Habboub Cherkaoui : L’Algérie est le seul pays de la planète à refuser l'aide du Maroc

INTERVEW (2/2). Trois mois après sa nomination, Habboub Cherkaoui, nouveau directeur du bureau central d’investigations judiciaires s’est lancé dans un véritable marathon médiatique pour expliquer la philosophie et les priorités de son service. Dans cette deuxième partie, il évoque longuement avec Médias24 le niveau de coopération internationale dont celui avec l’Algérie qui est à l’arrêt total.

Habboub Cherkaoui : L’Algérie est le seul pays de la planète à refuser l'aide du Maroc

Le 15 mars 2021 à 19h00

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

INTERVEW (2/2). Trois mois après sa nomination, Habboub Cherkaoui, nouveau directeur du bureau central d’investigations judiciaires s’est lancé dans un véritable marathon médiatique pour expliquer la philosophie et les priorités de son service. Dans cette deuxième partie, il évoque longuement avec Médias24 le niveau de coopération internationale dont celui avec l’Algérie qui est à l’arrêt total.

- Médias24 : Malgré vos bons résultats, vous n’excluez pas un attentat au Maroc en affirmant que personne n’est à l’abri. Aujourd’hui en mars 2021, comment évaluez-vous la menace terroriste ?

Habboub Cherkaoui : Si en effet personne n’est à l’abri, c’est à cause de la situation au Sahel qui est une zone fertile pour les organisations terroristes.

- Pourquoi ?

Parce qu’il y a une absence totale de contrôle et de coordination entre les Etats de la région du Sahel.

- Qui sont ?

Le Mali, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et dans une bien moindre mesure la Mauritanie.

Ce dernier pays a pris des mesures pour mettre fin à la porosité de ses frontières et empêcher les groupes terroristes d’y circuler comme le groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), l’AQMI d’Al Quaida, l’Etat islamique pour le grand Sahara dont le leader est un ancien du front polisario sans oublier Jound El Khalifa, Boko Haram et bien d’autres structures dangereuses.

- Les armes circulent donc toujours aussi facilement dans la zone du Sahel ?

Absolument, car étant très vaste, cette zone ne connaît aucun contrôle digne de ce nom.

- Que font vos services pour contrer ces menaces ?

Au regard de notre carte géostratégique proche des pays du Sahel, le Maroc cherche avant tout à développer le niveau de coopération sécuritaire avec eux avec, par exemple, la création en 2020 à Rabat d’un bureau programme chargé de la lutte contre le terrorisme et de la formation en Afrique.

- Comment se passe cette coopération, est-ce que le chef du BCIJ rencontre ou parle régulièrement au téléphone avec ses homologues sécuritaires tchadien, malien, mauritanien … ?

En matière de coopération sud-sud, il y a en effet une collaboration régulière notamment à travers des sessions de formation qui ont lieu au Maroc au sein de la DGST et des établissements sécuritaires.

De plus, nous assistons également les services de sécurité de ces pays pour des enquêtes au Mali, au Gabon et au Burkina Faso.

- Mais vous, à titre personnel ?

Pour ma part, j’ai effectué plusieurs visites chez mes homologues dans le cadre de formations avec la Tanzanie, le Madagascar, la Guinée Conakry, le Gabon et la Mauritanie.

- Que peut-on dire au sujet de la coopération marocaine avec l’Algérie ?

Simplement que pour le moment, il n’y a à notre grand regret aucun canal ouvert de communication sur le plan des échanges d’informations ou même de formations sécuritaires.

Pour résumer, la coopération maroco-algérienne est à l’arrêt total depuis des décennies.

- Il y a 4 ans, votre prédécesseur faisait le même constat....

En effet, rien n’a bougé ni changé depuis toutes ces dernières années.

- Sachant qu’avant de prendre la tête du BCIJ, vous dirigiez son département anti-terroriste, vous n’avez donc jamais eu au téléphone et encore moins rencontré votre homologue algérien ?

Jamais au grand jamais.

- L’Algérie ne vous envoie aucune information utile mais si vous avez un tuyau intéressant pour eux, qu’en faites-vous ?

De notre côté, c’est une nécessité impérieuse et un devoir de communiquer une information qui peut éviter un bain de sang.

- Même si vos homologues vous ignorent et font de la rétention d’informations ?

Peu importe car au final, qu’ils l’exploitent ou pas, nous aurons au moins la conscience tranquille.

Ainsi, si nous savons qu’un attentat doit avoir lieu en Algérie, il est de notre devoir de leur communiquer l’information pour des raisons d’entraide universelle car le terrorisme est surtout l’ennemi des citoyens.

Tout ce que j’espère, c’est que les choses finiront par évoluer dans le bon sens.

- En attendant encore 10 ans ?

Quoiqu’il advienne, l’essentiel est que le Maroc continue à collaborer dans le cadre de notre politique de vigilance.

- Avec ses 7 frontières, l’Algérie présente-t-elle un grand danger pour le Maroc ?

Il y a eu plusieurs tentatives d’importation d’attentats comme celle d’un algérien nommé Dahouss, appartenant au groupe terroriste Jound El Khilafa, qui avait un projet terroriste contre le Maroc et qui a été arrêté en 2015 par mon équipe dans la région de Bni Drar à côté de Berkane.

- Quid de votre collaboration avec l’Allemagne dont les relations diplomatiques sont gelées ?

Nous ne sommes pas autorisés à commenter la décision politique de nos autorités. Mais si nous avons une information pouvant être utile aux Allemands, nous la communiquerons au service central de la DGST qui décidera ou pas de la transmettre ; mais pour le moment, l’occasion ne s’est pas présentée.

- Qu’en est-il du dossier des ex-combattants marocains qui ont rejoint Daech en Syrie et Libye ?

Sur les 1.654 éléments répertoriés, 270 sont revenus au Maroc dont 137 ont été traités par le BCIJ.

- Ils sont donc en prison ?

Ils ont été arrêtés puis interrogés avant d’être déférés devant le parquet de la cour d’appel de Rabat.

La grande majorité des 137 a été placée sous mandat de dépôt et aujourd’hui une partie a été libérée.

- Que fait la DGST contre ces terroristes libres qui pourraient être tentés de récidiver ?

Ils ne sont pas lâchés dans la nature, sans suivi par les services de sécurité de la DGST et du BCIJ.

- Sachant que le chef du commando du massacre d’Imlil avait été incarcéré avant de voir sa peine diminuée en justice et récidiver par l’assassinat, comment peut-on libérer un type aussi dangereux ?

Sur le plan judiciaire, nous n’avions pas de griefs susceptibles de le laisser croupir en prison.

- Oui mais vos services auraient pu le surveiller physiquement ou avec des écoutes téléphoniques...

Le suivi des individus potentiellement dangereux ou susceptibles de récidiver existe toujours.

- Pardonnez-moi mais dans ce cas de figure, votre suivi a été clairement défaillant...

Je ne suis pas d’accord car on ne peut pas contrôler ou prévoir à l’avance les intentions homicides d’une personne même si elle a un passé judiciaire.

Des intentions ne sont pas toujours détectables en particulier chez certains individus qui se sont repentis dans le cadre de la politique nationale de déradicalisation et de réconciliation nationale.

- Vous voulez dire que vous n’avez pas les moyens de suivre et de contrôler tous les suspects ?

Ce n’est pas ça du tout, mais certains cas sont indétectables comme celui de l’ingénieur de Meknès qui s’était radicalisé en 2007 alors qu’aucun signe ne pouvait laisser croire à son embrigadement.

Instruit et d’un milieu aisé, Hicham Doukkali avait basculé sans crier gare pour commettre un attentat.

Tout ça pour dire que le suivi existe mais que parfois certains arrivent à détourner les soupçons comme d’anciens délinquants de droit commun qui deviennent extrémistes en seulement quelques jours.

- Que pouvez-vous nous dire de Adnane Abou Walid Sahrawi, ex-polisario qui dirige une cellule terroriste dans la région du Sahel ?

Natif de la ville marocaine de Laâyoune, cet ancien élément du polisario a été le porte-parole du mouvement Mujao et a constitué un groupe terroriste dénommé l’état islamique dans le grand Sahara.

Il est secondé par son bras droit Hakim Sahrawi, natif du camp algérien de réfugiés de Tindouf, et dont le surnom « Le Boucher » vous donne la mesure du personnage qui aime décapiter ses ennemis.

Le chef du groupe, qui est recherché par tous les services de la planète et notamment par les Etats-Unis qui offrent 5 millions de dollars pour sa capture, a perpétré depuis 2016 de nombreuses attaques contre des militaires et des civils pour s’activer au profit de l’agenda islamique.

- Avec sa double casquette d’ancien du polisario clairement anti-marocain et de chef islamiste de groupe terroriste, Adnane Abou Walid Sahrawi est-il le plus grand danger que court le Maroc ?

Evidemment mais aussi pour toute la région frontalière du Maroc.

- Que font vos équipes contre ce danger, y-a-t-il un commando du BCIJ pour l’interpeller ?

Sachant que la zone où il opère est très vaste et que son groupe cohabite avec des tribus locales qui l’aident, nous favorisons la coopération internationale pour l’interpeler.

- Offrez-vous une récompense pour sa capture comme le font les Américains ?

Non.

- Est-ce que le Maroc a pour habitude de payer des indicateurs pour interpeler des menaces ?

Ce n’est pas notre politique, d’autant plus qu’il y a des grandes connexions entre le terrorisme et le crime transfrontalier dans la zone du Sahel où s’activent cellules idéologiques et cartels criminels.

- Sachant qu’en seulement un mois, la DGSN a saisi 14 tonnes de cannabis, quel a été votre rôle ?

En fait, la plupart des grosses affaires de saisies de stupéfiants sont à mettre au crédit de la DGST, dont les équipes font un travail remarquable en termes de recueil d’informations.

- Un célèbre baron de la drogue, Mustapha Chairi, condamné à 15 ans de prison par contumace est mort dans un accident de voiture, comment expliquer qu’il ait été en fuite depuis plus de cinq ans et qu’il circulait librement entre le Maroc et l’Espagne ?

Encore une fois, il y a un suivi pour traquer les personnes recherchées et un jour ou l’autre, elles finissent par tomber dans nos filets, car nous ne relâchons jamais l’étreinte et nos efforts.

La preuve est qu’il ne devait pas être à l’aise et se sentait certainement traqué ou sous pression quand il a commis son accident de circulation.

- Quel a été le bilan en matière de lutte contre les stupéfiants depuis la création du BCIJ en 2015 ?

En cinq ans, nous avons saisi 59 tonnes de cannabis et 5 tonnes de cocaïne grâce aux informations fournies par la DGST.

- Pour conclure, comment voyez-vous l’année 2021 ?

Tout ce que je peux dire est qu'avec ou sans pandémie, nous n’aurons pas de répit et que notre secteur d’activité ne connaîtra jamais le chômage, car nos services seront toujours sur le pont…

>> Lire aussi : Habboub Cherkaoui (BCIJ) : Pour nous, le "tberguig" n’a aucune connotation négative

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