Croissance économique : la prévision de BAM de 5,3% en 2021 est-elle réalisable ?

Le dernier conseil de Bank Al-Maghrib a annoncé une prévision de croissance de 5,3% en 2021, bien supérieure à celle du gouvernement, du HCP, de la Banque mondiale et du FMI (entre 4 et 4,6%). Pourquoi la Banque centrale affiche-t-elle cet optimisme ? Ce chiffre est-il réalisable ? Réponses.

Croissance économique : la prévision de BAM de 5,3% en 2021 est-elle réalisable ?

Le 25 mars 2021 à 18h47

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Le dernier conseil de Bank Al-Maghrib a annoncé une prévision de croissance de 5,3% en 2021, bien supérieure à celle du gouvernement, du HCP, de la Banque mondiale et du FMI (entre 4 et 4,6%). Pourquoi la Banque centrale affiche-t-elle cet optimisme ? Ce chiffre est-il réalisable ? Réponses.

C’était la surprise de ce dernier conseil de Bank Al Maghrib, tenu mardi 23 mars. Présentant les résultats des délibérations de son conseil, le gouverneur de la Banque centrale a annoncé que son institution prévoit désormais une croissance du PIB de 5,3% pour l’année 2021.

Un chiffre très optimiste par rapport à toutes les prévisions émises jusque-là, qui oscillent entre 4 et 4,6% au maximum, et qui se basaient sur deux hypothèses centrales : une année agricole normale et une reprise économique pleine à partir du deuxième semestre de l’année. Reprise qui elle-même est liée au bon déroulement de la campagne de vaccination et son closing au mois de mai au plus tard, comme l’annonçait le ministère de la Santé dans ses objectifs initiaux. Des hypothèses considérées dès leur annonce comme optimistes et soumises à plein d’incertitudes…

Qu’est ce qui a poussé Bank Al-Maghrib à relever sa prévision de croissance ? La réponse a été apportée par Abdellatif Jouahri lui-même : le changement des prévisions pour la récolte céréalière.

« Ce qui détermine la prévision de 5,3%, c’est d’abord le niveau de la récolte céréalière et l’augmentation prévue de la valeur ajoutée agricole. Nous passerons d’une récolte de 30 à 90 millions de quintaux entre 2020 et 2021, avec une augmentation de plus de 17% de la valeur ajoutée agricole. Ce qui influe donc sur le chiffre de 2021, c’est l’importance du secteur agricole qui a également un effet d’entraînement sur le secteur non agricole », a expliqué le Wali de BAM.

En prenant donc en compte le changement de donne dans la campagne agricole, avec les pluies qui ont arrosé le pays tout au long de ce premier trimestre, le modèle de prévision de Bank Al Maghrib a ainsi automatiquement relevé le niveau de croissance anticipé. Mais ce même modèle semble ne pas avoir pris en compte les (mauvaises) nouvelles qui risquent de perturber le bon déroulement de la campagne de vaccination et empêcher un retour à la vie normale comme prévu en début d’année.

Bank Al Maghrib table d’ailleurs sur une croissance du PIB non agricole de 3,8%, similaire à la prévision de fin 2020. Objectif qui selon des économistes consultés par Médias24 sera difficilement atteint, remettant en cause la prévision optimiste de 5,3% émise par la Banque centrale.

Une prévision compromise par le retard de la campagne de vaccination

« La croissance du PIB non agricole ne sera pas à la hauteur de ce que l’on prévoyait fin 2020 et début 2021. Tous les acteurs s’attendaient à une reprise au deuxième semestre, à un retour à la vie normale en se basant sur les déclarations du ministère de la Santé qui a avait annoncé que les Marocains pouvaient passer un mois de Ramadan normal, sans gestes barrières. Il semble aujourd’hui clairement que les objectifs du ministère de la Santé qui tablait sur la vaccination de 80% des Marocains au premier semestre ne seront pas atteints. Et que la reprise attendue ne sera pas au rendez-vous », explique une de nos sources.

« Le Maroc a commencé sur une bonne note en vaccinant en deux mois plus de 13% de sa population. Mais le pays est aujourd’hui en rupture de stock, et nous n’avons aucune visibilité sur les prochaines livraisons de vaccins, sachant qu’une course mondiale est engagée et que l’offre n’arrivera jamais à répondre à toute la demande mondiale. L’objectif d’atteindre une immunité collective au premier semestre semble sérieusement compromis, et donc toutes les prévisions qui se rattachent à cette donnée essentielle doivent être revues. Ce que Bank Al Maghrib n’a pas pris en compte semble-t-il », ajoute notre économiste.

C’est à peu près le même discours que nous avait tenu, le 9 mars, le Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi.

« Si la vaccination n’avance pas comme prévu initialement, il va falloir qu’on réadapte notre plan de relance et notre manière de gérer cette crise. Les perspectives qu’on avait en début d’année ne sont pas à l’ordre du jour pour le moment. Mais il est très tôt de calculer l’impact exact de ce retard dans la campagne de vaccination sur la croissance prévue en 2021 », nous avait déclaré le Haut-commissaire au Plan, qui table sur une croissance de 4%, même en prenant en compte la bonne campagne agricole qui s’annonce.

« Ce qu’on va perdre d’un côté avec le retard de la reprise économique, on va le gagner de l’autre côté via la bonne tenue du secteur agricole », nous expliquait-t-il.

Et pour lui, cette incertitude sur le chiffre de la croissance ne vient pas seulement des difficultés à atteindre une vaccination de masse, mais également des évolutions nouvelles de la pandémie sur le plan international.

« Dans cette pandémie, nous vivons en interdépendance avec le monde. Alors qu’on commençait à entrevoir une sortie de la crise en Europe fin 2020, avec un espoir d’ouverture des frontières, on est retombé ces dernières semaines dans le scénario inverse. Les frontières se ferment partout et le Maroc a pris également des décisions en ce sens pour se protéger contre les nouveaux variants qui se multiplient et qui font des ravages chez notre premier partenaire commercial. Les choses deviennent donc très compliquées surtout pour les secteurs qui dépendent de l’international et de l’Europe et qui continueront à être à l’arrêt pour encore longtemps », nous précisait Ahmed Lahlimi.

Sérieux risques de détérioration de la situation sanitaire

Depuis notre entretien avec M. Lahlimi, les choses se sont encore plus corsées. Les difficultés de réapprovisionnement en nouvelles doses de vaccins ne sont plus aujourd’hui un simple risque, mais une réalité.

Pas plus tard qu’hier, Reuters et la BBC ont annoncé que l’Inde, principal fournisseur du Maroc en vaccins AstraZeneca a suspendu temporairement ses exportations en raison de l’aggravation de la pandémie en Inde. Une donnée qui a poussé les autorités du pays à accorder la priorité à ses citoyens.

Le Maroc a entre-temps accentué ses recherches pour de nouvelles sources d’approvisionnement, mais la partie semble ne pas être gagnée d’avance. Et les objectifs très optimistes du ministère de la Santé qui voulait atteindre l'immunité collective en 4 mois semblent aujourd’hui compris.

Autres perturbations apparues ces derniers jours : la détérioration de la situation sanitaire en Europe, avec le confinement déclaré par la France la semaine dernière, au moment où l’Europe toute entière fait face à une troisième vague virulente du virus dans ses nouveaux variants. Une détérioration qui risque de toucher également le Maroc.

Les données sanitaires des deux dernières semaines montrent une augmentation du taux de reproduction du virus, qui est passé à 1,05 au 14 mars, taux qui est resté au-dessous de 1 pendant 15 semaines. Le tout avec une hausse des contaminations hebdomadaires de 5,8%... Situation qui a poussé Ahmed Rhassane El Adib, professeur en anesthésie-réanimation au CHU Mohammed VI de Marrakech, à tirer la sonnette d’alarme au sujet de la situation sanitaire au Maroc, craignant l’arrivée d’une nouvelle vague de contaminations.

Des nouvelles pas très réjouissantes que le modèle de Bank Al Maghrib semble ne pas avoir pris en compte pour le calcul de sa prévision qui paraît désormais très optimiste au vu de la situation sur le terrain.

BAM va fort probablement revoir sa copie

Un économiste qui connaît bien les méthodes de la Banque centrale nous explique que cela est naturel. « Dans ses prévisions, Bank Al Maghrib se base sur les données disponibles du premier trimestre où ces risques nouveaux n’étaient pas encore visibles, et sont de toutes les façons difficiles à évaluer. Les modèles de la Banque centrale ne font pas de la spéculation, mais prennent en compte les données réelles du moment. Je suis sûr que cette prévision de 5,3% sera revue à la baisse au deuxième trimestre quand les économistes de Bank Al Maghrib intégreront le retard de la campagne de vaccination et les nouvelles évolutions de la situation épidémiologique, aussi bien dans le monde qu’au Maroc », nuance notre source.

Le Wali de Bank Al Maghrib ne dit pas autre chose justement. En annonçant son chiffre de 5,3%, il a tout de suite reconnu que cette prévision était soumise à beaucoup d’incertitudes, et que la Banque centrale n’hésitera pas à actualiser ses prévisions trimestrielles selon l’évolution de la situation sanitaire et économique.

« Nous actualisons nos prévisions tous les trimestres. Et j’ai signalé que notre prévision du premier trimestre est soumise à plein d’incertitudes, notamment le bon déroulement de la campagne de vaccination, la disponibilité des vaccins et les délais de leur livraison. La relance ne sera totale que quand on aura touché l’immunité collective, soit un taux de vaccination de la population de 70 à 80%. Nous sommes aujourd’hui à 4 millions de personnes vaccinées, et il va falloir arriver à 20 millions. Si l’on voit que les choses ne vont pas comme prévu, nos modèles vont réactualiser la prévision de croissance. Et nous corrigerons nos chiffres. L’année dernière, on a commencé par dire que l’on fera une récession de 2,3% au premier trimestre, un chiffre qui est passé à 5,6% au deuxième trimestre, puis à 5,2%... Les chiffres que nous indiquons sont soumis à des actualisations constantes selon l’évolution des choses », a expliqué Abdellatif Jouahri.

Et cette actualisation n’est pas liée seulement à la situation épidémiologique ou à la disponibilité des vaccins, mais également au déroulement de la campagne agricole, ajoute le Wali de BAM.

« Si on fait plus de 90 millions de quintaux, ça s’ajoutera à la croissance. Et améliorera nos prévisions. Et vice versa. Nous avons fait des stress tests, et nous savons que s’il y a par exemple un chergui en fin de campagne, on baissera à 75 millions de quintaux, ce qui tirera la croissance vers le bas », précise-t-il.

Les 5,3% de croissance sont, en somme, le résultat de l'optimisme affiché par l’ensemble des acteurs économiques au premier trimestre de l’année. Trois mois où les pluies sont venues enchanter le monde rural, mais aussi urbain, et où le Maroc a fait un excellent départ dans sa campagne de vaccination. Une euphorie qui ne semble plus d'actualité aujourd'hui et qui poussera certainement la Banque centrale à revoir ses prévisions à la baisse lors de son prochain conseil. 

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