Réorganisation du pôle financier de l’État : le monde de la finance dans le flou total

L’opération de rapprochement des banques publiques, annoncée par l’État pour 2022, a créé une grande vague d’attentisme et d’étonnement dans le marché financier. En l'absence de visibilité, les acteurs du secteur ne comprennent pas la logique qui sous-tend cette restructuration, ni davantage ses objectifs concrets, tant économiques que financiers.

Réorganisation du pôle financier de l’État : le monde de la finance dans le flou total

Le 21 novembre 2021 à 18h37

Modifié 22 novembre 2021 à 16h51

L’opération de rapprochement des banques publiques, annoncée par l’État pour 2022, a créé une grande vague d’attentisme et d’étonnement dans le marché financier. En l'absence de visibilité, les acteurs du secteur ne comprennent pas la logique qui sous-tend cette restructuration, ni davantage ses objectifs concrets, tant économiques que financiers.

Dans le rapport sur les établissements et entreprises publiques qui accompagne le PLF, le gouvernement a listé les opérations prévues pour 2022. En tête figure la création d’un pôle financier public grâce à un rapprochement entre des établissements financiers et bancaires, et ce, en parallèle avec un recadrage de la stratégie de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), une révision de sa gouvernance et la transformation du Fonds d’équipement communal (FEC) en société anonyme (SA).

Si cette opération de réorganisation du portefeuille financier de l’État a du sens sur le plan théorique, elle paraît difficile, voire incompréhensible sur le plan pratique, selon plusieurs sources du marché.

Des participations nombreuses et non complémentaires

Les participations de l’État dans le secteur financier sont nombreuses. Le Trésor public détient directement le Crédit Agricole du Maroc, la CCG (devenue la Société nationale de garantie et du financement de l’entreprise, avec Tamwilcom comme nom commercial), le FEC et la CDG. Il détient également, de manière indirecte, le CIH, à travers la CDG et Al Barid Bank, à travers Barid Al-Maghrib (Poste Maroc).

Dans les marchés financiers, la question est sur toutes les lèvres : comment peut-on regrouper dans une seule holding, ou rapprocher des établissements financiers comme le CIH, banque universelle cotée en Bourse ; le Crédit Agricole du Maroc, banque universelle mais qui a une mission de service public ; Al Barid Bank, banque spécialisée dans le retail avec un ADN de service public ; Tamwilcom, un établissement de garantie ; et le FEC, établissement qui finance les collectivités territoriales ?

Comment aussi peut-on opérer ce rapprochement en essayant de donner du sens au tout, avec l’existence d’un mastodonte public comme la CDG, qui détient une banque commerciale cotée en Bourse (le CIH) et n’est pas censée, de par ses statuts et son essence même, être impliquée dans des considérations de budget public ?

"L’État peut intervenir à travers des textes de loi dans la redéfinition des missions de la CDG, mais n’a pas le droit de lui dicter sa politique d’investissement ou de désinvestissement. La CDG a été créée justement pour séparer les considérations budgétaires de la gestion de la grande épargne publique et des consignations ; mission qui a été confiée à la CDG avec une indépendance totale de l’exécutif. C’est d’ailleurs le même modèle que celui de la Caisse des dépôts et consignations française, créée après l’ère Napoléon, qui utilisait l’argent de l’épargne pour financer ses guerres", explique un banquier d’affaires consulté par Médias24.

Pour plusieurs acteurs du marché financier, cette méga opération de rapprochement annoncée par l’État paraît incompréhensible, floue, et ne correspond pas à une logique économique bien claire.

Et pour cause : une non-cohérence d’ensemble des banques publiques, avec une spécialisation de chacune dans un domaine particulier, avec pour la majorité d’entre elles, une mission d’intérêt public qui touche un secteur ou une niche en particulier.

Au ministère des Finances, aucune explication n’a été donnée pour l’instant sur l’objectif de cette opération. Et la seule annonce faite jusqu’à présent, c’est la récupération, par l’État, des parts de Poste Maroc dans Al Barid Bank.

Pour le reste, c’est silence radio et aucune visibilité n’est donnée au marché, contrairement à d’autres opérations de restructuration annoncées dans le portefeuille public dans les domaines de l’énergie ou du transport, où l’État dispose, là, de filiales complémentaires dont le regroupement se justifie à la fois sur le plan économique et financier.

Absence d’une logique financière

"Dans la finance, quand on veut faire une opération de réorganisation d’un portefeuille d’entreprises, ou faire des rapprochements, cela doit répondre à un objectif précis. Dans les secteurs marchands hors bancaires, la logique de rationalisation des dépenses, d’efficacité opérationnelle, de complémentarité et de renforcement de la rentabilité est évidente. Mais dans le portefeuille des banques publiques, les choses ne sont pas aussi évidentes que cela", indique le banquier d’affaires.

Pour lui, si réorganisation il y a dans le secteur bancaire public, elle doit obéir à deux objectifs principaux : la consolidation des fonds propres de ces banques, ou bien la création de plus de valeurs. Or ces deux objectifs paraissent selon lui inatteignables, du fait même de la composition et de la nature de ce portefeuille public.

Le CIH est une banque qui a de bons fondamentaux et est cotée en Bourse, avec des exigences de rentabilité qui la mettent sur la même ligne que toute autre banque commerciale privée. Elle est détenue en plus par la CDG, dont la stratégie d’investissement est indépendante du Trésor.

Le CAM est aussi une banque universelle, mais il a deux fonctions : une première fonction de banque commerciale qui collecte des dépôts et finance des entreprises et des particuliers comme toute autre banque, et une seconde - la plus prégnante -, qui est celle de banque du monde rural. Cette seconde fonction fait du CAM une banque dotée d’une mission de service public, qui fait souvent passer l’intérêt général sur des considérations de rentabilité. Sur le segment du petit fellah, le CAM a d’ailleurs une part de marché de 100% car aucune banque ne s’aventure sur ce terrain, où seul le CAM peut intervenir, justement en prenant sur lui le gros risque de défaut, en faisant de manière régulière des opérations de bonifications de taux, voire un abandon partiel d’agios au profit des petits agriculteurs.

Idem pour Al Barid Bank, créé comme outil d’inclusion financière, en capitalisant sur les fameux comptes postaux et la grande capillarité de son réseau, pour intégrer le maximum de personnes dans le secteur bancaire, en acceptant quelquefois des conditions en deçà de celles du marché.

Quant au FEC, il est impensable, selon notre source, de le rapprocher avec quiconque, car cet établissement tourne depuis toujours avec une grosse ardoise de créances en souffrance qu’il n’a jamais pu effacer. "Le FEC finance exclusivement les communes, qui sont de mauvais payeurs. Et sont insaisissables... Je ne vois pas comment cet établissement peut s’intégrer dans cet ensemble constitué de banques universelles à caractère commercial, et d’autres banques qui ciblent soit le monde rural, soit les populations non bancarisées ou aux revenus faibles", s’étonne notre source.

Pour elle, cette restructuration annoncée par le ministère des Finances prendra au mieux la forme d’une revue de l’organigramme de l’ensemble de ces participations. Car "un rapprochement entre établissements qui n’ont pas de complémentarité et ne créent pas de la valeur, n’a, à mon avis, aucun sens", affirme-t-il.

La chirurgie doit s’opérer sur chaque établissement

Même raisonnement développé par Rachid Elmaataoui, ancien dirigeant de banques d’affaires et président de FINANCITE Institute, un groupe actif dans la formation des dirigeants et le conseil financier et stratégique.

"La logique de holding qui regroupe et coiffe l’ensemble des bras économiques de l’État ne répond pas aux meilleures pratiques de l’organisation et de l’optimisation de l’action économique et financière étatique", nous dit-il.

"Il existe un océan de différences entre le recours à la holdinisation comme moyen de  restructuration d’un portefeuille de participations, et la logique d’une réorganisation qui viserait à clarifier le rôle des acteurs, à confirmer leurs vocations et surtout à assurer le ROE "Return on Expectations", car on peut réorganiser de plusieurs manières, en se retirant par exemple du capital de certains établissements, en fondant les uns dans les autres… Ceci dit, le rapprochement entre les différentes banques du portefeuille public me paraît difficile. Ces établissements n’ont pas la même vocation. Et chaque banque aurait intérêt à conserver son rôle, et même, à le renforcer. Il doit même y avoir une confirmation des missions et des vocations. S’il y a une optimisation à faire, elle sera faite au niveau de chacune des banques afin de leur permettre de rehausser leurs prestations et prestances", pense-t-il.

Cette approche, "des missions pointues au niveau de chaque établissement, qui permettent de consolider ces missions, de les faire évoluer, a un sens". Mais l’idée d’un rapprochement n’obéit pas, selon lui, à la meilleure logique économique et financière et sera lourde à mener, avec le risque que ce schéma soit aussi pénible à mener et infructueux !

Face à ce grand chantier annoncé par l’État pour 2022, c’est finalement le manque de visibilité qui l’emporte ; et ce, chez tous les acteurs et analystes du secteur. En attendant que la nouvelle ministre des Finances, Nadia Fettah, une spécialiste des "Fusac", se prononce sur le sujet…

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