Omar Fassi-Fehri: Le Maroc doit assurer sa souveraineté dans la recherche scientifique

INTERVIEW. Le secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques affirme que la crise a souligné la nécessité de développer la recherche scientifique au Maroc. Il estime qu'il n’y a pas assez de chercheurs, qu'il faut valoriser leur statut et attirer les meilleurs profils. 

Omar Fassi-Fehri: Le Maroc doit assurer sa souveraineté dans la recherche scientifique

Le 25 février 2021 à 15h43

Modifié 10 avril 2021 à 23h21

INTERVIEW. Le secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques affirme que la crise a souligné la nécessité de développer la recherche scientifique au Maroc. Il estime qu'il n’y a pas assez de chercheurs, qu'il faut valoriser leur statut et attirer les meilleurs profils. 

Dans cette interview accordée à Médias 24, Omar Fassi-Fehri, secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, dresse l'état des lieux de la recherche scientifique au Maroc et des voies susceptibles de la développer. Il nous dévoile également le bilan 2020 de l’académie et ses projets pour l’année en cours. 

Médias 24 : Selon vous, quels enseignements doit-on tirer de la crise sanitaire liée au Covid-19 ?

Omar Fassi Fehri : Le premier enseignement, certainement le plus important, c'est que les Marocains ont fait preuve d’un esprit d’unité et d’un sens de la discipline incontestables.

L’engagement et le sens d’anticipation de Sa Majesté ont permis cette admirable mobilisation nationale. Et ce, au niveau du corps médical, des agents d’autorité et des forces de l’ordre, des enseignants et de toute la population. 

Le deuxième enseignement est que cette crise a mis en exergue le fait qu’au niveau de la recherche scientifique, il faut assurer au pays sa souveraineté, une urgence est plus accentuée dans le domaine de la santé. 

Cette expérience a clairement souligné la nécessité de développer la recherche scientifique dans notre pays. Elle nous a également permis d’acquérir une expérience et de nous préparer à d’éventuelles futures crises, notamment sur le plan logistique et d’approvisionnement.

- Malgré les réalisations, le Maroc a beaucoup de chemin à faire pour développer la recherche scientifique. Comment la dynamiser ? Est-ce une question d’organisation ou de budget ?

- Le Dahir portant loi créant l’académie stipule que parmi ses missions figure celle de "réaliser des études, des analyses et des enquêtes sur le secteur de la recherche". C’est ainsi que l’académie a élaboré en 2009, puis en 2012 et en 2019 des rapports sur la situation de la recherche au Maroc.

Le rapport de 2019 a établi des recommandations et a préconisé des mesures concrètes pour la relance de la recherche scientifique et pour conduire à la réussite le modèle de développement adopté. 

Le Maroc n'a pas assez de chercheurs et ne forme pas assez de doctorants

Je reviens de manière plus précise à votre question. Certes, c’est une question d’organisation et de budget, mais c’est surtout une question de ressources humaines. Car au Maroc on a besoin de davantage de chercheurs

On compte environ 15.000 enseignants chercheurs pour un million d’étudiants, c’est insuffisant. De plus, on ne forme pas assez de doctorants surtout dans les disciplines dans lesquelles le pays a le plus de besoins, notamment l’ingénierie, la médecine, l’enseignement et la recherche. 

C’est également une question de qualité. Il faut qu’on arrive à attirer, au moins une partie des meilleurs lauréats issus des lycées, vers les métiers d’enseignement et de recherche. Pour ce faire, il faut améliorer l’attractivité de ces professions et les valoriser à travers leur statut et les conditions de travail.

On devrait ainsi mettre en place des structures d’excellence pour améliorer la qualité de la formation et développer la recherche scientifique et l’innovation dans notre pays. D’ailleurs, c’est ce qu’envisage le ministère de l’Education nationale. 

C’est aussi ce qui vient d’être réalisé par le ministère de la Santé, qui a mis en place un consortium de 4 laboratoires, chargé d’identifier les variants du Covid19. On ne peut que se féliciter d’une telle création.

Chose qui a également été réalisée au niveau des universités, avec la création de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir, l’Université Euro-méditerranéenne de Fès ou l’Université Internationale de Rabat.

Concernant le budget et selon une enquête établie en 2018 par l’Unesco, le Maroc consacre 1,5 milliard de dollars PPP (parity power purchasing) pour la recherche-développement. Le Maroc est classé 49e sur 128 pays.

Je rappelle qu’en 2001, le Maroc avait créé le Fonds national de soutien à la recherche scientifique et au développement technologique, alimenté par le budget de l’Etat et 0,25% du chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires dans le domaine des télécommunications. 

Vu le niveau de développement de notre pays, les moyens financiers disponibles nous permettent cette "relance" dont nous avons parlé tout à l’heure. Ceci étant, il faut bien sûr des moyens supplémentaires pour un Maroc plus développé, parmi les pays émergents. 

Cela dit, même si les chercheurs marocains ne sont pas assez nombreux par rapport à des pays comparables, la qualité des chercheurs marocains et de leur production scientifique est bien établie. Au niveau continental, le Maroc est parmi les trois premiers sur le plan des citations.

A titre d’exemple, dans la base de données WOS (Web of Science) et en mathématiques, sur mille articles publiés par an au niveau mondial, 3,5 ont comme auteurs des chercheurs marocains, exerçant au Maroc.

Ainsi, pour le domaine des mathématiques, le Maroc peut créer un centre d’excellence avec un statut spécifique qui a pour but de booster la recherche dans ce domaine. Chose possible dans d’autres disciplines.

Un point important, qui est souvent évoqué mais auquel, me semble-t-il, nous n’avons pas encore trouvé la réponse idoine, c’est comment mobiliser les chercheurs marocains exerçant à l’étranger à contribuer au développement de la science marocaine.

- La pandémie a-t-elle impacté l’avancement de vos travaux de recherches ou l’organisation de vos évènements ?

- En effet, plusieurs événements ont dû être organisés par visioconférence, comme les réunions des instances de l’académie, des réunions scientifiques de coordination, des réunions thématiques, le comité de rédaction des publications de l’académie, ou encore la présentation de l’ouvrage "Made in Morocco, made in Monde".  Au total entre le 1er mai 2020 et le 28 janvier 2021, 31 webinaires ont été organisés. 

Nous avons été obligés de reporter certaines réunions comme la 16e session plénière solennelle, initialement prévue en février 2021 et qui est finalement reportée aux 9, 10 et 11 juin 2021.

D’autres évènements ont également été annulés, comme les journées "Les Jeunes et la science au service du développement" que nous organisons chaque année avec les élèves des lycées et collèges. La dernière édition organisée en décembre 2019 portait sur le tableau de Mendeleïev des éléments chimiques.

- L'académie a proposé de mettre en place un ensemble de mesures d’accompagnement de la stratégie du Maroc en matière de gestion de la pandémie, parmi ces mesures, le lancement d’appels à projets que l’académie financera. Combien de projets ont été financés en 2020 ?

- L'académie a contribué en 2020 au financement d’une dizaine de projets de recherche, à hauteur de 10 MDH, dont un projet dans le domaine biomédical. Ce projet rentre dans le cadre d’une convention signée avec le Centre national de la recherche scientifique et technique (CNRST) sous le thème "Covid-19 : au Maroc, investigations innovantes et intégrées pour l’élaboration de tests de diagnostic, de dépistage et de traitements adaptés".

Également, ont été financés six projets axés sur l’innovation technologique dans le cadre de conventions signées avec les Universités Mohammed V de Rabat, Euro-méditerranéenne de Fès, Mohamed Premier d’Oujda, Abdelmalek Essaâdi de Tétouan.

Enfin, trois projets sur l’intelligence artificielle et la science des données, dans le cadre de conventions signées avec l’Ecole centrale de Casablanca, l’Université Mohammed V et l’Université Internationale de Rabat.

- Quel est le montant consacré au financement des projets scientifiques depuis la création de l’académie ?

- Depuis 2007, quatre appels à projets ont été lancés et 110 MDH ont été débloqués, dont 82 MDH qui ont déjà été distribués, pour le financement d’un total de 57 projets de recherche scientifique dans divers domaines.

- Globalement, quelles sont les actions que vous mettez en œuvre pour la promotion de la culture scientifique ?

- L’Académie Hassan II contribue à la promotion de la culture scientifique, à travers l’organisation d’un cycle de conférences publiques ainsi que les journées "les Jeunes et la Science au service du développement".

D'autre part, l’académie contribue à la création de clubs scientifiques dans les établissements scolaires, dans le cadre de partenariats avec les académies régionales. Elle participe également à des salons du livre. 

Par ailleurs, l’académie vient de créer une maison d’édition "Hassan II Academy Press” et diffuse des publications scientifiques comme le Journal scientifique annuel “Frontiers in Science and Engineering", les actes des sessions plénières solennelles, des études et des rapports sur l’état de la science au Maroc et sur l’évolution de la recherche scientifique et technique nationale, le bulletin semestriel d’information et les trois numéros annuels de la Lettre de l’académie. 

Enfin, à travers le financement de la recherche et de la production scientifique.

- L’académie octroie des bourses d’excellence aux meilleurs bacheliers dans les disciplines scientifiques et techniques. Combien de bacheliers ont droit à ces bourses par an ? et pour quel budget ?

- Chaque année, l’académie octroie 10 bourses d’excellence, accordées aux lauréats du Concours général des sciences techniques, organisé par le ministère de l’Education nationale.

Dédiées aux meilleurs bacheliers du Maroc, quatre bourses sont destinées aux bacheliers en filière mathématiques, deux pour ceux en sciences physiques, deux pour ceux en sciences de la vie et de la terre, et enfin deux pour les filières sciences de l’ingénieur (technologiques). 

En classes préparatoires, les lauréats ont droit à une allocation mensuelle de 3.000 DH. Elle s’élève à 5.000 DH en Master et écoles d’ingénieurs et à 8.000 DH en doctorat. 

Concernant les étudiants qui arrivent à intégrer les Écoles normales supérieures en France, ils ont droit à 10.000 DH par mois pour le cycle grande école. Enfin, les lauréats des ENS et de l’Ecole polytechnique ont une allocation de 16.000 DH par mois pour préparer leur doctorat.

Je souligne que c'est une allocation d’excellence. Par conséquent, les étudiants sont tenus de garder un excellent niveau et de rester parmi les premiers tout au long du cursus, sinon ils perdent leur bourse. Un comité, formé de représentants du ministère de l’Education et de l’Académie Hassan II est chargé de faire le suivi de ce programme.

- Quels sont les projets en cours et actions prévues par l’académie en 2021 ?

- A ce jour, une vingtaine de projets sont en cours. Ces derniers touchent à plusieurs domaines. A titre d’exemple, en sciences de la vie, outre le projet axé sur le Covid-19, un projet sur la caractérisation génétique et moléculaire de l’arganier est en cours.

En sciences biologiques, un projet qui a fait beaucoup d’échos ces dernières semaines et qui a conduit à la découverte d’une vie microbienne en milieux confinés datant de 570 millions d’années dans la région de Ouarzazate est en cours. Ce projet, financé par l’académie, est piloté par une équipe internationale composée de l’Université Cadi Ayyad Marrakech, l’Université Cardiff et l'Université de Poitiers.

Au cours de l’année 2021, se tiendront au Maroc deux événements internationaux importants, à savoir, le congrès du Conseil africain de la recherche scientifique et de l’innovation qui relève de l’Union africaine, en novembre, et le Congrès de l’Académie des sciences du monde Islamique, en décembre.

Également, avec l’Académie du Royaume du Maroc et l’Ambassade suisse au Maroc, nous envisageons d’organiser un cycle de conférences sous le thème "Innovation et questions du temps présent". Et ce, pour commémorer le centenaire de la représentation diplomatique suisse au Maroc.

L'académie continuera de diffuser les publications régulières qu’elle édite. 

De leur côté, les six collèges de l'académie, qui font le suivi des projets de recherches en cours, organiseront également, selon la spécialité de chaque collège, des séminaires et workshops scientifiques portant sur les résultats des projets de recherches en cours.

 

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