Dr Saïd Afif : Si nous comptons sur nous-mêmes, nous irons très loin

Le conseil de gouvernement devrait discuter au cours de sa prochaine réunion, un projet de réhabilitation et de réforme du système de santé présenté par Khalid Ait Taleb au cours du conseil du mardi 20 avril. Cette réforme est rendue nécessaire par la perspective de la généralisation de la couverture sociale à l’ensemble de la population, d’ici fin 2022.

Dr Saïd Afif : Si nous comptons sur nous-mêmes, nous irons très loin

Le 25 avril 2021 à 21h33

Modifié 26 avril 2021 à 11h54

Le conseil de gouvernement devrait discuter au cours de sa prochaine réunion, un projet de réhabilitation et de réforme du système de santé présenté par Khalid Ait Taleb au cours du conseil du mardi 20 avril. Cette réforme est rendue nécessaire par la perspective de la généralisation de la couverture sociale à l’ensemble de la population, d’ici fin 2022.

Le document présenté par le ministre n’a pas été rendu public puisqu’il s’agit plus précisément d’un avant-projet. Seuls quelques points ont figuré dans le communiqué officiel du conseil de gouvernement. Parmi ces derniers, “ la valorisation des ressources humaines en levant les obstacles imposés par la loi 131.13, sur la pratique des médecins étrangers au Maroc“. Y figure également l’approche régionale.

L’un des chefs de file des organisations médicales, My Said Afif [i], nous expose ci-dessous son point de vue sur la manière dont le système de santé doit être préparé à assumer la généralisation de la couverture médicale. Un point de vue qui rejoint avec des nuances celui exposé par le ministre et qui soulève d’autres points qui ne figurent pas dans le communiqué officiel.

Médias24: La généralisation sera un défi pour le corps médical. Les médecins seront-ils assez nombreux pour faire face aux besoins dans toutes les régions et toutes les communes, même les plus reculées ?

Dr My Saïd Afif: Il est normal qu’en prévision de la généralisation, il y ait une véritable refonte du système de santé. Le chantier de la protection sociale lancé par Sa Majesté le Roi va consacrer l’équité sociale et bien entendu l’article 31 de la Constitution qui stipule que la santé est un droit pour tous.

Mais il y a plusieurs préalables. La formation de base d’abord qui n’est pas encore arrivée à former les 3.300 médecins par an, projet lancé au temps de M. Jettou. On arrive à former entre 2.000 et 2.200 par an si l’on compte tous ceux qui soutiennent leur thèse de doctorat en médecine.

Nous avons actuellement 7 facultés de médecine et une autre faculté va bientôt ouvrir à Laâyoune. Il faut penser également à ouvrir des annexes de facultés distantes qui pourront dispenser la formation. A titre d’exemple, cette période de Covid a bien montré que Casablanca a besoin d’un autre CHU au niveau de la région.

-Si l’on augmente le nombre de médecins en formation chaque année, si l’on ouvre davantage de postes d’internes et de résidents, il faudra d’une part supprimer ou élargir le numerus clausus d’accès à la formation médicale; et d’autre part, cela demandera de gros efforts financiers de la part de l’Etat...

-Je suis d’accord ; la santé a un coût. Nous nous sommes tous rendus compte récemment que la santé n’est pas seulement un secteur social et de consommation ; mais c’est un secteur qui impacte l’économie et la production. La pandémie a tout bloqué à un certain moment.

Il faut investir maintenant dans la santé qui devient un secteur primordial. Et pour cela trouver donc des moyens de financement et ça a été décliné lors de la présentation du projet par le ministre des Finances.

Nous n’avons pas le choix : le budget du ministère de la Santé doit être augmenté pour faire face à l’ensemble des besoins. La généralisation de la couverture médicale n’est pas uniquement une question de cotisations, tout le système doit suivre et être mis à niveau.

-Il faudrait donc pouvoir retenir les médecins marocains dans les contrées éloignées, rurales ou montagneuses ; faire revenir une partie des médecins marocains installés à l’étranger ; convaincre les nombreux médecins qui partent chaque année à l’étranger de ne plus le faire…

-Comme l’a souligné le ministre dans sa présentation, il faut qu’il y ait un statut particulier de fonction de la santé. Il est illogique et contre-prductif de recruter les médecins à 8.400 DH par mois. C’est l’une des raisons pour lesquelles sur les 2.200 médecins formés chaque année, environ 600 s’installent à l’étranger chaque année. Et ceci, sans oublier les milliers de médecins qui sont déjà à l’étranger et qui ont des compétences importantes dont notre pays a besoin. Donc, l’investissement dans le capital humain est indispensable.

Il faut faire confiance aux Marocains. Quel que soit ce que l’on peut dire sur notre système de santé, nous avons fait face à la pandémie, nous avons sauvé de nombreuses vies, nous avons bien géré la situation difficile malgré ce système. Il faut commencer par valoriser le capital humain marocain. A ce moment-là, il n’y aura aucun problème pour les compétences étrangères.

-Est-ce qu’un meilleur salaire suffira pour retenir les médecins?

-Non, c’est un tout. Le salaire fait partie de ce tout. Il y a le salaire, la formation, la valorisation du médecin marocain, les conditions de travail.

Nous avons besoin d’une vraie carte sanitaire pour que les professionnels de santé, par exemple dans les zones enclavées, aient des incitations, qu’ils soient du privé ou du public. Incitations que la région ou la mairie doivent déployer elles-même pour attirer les compétences médicales.

Un système de santé performant suppose l’équité dans l’offre de soins y compris au niveau territorial. La régionalisation avancée sera d’un grand apport, en impliquant les communes, les régions, la Santé, l’Intérieur ; mettant à contribution aussi bien le public que le privé pour que n’importe où au Maroc on puisse etre soigné de la même façon.

Les régions et les communes par exemple peuvent aider à loger les médecins dans les régions enclavées. Les médecins formés dans une faculté de médecine doivent s’engager à travailler dans la même région.

-Donc, un ensemble de mesures incitatives, y compris au niveau local, et davantage de formation de médecins...

-Et la formation médicale continue qui doit se faire avec bien sûr la participation financière des caisses de maladie. Cette formation est essentielle pour des raisons évidentes.

-Le privé et le public se tournent parfois le dos…

-Avec le Covid, il y a eu une collaboration exemplaire entre le privé et le public. Par exemple, à Casablanca, la polyclinique Ziraoui de la CNSS a été dédiée à la prise en charge Covid et ce sont les médecins du secteur privé qui se sont relayés pour assurer le service.

Le partenariat public-privé est l’un des axes qui nous permettront d’avoir un système de santé bien plus performant, pouvant gérer la généralisation de la couverture médicale.

Là où il y a des besoins ou des manques, il faut mutualiser aussi bien les ressources humaines que les équipements. Dialyse, scanners, IRM, médecins, personnel paramédical : tout doit pouvoir être mutualisé en fonction des besoins.

-Est-ce que tous les médecins respectent les tarifs de la nomenclature officielle ?

-Avec la refonte, il faudra améliorer les tarifs, dans le public et dans le privé.

Dans les CHU, c’est une gestion autonome. Pour qu’ils puissent se développer, il faut qu’il y ait une amélioration des ressources.

Pour le privé, cela passe par la refonte du tarif national de référence. On ne peut pas continuer à rembourser une consultation de généraliste à 80 DH et une consultation d’un spécialiste à 150 DH et une réanimation à 1.500 DH ; parce que le reste à charge pour le patient dépasse les 50%. Dans ces conditions, si on garde le même tarif de référence, cela risque d’être une demi-couverture médicale.

Et si le patient n’a pas les moyens de payer les 50% restants, il risque de s’abstenir de se faire soigner.

-L’augmentation du tarif de référence impliquerait un coût supplémentaire pour l’État, à travers sa contribution au financement du système.

-Il faut un équilibre, il faut qu’il y ait des mesures de relèvement du tarif, dans l’intérêt du patient et de la généralisation de la couverture médicale.

L’État avec le régulateur devra effectuer des études pour déterminer le coût réel des prestations et utiliser les résultats pour relever le tarif.

Dans ce cas, les praticiens qui dépasseraient cette tarification seraient sanctionnés.

Est-ce qu’il y a un généraliste aujourd’hui qui passe une consultation à 80 DH ? Non. Le reste est payé par le patient. Y a-t-il une réanimation à travers le monde à 1.500 DH par jour ? Non.

-Si l’on se base sur les études fiscales, le corps médical privé ne paie pas suffisamment d’impôts. Il s’agit d’une moyenne avancée par des sources informées. Il ne s’agit pas de tous les médecins…

-Le nouveau système sera digitalisé, tout sera clair. Chaque patient aura sa carte de soins. Tout sera traçable.

-Vous proposez de relever les tarifs des médecins pour un meilleur accès des patients aux soins. Vous n’évoquez pas l’accès aux médicaments…

-Au contraire. Nous l’avons vu, la vaccination a pris de l’importance avec la pandémie. Il est temps que la vaccination au Maroc soit remboursée à 100%. Cela permettra aux personnes couvertes de se faire vacciner dans le privé, ce qui va dégager des ressources et donc introduire d’autres vaccins dans le programme national de vaccination ; comme le vaccin contre le cancer du col de l’utérus ou contre l’hépatite A.

Dans le cadre de cette refonte, il faut encourager l’industrie pharmaceutique nationale. Nous avons vu l’intérêt d’avoir une industrie à la hauteur. Durant cette pandémie, on a vu que l’Hydroxychloroquine est fabriquée au Maroc, l’Azithromycine également et d’autres antibiotiques.  Nous aspirons aussi à fabriquer nous-mêmes les vaccins au Maroc pour devenir un hub pour l’Afrique.

Dans la foulée, il faut encourager la recherche en mobilisant des financements plus conséquents et créer des partenariats entre différentes universités. Nous avons tous vu qu’il y a des Marocains qui ont fait des études ici dans l’école publique et qui sont partis à l’étranger et nous avons vu où est-ce qu’ils sont arrivés ; nous avons besoin que ces potentialités humaines puissent développer leurs recherches au maroc.

-Ce que vous dites est séduisant mais très coûteux…  Est-ce qu’il ne faut pas commencer par mieux gérer ce qui existe ?

-Mais oui. Nous avons besoin d’une meilleure gouvernance du secteur. Il y a beaucoup de choses qui ne coûtent pas énormément. Il faut réduire la lourdeur administrative, ou mieux encore la bannir. Mais l’essentiel, pour résumer, est de compter sur soi. Si nous comptons sur nous-mêmes, nous pourrons aller très loin.

[i] Dr My Said Afif est notamment président de la Fédération Nationale de la Santé et de la Société Marocaine des Sciences Médicales.

>>Lire aussi: Les médecins étrangers à la rescousse du système de santé marocain

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