde met la main à la poche », explique-t-il.

« Je suis contre un impôt de solidarité qui est séparé d’une réforme fiscale, de mesures visant la lutte contre l’économie de rente… Il faudra commencer d’abord par élargir l’assiette, lever les exonérations indues, intégrer l’informel même avec une petite contribution… avant d’aller taxer ceux qui paient déjà leur impôt »

« Les salariés et les fonctionnaires qui paieront cet impôt seront prêts à faire l’effort et n’auront aucun problème s’ils voient que tout le monde contribue à la solidarité nationale. Mais malheureusement, notre gouvernent fait toujours le choix de facilité en faisant toujours payer les mêmes… », déplore-t-il. 

Mehdi Bensaid : « Il faut soutenir la classe moyenne, pas la surtaxer »

Au PAM, premier parti de l'opposition, la même opinion s’exprime. Le député Mehdi Bensaid nous confie ainsi que le parti travaille actuellement sur deux amendements visant à contrer cette proposition du gouvernement.
Le premier vise à augmenter le seuil de taxation sur les revenus. Le second proposera d’instituer une taxe sur la fortune.
Nous sommes tous d’accord sur le principe de la solidarité. Mais pas en visant une classe moyenne qui souffre déjà et qui souffrira davantage avec les conséquences de cette crise », nous dit-il. « Si l’éducation publique était de qualité, que le système public de santé était efficace, on pouvait comprendre cette taxation à partir de 10 000 DH de revenus, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous allons donc proposer de relever ce seuil à 20.000 ou 25.000 DH », précise-t-il.
Quant à l’impôt sur la fortune, sujet porté historiquement par la FGD, il semble aujourd’hii faire l'unanimité. Même au sein du PAM.

« C’est le moment d'instituer un impôt sur la fortune. La crise est d’une grande ampleur. Il faut que les riches soient solidaires en contribuant d’abord par l’impôt mais aussi en investissant leur capital dans des projets créateurs de valeur. Nous avons besoin plus que jamais du capital national pour sortir de cette crise », souligne Mehdi Bensaid.

Selon le député, cet impôt qui sera proposé a « tout son sens actuellement ». Mais sera juste temporaire, selon la formule qui sera fort probablement proposée par le PAM au sein du Parlement.

« On peut le faire sur deux ou trois ans, le temps de sortir de cette crise. Mais on ne peut pas continuer de taxer toujours les mêmes, en épargnant le grand capital et les hauts revenus. Le coût des chantiers sociaux comme l'élargissement de l'assurance maladie, ainsi que la relance de l'économie, doit passer par la solidarité. Et cette solidarité doit s'exprimer d’abord chez les hauts revenus et la classe fortunée du pays », estime-t-il.

La contribution telle que proposée par le gouvernement sera même contre-productive selon lui. « La relance passera par la reprise de la consommation. Et la consommation, c’est la classe moyenne qui la tire. En ces moments de crise, cette classe a besoin d’être soutenue, pas surtaxée », explique-t-il.

Vers un amendement commun pour relever le seuil de taxation

Ces premiers avis recueillis aussi bien chez des syndicalistes (UMT) que des partis de l’opposition (PI et PAM) et de la majorité (seule l’USFP a accepté de réagir pour l’instant) montrent qu’il y a presque unanimité sur le rejet du montage proposé par le gouvernement.

Au sein de l’opposition, on nous dit qu’il y aura peut-être un amendement commun entre les différentes composantes de la commission des finances pour agir sur le seuil de taxation. « Si on est d'accord au moins sur ce point, c’est déjà bien », nous dit une de nos sources de l’opposition.

Mais l'institution d’un impôt sur la fortune, quoique temporaire, semble être délicate à faire passer. Car même au sein des partis qui soutiennent cet avis, comme au PAM ou à l’USFP, il n’y a pas encore unanimité sur le sujet. « Un amendement visant à créer un impôt sur la fortune sera vouée à l’échec. La majorité ne suivra pas. On sait d'ores et déjà que le PJD, le RNI, le MP, l’UC, et même certains courants au sein de l'opposition ne sont pas chauds pour cet impôt sous prétexte de ses éventuels effets négatifs sur l'investissement et l’emploi », nous confie une de nos sources.

Selon notre source, il faudra faire la pédagogie de cet impôt, quitte à changer sa dénomination, à l’appeler « contribution exceptionnelle sur le patrimoine » sur une durée limitée dans le temps.

« Le principe de cet impôt fait certes l’unanimité. Mais sa formulation fait peur à certains courants. Il faudra peut être jouer sur cette formulation. Le fonds anti-covid lancé par le Roi a été une sorte d’impôt sur la fortune et a permis de mobiliser le capital national. L'opération a été acceptée et réussie, car elle n’avait pas le caractère obligatoire de l’impôt. Peut-être qu’il faut réfléchir à des pistes ou à un montage semblable à celui du fonds anti-covid, en évitant de parler de taxe sur la fortune », analyse notre source.

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