Sarim Fassi-Fihri: «La grogne de certains professionnels ne me fera pas démissionner»

Dans cet entretien avec Sarim Fassi-Fihri, Médias24 tâche d’abord de dresser un état des lieux de l’industrie cinématographique depuis l'arrivée de la pandémie avant d’analyser les répercussions d'un contexte tendu avec les professionnels sur l’avenir du secteur.

Sarim Fassi-Fihri: «La grogne de certains professionnels ne me fera pas démissionner»

Le 5 mai 2021 à 20h20

Modifié 17 mai 2021 à 11h10

Dans cet entretien avec Sarim Fassi-Fihri, Médias24 tâche d’abord de dresser un état des lieux de l’industrie cinématographique depuis l'arrivée de la pandémie avant d’analyser les répercussions d'un contexte tendu avec les professionnels sur l’avenir du secteur.

Doublement impacté par la fermeture des frontières et par les nouvelles règles sanitaires créées pour minimiser les contaminations dues à la pandémie, le chiffre d'affaires des tournages étrangers et nationaux n’a pas cessé de diminuer. Comme si cela ne suffisait pas, une crise oppose désormais le DG du CCM, Sarim Fassi-Fihri, à 60 signataires d’une lettre adressée au ministère de tutelle qui dénonce ses méthodes et réclame son départ.

Médias24 : Avez-vous une visibilité sur la reprise des tournages étrangers qui sont à l'arrêt total?

Sarim Fassi-Fihri: Aucune car le redémarrage est étroitement lié à la date de réouverture des frontières, décision gouvernementale qui ne dépend pas du Centre cinématographique marocain.

-Sachant que nous sommes déjà au mois de mai, faut-il s'attendre à une année blanche en termes de recettes?

-Non, je ne pense pas.

-Comment être aussi optimiste alors que vous n'êtes pas décisionnaire?

-Parce que 2021 est loin d'être finie et qu'il n'est pas exclu que les frontières internationales rouvrent à partir du mois de juin prochain, ce qui nous permettrait donc de rattraper l'année.

-Dans l'idéal, sur quel montant de chiffre d'affaires table le CCM pour 2021?

-Il est difficile de l’estimer mais il est sûr que les gros investissements qui étaient prévus pour 2021 n'attendent plus que l'ouverture des frontières pour revenir travailler au Maroc.

S’il est certain que nous n’arriverons pas au chiffre d'affaires de 2019, nous pourrons cependant réaliser un chiffre assez honorable si la réouverture ne tarde pas trop.

-L'équivalent de 2020, soit 400 millions de dirhams?

-Peut-être même mieux.

-A ce jour, combien de tournages de longs-métrages et de séries ont été annulés?

-Il est difficile de les comptabiliser car si certains investisseurs ont demandé des autorisations de tournage (une demi-douzaine accordées), d'autres n’ont pas eu le temps de déposer une demande, sachant que cela coïncidait avec l'arrivée du variant anglais puis de la fermeture des frontières.

-Y-a-t-il eu des producteurs étrangers qui ont préféré zapper le Maroc pour tourner ailleurs?

-Pas pour l'instant mais il est vrai que les deux réalisateurs belgo-marocains Adil El Arbi et Bilall Fallah, installés à Hollywood, qui voulaient tourner en juin au Maroc n’ont pas pu obtenir la garantie du CCM que les frontières seraient rouvertes et ont par conséquent choisi la Jordanie.

-Faute d'investisseurs étrangers, combien y a-t-il de tournages nationaux en ce moment?

-Tout d’abord, il faut préciser que ce mois de mai constitue la période la plus creuse de l'année.

-Pour quelle raison?

-Parce que les tournages des séries télévisées se sont terminés à la fin de la première semaine du Ramadan  afin de livrer aux télévisions les derniers épisodes à la fin de la période du mois sacré.

Ainsi, la semaine dernière, il y avait certains jours deux tournages quotidiens pour tout le Maroc alors que la moyenne est de 20.

-Qu’en est-il des long-métrages?

-Sachant qu'ils sont subventionnés par le CCM et qu'il y a eu des délais accordés pour s’adapter à la crise sanitaire de la Covid, il y a eu en définitive très peu de tournages et beaucoup de report avec des gens qui attendent des jours meilleurs.

A contrario, malgré les trois mois de confinement, le nombre de production des fictions télévisées a littéralement explosé avec des chiffres pour 2020 qui sont bien meilleurs que ceux de 2019 qui étaient pourtant une excellente année de référence.

A la fin de l'année actuelle, il devrait donc certainement y avoir moins de tournages de long-métrages qu’en 2020 et beaucoup moins qu'en 2019.

-Est-ce  la raison pour laquelle une partie de la profession réclame depuis peu votre départ en vous accusant de sanctions injustifiées voire même d'autoritarisme dictatorial?

-Absolument pas. En réalité, comme nous sommes dans un système qui brasse beaucoup d'argent et que les enjeux financiers sont importants, certains acteurs du secteur sont prêts à tuer.

En effet, avec des subventions moyennes de tournage qui flirtent allègrement avec les 4 millions de dirhams, les gens n'hésitent pas à s'entre-tuer pour décrocher la timbale.

-A qui pensez-vous en particulier?

-Ni aux distributeurs ni aux exploitants de salle, car au final il ne s’agit que d’une poignée de producteurs qui ont subitement décidé de s'attaquer à moi en me désignant à la vindicte professionnelle comme un bouc émissaire bien commode de leurs propres turpitudes.

Ce sont des gens qui ont obtenu des subventions et qui faute d'avoir respecté les textes et les délais de livraison, prévus bien avant la crise sanitaire, ont dû être rappelés à l'ordre voire sanctionnés.

En réalité, cette histoire a été activée par certains acteurs mécontents d’un audit de l'inspection générale des finances qui nous a demandé d'être plus rigoureux sur les délais de livraison des longs métrages qu'il subventionne.

Sachant que le CCM n’a eu d'autre choix que de se conformer aux injonctions de l'IGF, certaines personnes qui s'étaient habituées à une situation de rente ont commencé par ruer dans les brancards.

-60 signataires dont des grands noms de la profession... cela laisse quand même perplexe...

-A l’origine de cette lettre ouverte, il n'y a en réalité que trois personnes qui ont commencé à rameuter leurs camarades qui ont voulu faire preuve de solidarité.

-Au regard de la plainte que vous aviez déposée, puis retirée, contre le producteur Hicham Hajji, son nom dans cette liste n'est pas surprenant mais celui du réalisateur Noureddine Lakhmari est plus troublant car il donne du poids aux accusations...

-Selon moi, c'est une simple question de gros sous qui a fait que Noureddine Lakhmari, pardonnez-moi l'expression, a tout simplement pété un câble.

Sachant que le système du cinéma marocain est basé sur le versement d'une avance sur recettes aux porteurs de scénario et qu'il faut la rembourser  un jour ou l'autre, certaines personnes oublient de le faire et le jour où on veut les obliger à le faire, ils ne sont pas contents.

A partir de là, je maintiens que le fond du problème est simplement d'ordre financier.

-Sachant que vous dirigez le CCM depuis 2014 et que vous devriez être à la retraite depuis 2018, pensez-vous démissionner pour satisfaire ceux qui exigent votre départ?

-A partir du moment où vous dérangez des gens qui ne trouvent plus leur compte financièrement, il est normal qu’ils préfèrent une personne plus conciliante avec laquelle ils auront moins de mal à financer leur projet de film même s'il ne tient pas la route.

-N'avez-vous pas été maladroit ou peut-être trop autoritaire avec certains?

-Aujourd'hui, il est facile voire commode de me désigner comme un bouc émissaire alors que dans les faits, je suis à cheval entre le marteau et l'enclume.

En effet, si les choses en sont arrivées à ce stade, c'est simplement parce que pendant des années, nous avons été très souples sur les délais de livraison mais quand le rapport de l'IGF est sorti en juin 2020 et nous a enjoints de multiplier les contrôles, le CCM n'a eu d'autre choix que de sévir.

-Etiez-vous vraiment obligé de sanctionner les retardataires?

-Absolument mais ceux qui n'ont pas respecté leurs engagements de livraison ont préféré croire que cette nouvelle rigueur était dictée par une démarche personnelle voire vindicative.

Au total, dans le cadre de la mission de contrôle de l'IGF, le CCM a traité 165 dossiers litigieux dont certains ont été réglés, d’autres rappelés à l'ordre et enfin une partie sanctionnée.

Si certains ont utilisé la crise sanitaire pour justifier leur retard de livraison, il faut préciser que la plupart des dossiers litigieux avaient été déposés avant mars 2020 soit bien avant la pandémie.

La plupart était déjà hors délai en janvier 2020 et certains accusaient des retards qui remontaient jusqu’à 2012 alors que légalement, le tournage doit commencer 18 mois après le versement de la 1ère avance et se poursuivre 12 mois après le premier jour de tournage soit 2 ans et demi au maximum.

-Combien de dossiers ont pu être réglés?

-Nous avons pu ramener à la raison la majorité grâce à des délais accordés à certains retardataires.

En définitive, ce sont ceux qui n’ont pas été en mesure de respecter leurs engagements de livraison qui sont furieux et qui m’attaquent alors que l’IGF demande des résultats.

-Le CCM a pourtant refusé un délai supplémentaire de livraison au réalisateur Hicham Lasry qui a également signé la lettre vous mettant en cause?

-Je n’ai aucun souci personnel avec ce cinéaste talentueux mais il est vrai qu’il a demandé un délai qui lui a été refusé pour la bonne raison que sa productrice a affirmé à la commission que les guichets internationaux de financements étaient fermés alors que ce n’était pas du tout le cas.

S’il avait expliqué, comme plusieurs confrères, que son retard de livraison était dû au Covid (confinement, restrictions de la circulation …), il aurait eu un délai mais il peut encore faire appel.

-Sachant que ce mouvement de contestation est inédit dans la profession, pensez-vous qu'il finira par avoir raison de votre mandat pour ne pas dire votre peau?

-Je ne pense pas car je suis assez serein et l'administration qui m'entoure, tutelle et ministère des Finances, connaît très bien la réalité des choses qu’ils vivent avec moi depuis près de 8 mois.

En fait, il est tout à fait normal que cette histoire m’explose à la figure car c'est moi qui suis en première ligne mais je gère cette situation avec beaucoup de sérénité.

-Malgré certaines attaques personnelles très violentes sur les réseaux sociaux?

-Encore une fois, je ne suis pas du tout surpris car dès qu'il y a des enjeux financiers importants, les gens sont prêts à tous les excès.

En effet, quand vous donnez 4 millions de dirhams à quelqu'un, c'est de l'argent facile qui suscite beaucoup de convoitise d’autant plus que même dans les pays arabes riches, on distribue des sommes bien moins importantes qui tournent autour de 50.000 euros soit 500.000 dirhams.

-Sachant que vous avez retiré l'avance sur recettes à 6 réalisateurs-producteurs, est-ce que cette crise va faire baisser le nombre de productions nationales pour 2021?

-Je ne pense pas car ceux à qui nous avons fini par retirer l'avance sur recettes avaient des projets de films qui avaient été déposés depuis 2015 et qui n’avaient toujours pas été livrés comme convenu.

 -Quid de ceux qui ont reçu de l’argent public entre 2016 et 2020 et qui n'ont pas livré?

-Nous avons obtenu une dérogation spéciale des ministères de la communication et des finances pour leur imposer de livrer leur long-métrage au 31 mai courant.

-Qu’est devenu l’argent versé par le CCM à ceux qui n’ont toujours pas livré le film promis?

-En fait, il y a tous les cas de figure. Une partie des bénéficiaires, notifiée par la commission qui délivre les avances sur recettes, ne l’ont jamais touché et ont préféré reporter leur tournage.

Certains traînent encore et d’autres ont carrément disparu avec la première tranche dont nous n’avons plus aucune nouvelle et avec qui nous sommes en justice.

A partir de là, vous comprenez que ça peut être un bon business pour peu que l’on soit malhonnête.

-Y-a-t-il une sortie de crise en vue ou une conciliation en cours avec vos détracteurs?

-N’ayant rien à me reprocher et ne faisant qu’appliquer les injonctions de l’IGF, je pense encore une fois que c’est un problème d’intérêts financiers et une rente que certains ne veulent pas perdre.

-Si l'on suit votre raisonnement, vous dérangez et vous êtes presque l’homme à abattre?

-Selon-vous, qu'est-ce qui peut m’arriver de pire? que je m'en aille ?

-C'est en effet le souhait le plus ardent de vos détracteurs actuels!

-Je n'ai pas le pouvoir de prendre cette décision mais comme je suis investi dans le secteur depuis de nombreuses décennies, je ne leur ferai certainement pas le plaisir de démissionner.

Ceci dit, il n'est pas exclu que certains veuillent utiliser cette histoire comme un fusible pour me remplacer par quelqu'un de plus conciliant qui préférera affronter la Cour des comptes ou l'IGF plutôt que ceux qui sont dérangés par des contrôles qui portent sur la reddition des comptes.

Au final, quoi qu’il advienne, je poursuis ma mission le plus sereinement possible ...

En lien hypertexte, la réaction des réalisateurs et de la productrice nommés dans l'interview.

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