Opinions. L'Algérie n'a nullement besoin d'une nouvelle constitution

L'Algérie vient d'adopter une nouvelle Constitution. Elle n'en avait pas besoin. Ses vrais problèmes sont ailleurs. Un vide sidéral enveloppe Alger. Une analyse de Francis Ghiles.

Opinions. L'Algérie n'a nullement besoin d'une nouvelle constitution

Le 9 novembre 2020 à 10h20

Modifié le 10 avril 2021 à 23h01

L'Algérie vient d'adopter une nouvelle Constitution. Elle n'en avait pas besoin. Ses vrais problèmes sont ailleurs. Un vide sidéral enveloppe Alger. Une analyse de Francis Ghiles.

Le Front de libération nationale (FLN) lança la lutte contre le joug colonial français le 1er novembre 1954. Ce même jour, une proclamation consacre les principes de ce qui deviendra l’une des révolutions les plus célèbres de l’après deuxième guerre mondiale. Ce texte appelle à “la restauration de l’Etat algérien souverain”, détruit par l’envahisseur en 1830. Il affirme “des droits démocratiques et sociaux dans le cadre des principes islamiques” pour le people algérien et “le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ou de confession.”

Ce texte peut être considéré, à toutes fins pratiques, comme la Constitution d’un Etat qui renaît après 132 ans de domination étrangère, le 3 juillet 1962.

Soixante-six ans plus tard, le président Abdelmadjid Tebboune soumet au peuple algérien le texte d’une nouvelle Constitution dont ses promoteurs, tout particulièrement le Chef d’état-major, le major général Saïd Chengriha, affirme qu’il élargit et consolide la démocratie dans le plus vaste pays d’Afrique.

Au mois de décembre 2019, M. Tebboune a accédé à la présidence suite à des élections où le nombre d'Algériens ayant déposé un bulletin dans l’urne reste controversé : 40% d’après ceux qui soutiennent M. Tebboune, 10% selon ses opposants. 

Les dirigeants algériens ont choisi d’ignorer les leçons de l’histoire. Les nobles principes proclamés en 1954 furent bafoués quasiment dès leur proclamation. L’Armée de libération nationale (ALN) dirigée par Houari Boumediene et les services secrets de l’ALN, dirigés par Abdelhamid Boussouf, attirent Abane Ramdane, un civil considéré par les historiens comme l’architecte politique de la révolution, dans un guet-apens au Maroc, où il fut brutalement assassiné le 27 Décembre 1957. Ce meurtre fut suivi, à l’été de 1962, par une courte mais brutale guerre civile qui oppose, à leur retour du Maroc et de la Tunisie, les troupes bien équipées de l’ALN qui avaient mené une lutte sanglante pendant huit ans contre les troupes françaises. Ces combats sont, depuis l’Indépendance, la matrice politique du mode de gouvernement algérien.

A deux reprises depuis cette date, une caste dirigeante qui aujourd’hui est fragile et encline à l’isolationnisme a semblé accepter que les Algériens puissent influer sur le cours de leur destin et participer à l’élaboration de la politique de la nation.

Un groupe de réformateurs, appuyés au départ par le président Chadli Bendjedid, élabora entre 1986 et 1988 Les Cahiers de la réforme. Cet audacieux plan contenait des réformes devenues inévitables, suite à l’effondrement des prix du pétrole et du gaz en 1985 qui privaient l’Etat de ressources essentielles, puisqu’elles représentaient 95% des recettes d’exportation et les deux tiers des recettes budgétaires. L’auteur des cahiers était Abderrahmane Hadj Nacer, dernier gouverneur d’une banque centrale autonome après la nomination du colonel Mouloud Hamrouche comme Premier ministre en 1989.

Nombreux sont les hauts gradés qui appuient les réformes, mais ils retirent leur soutien quand une libéralisation politique hâtive et maladroite faillit amener au pouvoir un parti islamiste. De nombreux dirigeants occidentaux suivent les reformes avec intérêt et les soutiennent ; mais le président français François Mitterrand ne se compte pas parmi eux. Tout au contraire. S’ensuit une guerre civile dont le bilan matériel et humain est lourd : plus de 100 000 morts, 17 000 “disparus” et des centaines d’Algériens contraints à l’exil.

Lorsque Abdelaziz Bouteflika est élu à la présidence, de nombreux observateurs sont convaincus qu’il saura tourner la page et en écrire une autre, plus heureuse et apaisée, pour l’Algérie. Ils oublient ce faisant que l’ancien ministre des Affaires étrangères (1965-1977), décrit comme un Rastignac par un ambassadeur français de l’époque, nourrit un profond ressentiment envers le haut commandement de l’armée et les services dont il est convaincu qu’ils lui ont barré la route de la présidence après la mort de Houari Boumediene en 1977.

Ses années d’exil ont fait de Bouteflika un homme aigri décidé à briser tous les centres de pouvoir en Algérie hors de sa personne.

Pendant les deux décennies qui suivirent son élection et grâce à une manne pétrolière énorme, Bouteflika détruisit l’intégrité du haut commandement en nommant un chef d’état-major, le général Gaid Salah que ses pairs méprisaient; l’intégrité et la compétence professionnelle des grandes compagnies de l’Etat, notamment la Sonatrach, en nommant pour diriger celle-ci un homme, Chekib Khelil, qui pendant dix ans n’aura de cesse que de corrompre les hauts cadres de l’Energie et d’une compagnie dont la réputation internationale était grande; des services dont il réussit, en 2015, à limoger le patron, le général Tewfik Mediene, après 25 ans à un poste clé. Le système dont avait hérité Bouteflika était certes corrompu, mais en 2019 il s’était mû en cleptocratie.

Un pays qui pouvait s’enorgueillir de son service diplomatique et de son influence régionale avait perdu toute influence régionale, notamment en Libye. Les membres de la coterie du président s’affichent alors dans les forums internationaux, notamment économiques.

Un pays dont le poids avait pesé dans le mouvement des non-alignés dans les années 60 et 70, dont les diplomates avaient joué un rôle dans la libération des diplomates américains retenus comme otages à Téhéran en 1981 avait, de facto, disparu de la scène diplomatique. Pendant les années de la présidence de Boumediene, les Algériens pouvaient s’enorgueillir de construire un pays nouveau, d’éduquer le peuple et de bâtir une base industrielle. Boumediene lâchait la bride aux services secrets, les “Boussouf boys” mais contrôlait étroitement l’armée.

Après un an de manifestations non violentes du Hirak, de slogans pleins d’esprit et de volonté affichée de s’ouvrir au monde, une chape de plomb est tombée sur l’Algérie, aidée par le Covid-19.

La liberté d’expression est muselée, de nombreux opposants mis en prison. Des procès pour corruption ont mis derrière les barreaux un des frères de Bouteflika, des anciens premiers ministres, des dizaines de généraux, d’hommes d’affaires – sans compter les journalistes et militants des droits de l’homme qui les dénonçaient.

Le président Tebboune dit vouloir nettoyer la corruption, le peuple voit dans ses procès où le droit est bafoué quotidiennement, une vaste opération de règlement de comptes entre clans. La peur règne, ce qui paralyse toute décision économique que ce soit dans la sphère des entreprises privées ou dans le tout puissant secteur public. La vie économique est comme suspendue dans le vide.

L'armée en première ligne

Plus que jamais, l’armée est en première ligne, paradant à la télévision jour après jour avec une truculence qu’on ne connaissait pas à la grande muette.

Contrairement aux années 70 et 80, quand le général Mostefa Belloucif faisait preuve d’une lucidité et d’une finesse d’analyse remarquable, que le directeur de l’Institut de stratégie globale, Mohamed Yazid, étonnait par ses fulgurances stratégiques, le haut commandement a pris goût à un langage public totalement vide de sens, monotone, qui n’offre aucune perspective d’avenir à 42 millions d’Algériens. Le régime d’Alger se trouve ainsi dans un isolement splendide. Il n’a plus d’interlocuteur que lui-même. Un vide sidéral engouffre Alger.

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