Dr Hicham Skali : Atteindre l'immunité collective contre la Covid-19 prendra des mois

Dr. Hicham Skali est cardiologue au Brigham and Women’s Hospital à Boston, Directeur associé du programme de réadaptation cardiaque et Professeur à la Harvard Medical School. Il a fait ses études à la faculté de médecine de Casablanca, avant de partir aux Etats-Unis pour faire sa spécialité en cardiologie. Il s’est installé à Boston où il pratique depuis 20 ans. Il a également un diplôme en épidémiologie à la faculté de Harvard. Dr Skali décrypte pour nous l’actualité nationale et mondiale liée au Covid-19 et l’impact de ce nouveau coronavirus sur la santé des personnes atteintes de pathologies cardiaques.

Dr Hicham Skali : Atteindre l'immunité collective contre la Covid-19 prendra des mois

Le 9 novembre 2020 à 14h43

Modifié 10 avril 2021 à 23h02

Dr. Hicham Skali est cardiologue au Brigham and Women’s Hospital à Boston, Directeur associé du programme de réadaptation cardiaque et Professeur à la Harvard Medical School. Il a fait ses études à la faculté de médecine de Casablanca, avant de partir aux Etats-Unis pour faire sa spécialité en cardiologie. Il s’est installé à Boston où il pratique depuis 20 ans. Il a également un diplôme en épidémiologie à la faculté de Harvard. Dr Skali décrypte pour nous l’actualité nationale et mondiale liée au Covid-19 et l’impact de ce nouveau coronavirus sur la santé des personnes atteintes de pathologies cardiaques.

- Medias24. La majorité des pays dans le monde, le Maroc y compris, sont confrontés à une recrudescence des contaminations, des cas graves et des décès. Le taux de positivité des tests est plus important. On parle d’une deuxième vague plus virulente et plus meurtrière. Quelle lecture en faites-vous ?

- Pr. Hicham Skali. Je pense que les chiffres sont assez alarmants d'une manière générale que ce soit en Europe, en Afrique, en Afrique du Nord spécifiquement ou aux USA. Sommes-nous devant une deuxième vague ? La notion de deuxième vague est assez mal définie, et peut-être pas applicable partout de la même manière. Pour parler d’une deuxième vague, il faut observer une hausse de l’incidence, suivie d’une baisse considérable, et puis avoir une deuxième période ou l’incidence augmente, et donc une phase ascendante de la courbe plus importante.

Si je prends l’exemple des USA, certains appellent cela deuxième vague, ce qui n’est pas le cas des experts et des spécialistes parce qu’on n’a jamais réussi à aplatir la courbe et baisser le nombre d’infections de la première vague. C’est essentiellement une première vague qui se poursuit avec des marées hautes et des marées basses, mais elle n’a jamais été vraiment contrôlée. Pour le cas de l’Allemagne, on peut effectivement parler de première et deuxième vagues car les chiffres ont vraiment baissé avant de reprendre. 

En ce qui concerne le Maroc, nous avons eu un nombre de nouveaux cas quotidiens élevé au début (mars/avril), ensuite la tendance s’est ralentie un peu (mai/juin) sans baisser à un niveau très bas, avant de reprendre d’une manière plus accélérée en été (depuis fin juillet). On remarque des pentes et des accélérations plus ou moins variées, mais quand on fait une moyenne mobile sur deux semaines on se rend compte qu’il y a une hausse continue. 

Donc, nous ne sommes pas encore face à une deuxième vague. D’ailleurs, il n’y a aucun moyen de prévoir que le pic va arriver dans une semaine, dans 15 jours ou dans un mois, on ne le saura que lorsque ce sera derrière nous. 

- Dans sa gestion de la pandémie, le Maroc a réussi la première phase mais semble aujourd’hui être dépassé par la situation, comme c’est le cas de plusieurs pays. On a l’impression que l’objectif à présent n’est plus d’en finir avec l’épidémie mais juste de la ralentir, contenir les chiffres au plus bas par des politiques de restriction des mouvements en attendant le vaccin. Qu’en pensez-vous ? 

Je ne suis pas un politicien, ni un décideur et je suis heureux de ne pas l’être en de pareilles circonstances car j’imagine que ça doit être très difficile de prendre des décisions alors que sur la balance il y a la santé publique d’un côté, et l’économie de l’autre.

A-t-on bien géré ou non la situation au Maroc ? Qu’est-ce que cela veut-il dire concrètement ? Je pense personnellement que les Marocains ont dans l’ensemble réussi à se discipliner au début de la pandémie en respectant les consignes de la santé publique, mais au bout d’un certain temps il y a eu un relâchement dû aux contraintes économiques, à une communication insuffisante et un manque de sensibilisation et d’information de la part des autorités.

Le système de santé, lui, résiste comme il peut au regard de la situation. A ce sujet d’ailleurs, je suis fier d’être issu de la Faculté de médecine de Casablanca et je salue tous mes professeurs, confrères et consœurs qui sont aujourd’hui en première ligne, ainsi que tous les professionnels de la santé à combattre cette pandémie avec abnégation et sacrifice. Plusieurs médecins, infirmiers, pharmaciens et autres ont été atteints et ont même succombé à cette maladie. Il faudra un jour penser à honorer leur mémoire…

Pour être plus direct, la responsabilité du gouvernement est à mon avis liée à la communication, à l'éducation, à l'information et à la modulation des décisions.

Comme vous le savez, les États-Unis forment un Etat fédéral avec 50 Etats qui prennent leurs propres décisions. Au Maroc nous avons une politique basée sur la régionalisation avancée et la décentralisation. Il faut donc se poser la question est-ce qu'on aurait dû régionaliser davantage la gestion de cette crise ? Les chiffres annoncés quotidiennement de nouveaux cas, décès, guérisons et tests négatifs est un pas vers cette communication, mais on devrait avoir accès aux formes d’infections, en cluster ou indépendantes, au profil des patients, aux traitements reçus, etc. Les politiques de traçage, dépistage, isolement et confinement sont-elles adéquates, évaluées ? 

- Certains pays semblent tout de même avoir bien réussi à dépasser la phase critique de la pandémie. A votre avis, pourquoi par exemple la Chine en a fini avec la pandémie en 5 mois, alors que le reste du monde peine encore à faire face à la crise ?

Il est vrai que les seuls pays qui ont vraiment réussi à contenir l’épidémie, sont les pays asiatiques et la Nouvelle-Zélande. Cependant, je pense sincèrement qu’il n’est pas pertinent de comparer les statistiques des pays parce que chaque pays à des caractéristiques différentes (la moyenne d’âge, la densité de la population, les comorbidités, les économies, les systèmes de santé,…). On ne peut pas comparer les États-Unis où il y a 30 % d’obésité dans la population, avec les pays d'Afrique subsaharienne par exemple où l'obésité est moins présente. On ne peut pas comparer les chiffres de façon statique tout en sachant qu’il y a énormément de facteurs confondants.

Pour le cas de la Chine, si on veut verser dans la théorie du complot on peut dire que la Chine falsifie ses statistiques. Néanmoins, il n’est un secret pour personne que le régime chinois est particulier. Dès le début de l’épidémie, la ville de Wuhan qui compte plus de 11 millions d’habitants, près du tiers de la population marocaine, a été encerclée par les autorités empêchant n’importe qui d’y entrer ou d’en sortir, tout en confinant la population chez elle. Cela a permis tout de suite de mettre un frein à la transmission du virus. 

Par ailleurs, en Chine où il y a beaucoup de pollution, les gens sont habitués à porter les masques de manière quotidienne. Ajoutez à cela que culturellement, les Chinois sont moins tactiles que nous par exemple. Il y a d’autres facteurs de santé publique à prendre en considération comme le profil épidémiologique de la population.

Dans la continuité de la question sur le cas chinois, des questions sont actuellement soulevées par rapport au faible nombre de cas et de décès en Afrique subsaharienne. Les experts avancent des théories expliquant ce fait par la moyenne d’âge plus basse qu’ailleurs, la faiblesse des comorbidités, une tendance à être plus souvent à l’extérieur qu’à l’intérieur, plus souvent exposé au soleil et donc peut-être un taux élevé de vitamine D.  

Ce sont des théories à explorer bien sûr! Il faut garder un esprit ouvert et non pas affirmatif, ce qui nous permettra de mieux cerner cette épidémie.  

- Aujourd’hui, le vaccin reste le seul espoir de tous les pays où la situation se dégrade. Ce vaccin tant attendu permettra-t-il d'éradiquer cette épidémie ou bien le SARS-Cov-2 deviendra-t-il un virus grippal comme un autre ? 

Je m'en excuse d’avance parce que je vais un peu détruire le mythe du vaccin. Ce n’est pas que je n’y crois pas, mais ce n’est pas aussi simple que cela. Les gens pensent en général que le vaccin, une fois découvert, nous sortira tout de suite de cette crise. Ca ne sera pas le cas. Parce que ce n'est pas le vaccin, mais c’est plutôt l’immunisation collective, grâce à la vaccination, qui nous permettra de sortir de la crise. 

Clairement, ce n’est pas en trouvant le vaccin que tout sera terminé le lendemain. C’est quand on aura vacciné et donc immunisé une grande partie de la population, avec un vaccin efficace, que l'on pourra enfin dire que la crise est derrière nous.

La question à se poser est de savoir comment est-ce qu'on va pouvoir vacciner une grande partie de la population d'une manière efficace, rapide, large et surtout égalitaire. 

Il ne faut pas tomber dans les mêmes pièges qu’avec la chloroquine. Il ne faut pas croire que ce vaccin va tout de suite en finir avec la Covid-19.  

Par ailleurs, permettez-moi aussi de rappeler une notion importante. Le SARS-Cov-2 n’est pas un virus particulièrement virulent. Les virus sont généralement évalués selon plusieurs axes notamment celui de la transmission et de la virulence. Il y a des virus extrêmement virulents qui causent des dégâts importants comme Ébola mais dont le taux de transmission est faible. Pour le SARS-Cov-2, c’est l’inverse. Ce virus a évolué et a donc réussi à améliorer sa transmissibilité mais a perdu de sa virulence, ce qui explique un taux de guérison qui dépasse les 90%. 

Si certaines personnes décèdent ou développent des complications, ce n’est pas juste à cause de la virulence du virus, mais c’est parce que soit ces personnes ont des facteurs sous-jacents qui les fragilisent ou parce que le système de santé de leur pays est saturé. Ce sont là, les deux facteurs qui augmentent considérablement le risque de complications. 

- Donc nous devrions apprendre à vivre avec ?

Il faudra cohabiter au moins le temps que l’on puisse vacciner une grande partie de la population. Les vaccins testés auront des taux d’efficacité différents et s’amélioreront avec le temps.

La FDA aux USA exige une efficacité supérieure à 50%. C’est-à-dire que le vaccin devra prévenir au moins 50 % des infections potentielles. Faisons un petit exercice de maths très simple.

Supposons que nous avons une population de 1 000 personnes, on ne pourra pas vacciner les 1 000 personnes d'un coup. Je vais prendre un scénario pessimiste en disant qu’on va vacciner la moitié de la population, donc 500 personnes. Avec un taux d’efficacité de 50%, seules 250 des 500 personnes vaccinées seront immunisées. Les 750 personnes restantes ne le seront pas ! 

Prenons un scénario un peu plus optimiste. On arrive à vacciner 70% de la population avec un vaccin dont l’efficacité est de 70%. Sur la même population de 1 000 personnes, nous allons vacciner 700 personnes dont 490 seront immunisées. Même avec ce scénario, moins de la moitié de la population sera immunisée. Bien évidemment, je parle d’un vaccin qu’on arrive à administrer rapidement à tout le monde de façon égalitaire. 

Est-ce suffisant pour arrêter du jour au lendemain toutes les mesures de santé publique à savoir les plus importantes et les plus efficaces qui permettent de ralentir la pandémie : les gestes barrières, la distanciation physique, l’hygiène des mains, le traçage, l’identification et l’isolement des cas, et éviter les rassemblements et les foules ?

Donc, même avec nos meilleurs efforts, nous ne pourrons pas avoir rapidement cette immunité générale globale qui nous permettra de freiner la propagation de ce virus. 

Tout cela pour expliquer aux gens que le vaccin sera nécessaire mais que l’immunisation collective prendra du temps. 

En attendant, il faudra continuer à respecter scrupuleusement les mesures de santé publique, encore une fois : masques, distanciation physique, hygiène des mains, éviter les foules et les rassemblements, nettoyage et désinfection des surfaces de contact. Si on a des symptômes, même légers, il est conseillé de rester chez soi et de s’isoler pour ne pas propager l’infection.  

- Ce temps dont vous parlez pour atteindre l'immunité collective se chiffre-t-il en mois, en années ?

Je dirais plusieurs mois, peut-être même une à deux années. Quand on a fait des vaccins efficaces pour la rougeole, la variole, la polio,… ces maladies n’ont pas disparu en une seule saison. Cela a pris des années pour diffuser l’immunisation.

L’objectif auquel tout le monde s’attache actuellement c’est de trouver un vaccin. Mais, ce ne sera que la première étape. Le plus important sera de vacciner et immuniser la population.

- Aujourd'hui on voit de plus en plus de cas de récidive, c'est-à-dire des personnes qui ont été atteintes de la covid-19 et qui l’ont eue une deuxième fois. Cela ne risque-t-il pas de compromettre l’immunité collective ?

A quelque chose malheur est bon. Dans toute difficulté, il y a une opportunité (citation d’Albert Einstein). C’est une opportunité pour l’humanité d’apprendre beaucoup de choses. Ça doit nous rendre beaucoup plus humbles, avoir l’humilité d’admettre que l’on puisse faire des erreurs de prédiction ou des erreurs de jugement. Parmi celles-ci, le fait de se croire immunisé une fois avoir été infecté ! Oui, c'est possible que nous soyons immunisés. Mais nous ne connaissons pas la durée de cette immunité. Je parle ici de l’immunité naturelle développée par une personne infectée. 

C’est vrai qu’il y a eu quelques cas rapportés de deuxième infection. Nous sommes à plusieurs dizaines millions d'infections à travers le monde. Malgré cela, le nombre de réinfection reste très faible. Est-ce parce qu’on n’arrive pas encore à les diagnostiquer, ou est-ce parce que ce sont des cas particuliers, ou est-ce comme vous le dites parce que tout simplement l’immunité est temporaire ?

En tous les cas, la science tranchera bientôt sur ces questions. Ce qu'il faut garder en tête, c'est que le virus de la grippe de 1918 qui a causé des ravages à l’époque, vit avec nous en 2020. Les généticiens ont trouvé les mêmes traces génétiques du virus de 1918 dans des virus actuels. C’est-à-dire que nous vivons avec les virus ou que les virus vivent avec nous. Peu importe la permutation, nous n’allons pas nécessairement vivre avec la maladie Covid-19 mais nous allons fort probablement vivre avec le virus SARS-Cov-2. 

- En attendant cette immunité collective, certaines personnes sont vulnérables plus que d’autres. Les patients atteints de pathologies cardiaques font partie des personnes vulnérables face à la Covid-19.  Je profite de votre expertise dans cette spécialité pour vous demander est-ce que la Covid-19 est vraiment fatale pour cette catégorie de malades ?

L’issue de la maladie vers la guérison, le décès ou les complications, dépend en général de trois éléments : le virus, le patient et le système de santé. Le premier facteur est la virulence du virus, le pathogène et ce qu’il peut causer comme dégâts. Le deuxième facteur est le patient et son état de santé. Est-il immuno-compromis, fait-il de la chimiothérapie, a-t-il des comorbidités… Le troisième facteur est la qualité du système de santé. S’il est performant avec les équipements et les ressources nécessaires ou si au contraire il est faible et en manque de capacité ? C’est la combinaison de ces trois éléments qui va moduler le nombre de guérisons, de complications ou de décès. 

Cela étant dit, pour la Covid-19 et les maladies cardiovasculaires il faut distinguer deux cas de figure. Le premier est l’infection par le SARS-Cov-2 chez des personnes ayant des maladies cardiovasculaires connues ou sous-jacentes. Le second est celui des patients qui malheureusement à cause de la Covid-19 se retrouvent avec des complications cardiovasculaires qu’elles soient directement liées au cœur (les cardiomyopathies, les infarctus, les myocardites) ou alors par rapport aux thromboses artérielles et veineuses. Cela fait une grande variété de manifestations cardio-vasculaires des patients avec la Covid.  

Pour répondre directement à votre question, quand quelqu'un a une pathologie cardiovasculaire, il a un risque beaucoup plus élevé de ne pas s'en sortir.

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