Après les élections, vent de renouveau ou simple dégagisme chez les perdants ?

Avec sa victoire écrasante aux élections et le choix d’une alliance réduite au PAM et à l’Istiqlal sur le plan national et local, Aziz Akhannouch a procédé à une redistribution des cartes au sein de la scène politique. Un séisme qui obligera les partis relégués dans l’opposition à se renouveler pour suivre le rythme. Ou mourir.

Après les élections, vent de renouveau ou simple dégagisme chez les perdants ?

Le 23 septembre 2021 à 19h29

Modifié 24 septembre 2021 à 9h04

Avec sa victoire écrasante aux élections et le choix d’une alliance réduite au PAM et à l’Istiqlal sur le plan national et local, Aziz Akhannouch a procédé à une redistribution des cartes au sein de la scène politique. Un séisme qui obligera les partis relégués dans l’opposition à se renouveler pour suivre le rythme. Ou mourir.

Depuis l’annonce des résultats des élections, et surtout la constitution de l’alliance gouvernementale des trois (RNI-PAM-Istiqlal), un vent de dégagisme et de renouveau semble souffler sur la scène partisane.

Dès l’annonce par le ministère de l’Intérieur des résultats du scrutin, le PJD a été le premier parti à appeler à un Conseil national d’urgence qui a abouti à la convocation d’un Congrès extraordinaire où sa direction sera renouvelée, après la démission de Saâdeddine El Othmani et tous les membres du secrétariat général du parti. Une démarche logique après la défaite historique du parti de la lampe, passé de leader du champ politique avec 125 sièges à petit poucet de l’opposition, avec 13 sièges. Même pas de quoi constituer un groupe parlementaire…

Quelques semaines plus tard, et après avoir annoncé la composition de son alliance gouvernementale, une troïka constituée de son parti, du PAM et de l’Istiqlal, Akhannouch a créé une grande surprise en reléguant plusieurs de ses anciens alliés à l’opposition : l’UC, le MP, mais surtout l’USFP qui était assuré d’avoir une place au gouvernement, après les bons et loyaux services rendus au RNI en 2016.

Cette troïka qui constituera un gouvernement ramassé, peut-être le plus resserré et réduit de l’histoire du Maroc, a ainsi relégué à l’opposition des partis qui n’ont pas, au départ, fait ce choix et qui comptaient bien participer à la majorité gouvernementale. A part le PPS, qui savait déjà qu’il ne serait pas retenu par Aziz Akhannouch.

Un mouvement de dégagisme à la tête des partis

Se retrouvant réunis dans l’opposition, sans ligne politique claire, et sans la stature de partis de l’opposition, ces formations seront acculées, par ce choix, fait par Aziz Akhannouch de revoir leurs cartes pour se reconstruire.

C’est typiquement le cas de l’USFP dont le premier secrétaire a déclaré au moment même où le chef du gouvernement annonçait son alliance, qu’il convoquerait un congrès extraordinaire pour renouveler la direction du parti, déclarant par la même occasion qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat et respectant en cela les statuts du parti qui limitent les mandats.

Au PPS, les choses ne sont pas encore très claires. Mais selon les remontées d’information que nous avons, un congrès extraordinaire serait également à l’étude. A quoi il aboutira ? On ne sait pas encore. Mais une chose est sûre : après deux mandats, Nabil Benabdellah ne sera pas candidat pour sa propre réélection, comme il l’avait lui-même déclaré, à plusieurs reprises, avant même la tenue des élections.

"Le PPS est le seul de ces partis qui sort gagnant. Il a fait son meilleur score de l’histoire et son positionnement anti-RNI dans la campagne était clair. Sa ligne politique dans l’opposition le sera aussi : il s’opposera à Akhannouch, à son ultra-libéralisme qu’il a toujours dénoncé, au mélange entre argent-pouvoir, aux situations de conflits d’intérêts… Si Nabil Benabdellah part, il sortira la tête haute, par la grande porte", estime Zakaria Garti, président du mouvement Maan.

Cette mise à l’écart inattendue pose des questions également sur l’avenir de l’UC et du MP. Participant à presque tous les gouvernements du Maroc, ces deux partis se retrouvent un peu perdus, dans les rangs de l’opposition. A quoi ils s’opposeront ? Et à qui ils s’opposeront ? Sur la base de quelles lignes et principes ? Autant de questions auxquelles ils sont incapables de répondre, leur positionnement historique, ayant toujours été semblable à celui du RNI. A moins qu’ils ne choisissent de faire le « soutien critique », option qui serait la plus logique, en attendant que leur heure arrive…

« Au-delà de la participation au gouvernement, le plus important pour le MP et l’UC, c’est avoir des notabilités qui ont une part du gâteau. Et de se maintenir dans leur fief historique… », nous explique Zakaria Garti.

Une nouvelle polarisation qui clarifie le champ politique

Mais plus intéressant encore, cette stratégie de Aziz Akhannouch, en plus de créer un séisme qui emporterait avec lui, toutes les directions actuelles des (vrais) partis de l’opposition (PJD, USFP, PPS), a créé une véritable ligne de démarcation qui clarifie davantage la scène politique.

Avec des partis du centre-droite à la majorité et un bloc de gauche à l’opposition pour une première depuis l’ère Hassan II, accompagné de deux partis (UC et MP) qui choisiront, fort probablement, une position médiane, celle du soutien critique au gouvernement, et d’un PJD totalement abattu, nous vivons la fin de la polarisation modernistes vs islamistes pour entrer dans une nouvelle configuration : un affrontement gauche-droite, libéraux (centristes, égalitaires) contre les socialistes. Un peu comme partout dans le monde et dans toutes les démocraties modernes.

Sans le vouloir peut-être, Aziz Akhannouch a pu, à travers d’abord sa victoire, puis par ses audacieux choix d’alliances, réussir ce que le Mouvement de Tous les Démocrates (MTD), crée en 2007 et qui a donné naissance au PAM, n’a pas réussi à faire : affaiblir les islamistes, renouveler le champ partisan et rationaliser la carte politique. Il est vrai aussi que la séquence actuelle est favorable à la fin des populismes et de l'Islam politique.

D'où cette petite nuance que nous apporte le président du mouvement Maan, Zakaria Garti, qui pense que « le MTD et son émanation politique étaient presque arrivés à cet objectif, mais ont été stoppés par le printemps arabe de 2011 ». Un coup de frein qui n’a finalement pas duré trop longtemps…

Cela étant dit, le changement de directions et de leaders des partis de l’opposition n’est pas forcément synonyme d’un renouveau. Car tout dépend de ce qui sortira de cette série de congrès extraordinaires qui seront tenus, avant la fin de l’année.

Au sein du PJD par exemple, le renouveau doit être matérialisé par la réflexion et la formulation d’une nouvelle thèse politique. Ce qui ne sera pas le cas, au vu de ce qui se dessine déjà à l’horizon, avec le retour en force de l’aile dure du parti.

Le renouveau du PJD ne passera pas par Benkirane

« C’est un secret de polichinelle. Benkirane sera le nouveau SG du PJD. Sauf s’il reçoit un signal pour ne pas y aller. Mais Benkirane doit normalement revenir, son retour est nécessaire pour ressouder le parti. Toutefois, il ne sera pas le leader du renouveau, mais un leader de transition. Cela fait six ans qu’il est à la maison et on voit bien, à travers ses Lives facebook, qu’il n’a pas développé une nouvelle thèse politique. Il jouera certainement sur la corde du mélange argent-pouvoir, sera dur avec Akhannouch et le gouvernement, se positionnera en défenseur de la justice sociale, mais cette ligne est déjà consommée. Pour se renouveler, le PJD a besoin plus que d’un leader, d’une nouvelle thèse politique », explique le président du mouvement Maan.

Un avis que partage un cadre du parti islamiste, qui pense que le renouveau viendra de la troisième génération de Pjdistes, de jeunes de moins de 40 ans qui planchent, déjà, sur une nouvelle thèse politique, avec des principes courageux, telle la prise de distance complète avec le MUR. Une prise de distance qui fait sens, selon notre source, après les résultats du PJD aux législatives et aux communales et qui sont dues selon lui à un effet MUR.

« Le PJD allait certainement perdre des sièges. Mais pas autant qu’aujourd’hui. Si on a vécu cette débâcle, c’est à cause du MUR et d’associations proches du MUR, qui ont appelé à ne pas voter PJD ou du moins à s’abstenir. Tous les gens du PJD le savent. Le MUR a lâché le PJD, pour punir le courant El Othmani. Mais les 13 sièges du PJD ne représentent en aucun cas son réel poids dans la société. Les jeunes du parti l’ont compris, et du fait de leur fraîcheur, de leur non-implication dans les instances du MUR, veulent s’émanciper du mouvement et reconstruire le parti sur de nouvelles bases », précise notre source.

Une tendance que nous confirme l’observateur politique Zakaria Garti, pour qui la débâcle du PJD ne signifie pas l’affaiblissement du mouvement conservateur dans la société. Elle est au contraire porteuse de plus de risques que de bénéfices.

« Je ne me réjouis en aucun cas de la débâcle du PJD. Et ceux qui se réjouissent de cette débâcle n’ont rien compris. Si cette débâcle électorale signifiait un affaiblissement du conservatisme dans la société, je serais d’accord avec eux. Mais l’aile conservatrice de la société est toujours là, sauf que maintenant, elle est sous-représentée au parlement, ce qui est dangereux. Et celui qui en bénéficiera : ce sont les islamistes qui ne croient pas en l’action au sein des institutions, comme Al Adl Wal Ihssane, pour qui la défaite du PJD est une confirmation de leur thèse de l’impossibilité du changement par l’action politique, au sein des institutions de l’Etat. Et cela n’est pas réjouissant du tout ».

Quant à cette option de renouveau, portée par une partie de la jeunesse du PJD, Zakaria Garti se montre un peu sceptique, car selon lui, le PJD ne vaut rien sans le MUR, preuve par les résultats d’aujourd’hui. « Si ces gens veulent exister sans le MUR, sans être l’émanation d’un mouvement islamiste, ils auront du gros travail à faire. Il leur faudra carrément reconstruire un nouveau parti ».

Un travail de longue haleine qui prendra beaucoup de temps, mais la dynamique semble, en tout cas, en marche pour construire un parti dissocié de sa matrice idéologique islamiste, un parti conservateur comme on trouve un peu partout dans le monde.

Union de la gauche : un espoir vain ?

Mais l’espoir que nourrissent beaucoup de personnes est une renaissance de la gauche au cours de cette mandature pour représenter une alternative dès 2026 à la troïka au pouvoir. Et pour la première fois, depuis le gouvernement de l’alternance d’El Youssoufi, tous les ingrédients sont réunis pour réussir cette union, grâce à Aziz Akhannouch. Avec l’USFP, le PPS, la FGD et le PSU à l’opposition, une première depuis les années 1990, une union ou du moins une coordination entre les composantes de la gauche semble être le meilleur scénario pour le pays.

Arithmétiquement, leur poids est faible au sein de la première chambre, mais leur voix, si elle est unie, peut être très audible et donner du fil à retordre au gouvernement. On l’a vu avec la FGD lors de la dernière législature : avec deux députés, la fédération de gauche a pu avoir une voix crédible et audible auprès de l’opinion publique. Comme un certain Ali Yata, seul député du PPS dans les années 1980, mais qui formait à lui seul un bloc d’opposition.

Mais pour une véritable union, encore faut-il que certaines conditions soient présentes pour que ce rêve se réalise.

A l’USFP, le départ annoncé de Driss Lachgar signe certes la fin d’une ère. Mais ne garantit pas pour autant le début d’une ère rose. La grande question qui se pose étant de savoir qui va reprendre le flambeau. Et tout dépendra du profil du successeur de Driss Lachgar.

« On parle de Ahmed Reda Chami comme nouveau leader de l’USFP, l’homme qui incarnerait le changement. Il a le profil pour réanimer le parti, mais il aura un travail beaucoup plus compliqué que Nizar Baraka qui a hérité de l’Istiqlal de Chabat. Contrairement à Nizar Baraka, Chami se retrouverait avec une armée d’apparatchiks qui reste extrêmement influente et très nuisible. L’USFP d’aujourd’hui est beaucoup plus affaibli, beaucoup moins homogène que l’Istiqlal de l’après Chabat. Il hériterait certes d’un parti qui a 35 sièges au Parlement, mais avec des députés qui n’ont pas de légitimité. Ce sont tous des notables rejetés du RNI et du PAM. Il sera difficile de reconstruire l’USFP avec ces gens », soutient le président du mouvement Maan.

Seule possibilité selon lui d’une vraie reconstruction du parti, c’est le retour des élites qui ont pris leur distances avec l'USFP après l’élection de Lachgar. Mais pour cela, il faudra que le nouveau leader de l’USFP fasse « un travail de Karcher », explique Zakaria Garti.

« Le sujet n’est pas le retour des élites, mais le travail de dégagisme qui doit être fait pour que ces élites ne se retrouvent pas avec les héritiers de Lachgar qui restent très influents. Je ne sais pas si Ahmed Reda Chami aura la capacité de faire ce travail de Karcher, ou s’il en, a en tout cas, la volonté », ajoute le président de Maan, qui nourrit également cet espoir de l’émergence d’un front de gauche pour une meilleure clarification de la carte politique du pays. Un espoir, dit-il, qui reste vain, malgré le contexte favorable du moment.

« Franchement, je ne crois plus en une union de la gauche. Pour les avoir fréquentés, il y a tellement de dissensions qu’il est impossible de créer un front. Le cas de la FGD est très parlant : trois petits partis qui partagent les mêmes principes mais qui n’ont réussi à tenir une alliance sur plus de 5 ans. Sans compter les résidus du passé, comme l’USFP qui voit toujours d’une façon tellement hautaine les gens du PPS, ou le PSU et les partis de la FGD qui ne voudront jamais s’allier ni avec le PPS ni avec l’USFP, car ils ne les considèrent même pas comme des partis de gauche », s’alarme Zakaria Garti, pour qui, une alliance de gauche paraît difficile, voire impossible. A part l’option d’une coordination entre une USFP sans Driss Lachgar et le PPS qui reste, selon lui, un parti plus homogène, qui produit encore de la réflexion, que l’USFP d’aujourd’hui. Et qui sort malgré tout gagnant de ces élections, avec le plus haut score électoral de son histoire.

L'USFP et le PPS peuvent-ils constituer une alternative de gauche dans le futur ? Seul l'avenir nous le dira...

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