Afghanistan: à Bamiyan, la grande peur des Hazaras

(AFP)

Le 7 octobre 2021

Malgré les paroles apaisantes, le message est clair: à Bamiyan, capitale de la province du même nom dans le centre de l'Afghanistan, l'étendard blanc des talibans flotte sur les décombres de la statue d'un chef vénéré de la communauté hazara, détruite à l'explosif.

Et si les nouveaux maîtres du pays, radicaux sunnites, multiplient les assurances envers cette minorité chiite persécutée depuis des siècles, cela n'empêche pas une chape de peur de paralyser la ville.

"Tout le monde est terrifié", assure Najwa, 26 ans, une journaliste locale qui ne peut plus travailler. "Impossible de les croire. Pour les Hazaras, et surtout pour nous, les femmes, il n'y a plus d'espoir".

"Quand nous avons appris qu'ils arrivaient, tout le monde a fui dans les montagnes. Nous y avons passé une semaine, mais c'est impossible de vivre là-haut. Nous sommes redescendus".

Membre de la Bamiyan Film Academy, elle aurait pu être évacuée vers la France comme nombre de ses amies mais, cachée en pleine nature, elle n'a pas pu recevoir le coup de téléphone salvateur. "Et maintenant, c'est trop tard".

"Les talibans ont décrété une soi-disant amnistie générale, mais nous savons qu'il y a des enlèvements, des meurtres", ajoute-t-elle.

Les Hazaras, qui constituent de 10 à 20% des quelque 40 millions d'Afghans, sont depuis longtemps marginalisés. Selon certaines estimations, la moitié de la communauté a été exterminée à la fin du XIXe siècle, quand leurs territoires traditionnels ont été conquis par les Pachtounes sunnites.

- 'Vous protéger' -

Dans une région où l'histoire se vit au quotidien, les massacres de Mazar-e Sharif (1998) ou Yakaolang (2001), avec leurs victimes civiles, sont dans toutes les mémoires.

Mardi, Amnesty international a condamné le meurtre de 13 Hazaras par des talibans dans la province voisine de Daykundi (centre) fin août.

Dans le bureau du gouverneur de la province dont il assure l'intérim, Musa Nasrat, récemment nommé chef de la police, reçoit cordialement les journalistes étrangers.

"Il est vrai qu'au début les gens avaient peur", dit-il à l'AFP. "Mais aujourd'hui il n'y a plus personne dans les montagnes. Nous leur avons dit: +Reprenez votre vie normale. Nous sommes là pour vous protéger+. Nous ne sommes pas les ennemis des chiites. Nous étions les ennemis du gouvernement corrompu (du président Ashraf Ghani). Nous avons gagné. La paix va régner".

Pour tenter de rassurer les Hazaras, le nouveau pouvoir a nommé l'un des rares chiites à avoir rejoint ses rangs, Mahdi Mujahid, chef des renseignements de la province de Bamiyan. Ses premiers mots: "Ma communauté n'a rien à craindre".

Il faudra plus que des paroles pour apaiser les craintes d'Abdul Danesh Yar. A 33 ans, ce directeur d'une école privée est le représentant local de l'Assemblée des sociétés civiles du centre de l'Afghanistan.

"Nous ne pouvons leur faire confiance", confie-t-il à l'AFP. "L'histoire de notre pays est pleine de massacres et de déportations d'Hazaras".

"La communauté internationale, les États-Unis, nous ont trahis" ajoute-t-il. "Nous avons cru en leurs valeurs, et ils nous ont abandonnés. Si je pouvais partir, pour le futur de mes enfants, je le ferais".

Les talibans "ne changeront jamais. Ils sont issus de leurs madrassas (écoles coraniques) extrémistes. Leur idéologie est immuable", dit-il.

- 'Pas le choix' -

La peur est d'autant plus présente que Bamiyan est l'une des villes qui ont, au cours des 20 dernières années, le plus profité de la présence internationale, de ses initiatives et de ses subventions.

Les femmes y faisaient du sport, notamment du cyclisme et du volley, il y avait plus d'étudiantes que d'étudiants à l'université, des concerts de rock y étaient organisés. La province a été gouvernée, pour la première fois dans le pays, par une femme, Habiba Sarabi, de 2005 à 2013. Elle est aujourd'hui en exil en Turquie.

Abdulhaq Shafad, 41 ans, est un poète et écrivain local, membre de la "commission populaire" de 22 membres constituée au lendemain de l'arrivée des talibans pour "résoudre les problèmes".

"Pour l'instant, ils n'ont pas commis d'actes négatifs", dit-il. "Mais le futur est imprévisible. Si jamais la communauté internationale reconnaît leur régime, s'il n'y a plus de pression de l'étranger, les choses pourraient empirer".

A la sortie de la ville, le champ de pommes de terres de Rajabali Sahebzadah, 25 ans, est à une portée de fusil des décombres de la statue d'Abdul Ali Mazari, dirigeant hazara élevé au rang de martyr après sa mort en 1995, alors qu'il était prisonnier des talibans.

Trois jours après la victoire des anciens insurgés, la statue a été détruite à l'explosif. Ses décombres de pierres blanches gisent au centre d'un rond-point.

"Bien sûr, nous avons peur. Mais nous n'avons pas le choix. Il faut bien manger" dit le jeune paysan. "Ils ont nié avoir détruit la statue. Personne ne les croit".

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Le 7 octobre 2021

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