Le problème des visas menace les exportations marocaines de tomates

En pleine saison d’export, les producteurs de tomates font face à des barrières indirectes à l’entrée du marché européen, en raison des restrictions des visas octroyés aux transporteurs. Une donnée qui menace la campagne d’exportation et risque de changer la donne du marché du TIR marocain.

Le problème des visas menace les exportations marocaines de tomates

Le 30 novembre 2021 à 17h01

Modifié 30 novembre 2021 à 17h56

En pleine saison d’export, les producteurs de tomates font face à des barrières indirectes à l’entrée du marché européen, en raison des restrictions des visas octroyés aux transporteurs. Une donnée qui menace la campagne d’exportation et risque de changer la donne du marché du TIR marocain.

C’est la grande crainte des producteurs de tomates. Entrés en début de saison en octobre, les exportateurs marocains craignent que la limitation des visas imposée par la France ne compromette leur chiffre d’affaires. Un problème qui se pose déjà au vu du taux considérable de refus essuyés par les camionneurs marocains qui transportent la marchandise vers l’Europe.

"D’après certaines associations, le taux de refus dépasse les 50% pour les nouvelles demandes. Ces mesures restrictives ont commencé il y a deux mois. Le problème s’aggravera lorsque les camionneurs qui ont encore des visas valides, mais qui expireront dans quelques mois, ne pourront plus renouveler leur visa. Plus on avance dans le temps, plus le problème va s’aggraver", alerte Amer Zghinou, secrétaire général de l’Association marocaine du transport routier international (AMTRI).

Selon lui, le problème ne se pose pas seulement avec la France, qui a annoncé publiquement avoir réduit de 50% le nombre de visas octroyés aux Marocains, mais également avec l’Espagne.

Une "guerre commerciale" qui ne dit pas son nom

"Les consulats de France à Rabat et à Casablanca sont restrictifs pour tout le monde. Quant à l’Espagne, ça dépend des régions. Le consulat de Tanger est très coopératif, le consul fait beaucoup d’efforts... Mais dans les autres consulats, le taux de refus est très élevé, notamment à Agadir, autre grande base des transporteurs", précise le secrétaire général de l’AMTRI.

D’origine diplomatique, comme le rappellent Amer Zghinou, mais aussi Idriss Bernoussi, président de l’AMTRI, le problème des visas s’est transformé en "une guerre commerciale".

"Le ministre français du Commerce extérieur a déclaré, lors de sa récente visite au Maroc, dans un cynisme total, qu’ils ne feraient pas marche arrière sur la politique des visas tant que le Maroc ne pliera pas sur le dossier du rapatriement des ressortissants marocains. À partir de là, les choses sont claires. Mais la grande aberration, c’est que la décision de réduire de moitié les visas s’est basée sur les chiffres de 2020, année de crise du Covid-19. En 2020, il y avait à peine 100.000 visas délivrés, contre 400.000 en 2019. Si on réduit donc de 50%, il ne nous reste que 50.000 visas. C’est tellement gros qu’on a du mal à y croire", se désole le président de l’AMTRI.

Si, d'après lui, cette décision française répond à des problèmes de politique interne, les restrictions espagnoles s’inscrivent dans un autre contexte.

"Avec l’Espagne, c’est une tout autre histoire. Je vous rappelle qu’il n’y a même pas six mois, on ne se parlait pas à cause de la crise diplomatique entre les deux pays. Mais les choses sont en train de rentrer un peu dans l’ordre, notamment à Tanger, où on a senti auprès du consul une volonté d’aller de l’avant. Cela dit, ça reste limité à Tanger", précise Idriss Bernoussi.

L’impact de ces restrictions de visas aura une grande ampleur sur le commerce extérieur marocain, nous prévient le président de l’AMTRI. "Le détroit, c’est 400.000 remorques par an : 200.000 remorques marocaines et 200.000 étrangères. Sur ces 200.000, il y en a 100.000 de flux à l’export et 100.000 à l’import. Pour les 100.000 remorques dédiées à l’export, si vous appliquez la réduction de 50% des visas, cela vous enlève la moitié de vos capacités d’exportation. Et cela ne concerne pas que les fruits et légumes, mais toute la production industrielle qui part en Europe."

La tomate : les visas enfoncent le clou d’une campagne qui démarre très mal

Les exportateurs de tomates, qui sont en pleine saison d’export vers l’Union européenne, sont les premières victimes de ces politiques restrictives. Même s’ils parviennent à gérer les contraintes jusqu’à présent.

"Le marché ne nous a pas permis d’augmenter notre tonnage jusque-là, à cause de la faible demande et de la sur-offre sur le marché européen. Mais s’il y a de la demande et qu’on veut exporter, on risque de ne pas trouver de transporteurs", nous confie Khalid Saidi, président de l’Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL).

"Le tonnage mis sur marché n’est pas énorme. Même avec la crise des camionneurs, nous avons pu exporter ce que nous avons, avec des chauffeurs qui ont des visas d’une validité d'un ou deux ans", poursuit-il.

Il faut dire que la crise des visas a été masquée par les données actuelles du marché européen.

"La situation commerciale est très critique. Nous vendons à perte pour entretenir nos clients, parce qu’il y a encore de la production européenne sur le marché ; ce qu’on appelle les fins de champs. Les prix sont catastrophiques. Il y a un problème de demande en Europe et d’offre européenne qui est encore là. Le début de notre campagne (octobre-avril) coïncide avec la fin de la campagne européenne (mars-octobre), mais certains producteurs européens tirent jusqu’à novembre, voire décembre, et nous font de la concurrence, en vendant à des prix qui sont souvent inférieurs aux coûts de revient. Nous sommes pourtant obligés de servir nos clients pour ne pas les perdre. C’est un début de campagne compliqué, qui va encore s’aggraver avec ce problème des visas des transporteurs", explique Khalid Saidi.

Pour le président de l’APEFEL, si les restrictions d’octroi de visas n’ont pas posé problème jusque-là en raison de la faiblesse du tonnage expédié en Europe, elles pourraient à l'avenir constituer un grand frein pour la production marocaine. Et menacer également plusieurs entreprises marocaines de transport.

"Le problème est sérieux. Un chauffeur sans visa, c’est toute une famille qui est mise en difficulté. Si ce chauffeur ne travaille pas, c’est une flotte qui est à l’arrêt. Pendant un certain temps, notre TIR de fruits et légumes était dominé par les étrangers. On est arrivé aujourd’hui à un équilibre 50/50. Des entreprises marocaines ont investi, acheté des camions à crédit, renouvelé leur flotte… Si ces entreprises s’arrêtent, cela va générer une grande crise. Et on va encore donner la possibilité aux sociétés étrangères de reprendre le dessus en imposant leurs conditions. Car lorsque les Marocains se sont renforcés sur le marché, les prix se sont réduits, le transport s’est démocratisé. C’est tout cet équilibre qui est menacé aujourd’hui", craint Khalid Saidi.

Pour le président et le secrétaire général de l’AMTRI, le problème dépasse cette volonté de reprendre des parts de marché aux transporteurs marocains.

"C’est une guerre économique contre le transport, certes, mais aussi contre le produit marocain. Pour les légumes par exemple, la campagne des Espagnols va démarrer dans peu de temps. Et dès que leur campagne commence, 20% à 30% de leurs camions ne rentrent plus au Maroc, car ils sont occupés. C’est donc la tomate marocaine qui est menacée si les camionneurs marocains ne parviennent plus à faire le job. À partir de décembre, il n'y aura peut-être plus de tomates du Maroc en Europe", appréhendent nos deux transporteurs.

L’Angleterre, la face cachée de la guerre commerciale

D’autant plus, nous révèlent nos sources, que les Espagnols ont une dent contre le Maroc qui a commencé à commercer directement avec l’Angleterre, les concurrençant sur l’un de leurs plus gros marchés.

"L’Angleterre fait partie intégrante de la guerre que se livrent le Maroc et l’Espagne. La tomate que l’on exporte aujourd’hui directement en Angleterre s'écoule au détriment de la tomate espagnole. Cette année, il y a plus de 30% de volume, tous produits confondus. Cela s’est fait grâce au Brexit. Et cela entre dans l’équation des Européens, surtout que le marché anglais est très important pour les Espagnols. Avant, la tomate marocaine partait en Espagne, changeait d’emballage et partait en Angleterre. Les choses ont changé aujourd’hui, et les Espagnols sont furieux contre cela", expliquent nos sources.

La guerre européenne contre la tomate marocaine ne s’arrête pas là. En plus des freins à l’export, les Européens sont en train d’investir massivement dans la production de primeurs, sur des périodes qui coïncident avec la saison marocaine, comme nous le confie le président de l’APEFEL.

"Les Européens sont en train d’investir dans des serres très sophistiquées qui peuvent travailler lors de la période des primeurs. Cela va nous faire de la concurrence directe et un peu déséquilibrée, car ces producteurs bénéficient de plusieurs avantages : ils ont des crédits à des taux très bas, des différés, des durées de crédit très longues… C’est le cas aux Pays-Bas, au Benelux, en Belgique et en France. Et la superficie ne fait qu’augmenter d’année en année", signale Khalid Saidi.

Face à l’ensemble de ces menaces, producteurs et transporteurs en appellent désormais à l'intervention de la diplomatie, des pouvoirs publics et des ministères de tutelle notamment.

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