Ethiopie: un “manteau de tristesse” recouvre Mekele, la capitale du Tigré

(AFP)

Le 26 février 2021

Juché sur une colline, surplombant la capitale régionale Mekele, le monument aux martyrs du Tigré a longtemps incarné la puissance militaire du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), l'hégémonique parti local.

Le musée attenant exposait son arsenal, ses premiers plans de bataille et les portraits sépia des hommes et femmes qui ont perdu la vie durant l'ascension de ce mouvement de guérilla jusqu'au sommet du pouvoir fédéral.

Entre 1991 et 2018, le TPLF a dominé le gouvernement à Addis Abeba, avant d'en être écarté après l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed. Il s'est ensuite retranché dans son fief tigréen, jusqu'à en être chassé en novembre par une offensive de l'armée éthiopienne.

Aujourd'hui, loin de faire rayonner la puissance du TPLF, le monument aux martyrs symbolise son déclin.

Pour garder le site, les soldats fédéraux armés de kalachnikov ont remplacé les combattants pro-TPLF, patrouillant dans des camions militaires que les habitants regardent avec dégoût.

"C'est notre fierté, notre histoire", lance le chauffeur de tuktuk Daniel Girmay, en sirotant un thé de l'autre côté de la rue: "Je déteste tellement ces soldats que je ne veux pas voir leur visage."

Depuis le début du conflit, qui sévit encore dans la région, Mekele toute entière est méconnaissable.

De nombreuses écoles sont devenues des camps de déplacés. Les services pédiatriques débordent d'enfants blessés par des balles ou des éclats d'obus, certains avec des membres arrachés. Dans les rues, on croise régulièrement des femmes en deuil, vêtues de noir.

"C'était une ville florissante, une ville très animée. Elle vivait 24 heures sur 24", se souvient Kibrom Gebreselassie, directeur de clinique à l'hôpital Ayder Referral: "Maintenant, elle est recouverte de tristesse."

- Bilan "dissimulé" -

Trois semaines après le lancement de l'opération militaire par Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, les forces fédérales étaient aux portes de Mekele.

Le gouvernement a affirmé qu'aucun civil n'a été tué lors de la prise de la ville mais la pluie d'obus qui s'y est abattue a tué 26 civils, selon les données de l'hôpital Ayder Referral.

Ce n'était que le début des malheurs de Mekele.

Depuis, un flot constant de blessés arrive des zones les plus durement touchées par les combats, et restées longtemps inaccessibles. Parmi eux, des enfants orphelins qui n'auront nulle part où aller, une fois soignés.

"Le gouvernement ne fait rien alors que les gens sont frappés par la guerre", sanglote Halefom Gebremariam, pendant que les médecins soignent Nahom, son fils de 13 ans qui a perdu son pied droit et la vue d'un oeil après avoir été touché par des éclats d'obus en novembre. "Au lieu de ça, ils essaient de dissimuler les chiffres."

Parmi les patients de l'hôpital, quelque 120 victimes de violences sexuelles livrent quant à elles d'effroyables récits de viols collectifs par des soldats éthiopiens ou venus de l'Érythrée voisine.

- Nouveaux dirigeants -

De l'autre côté de la ville, au siège du gouvernement régional, l'administration de transition nommée par Abiy Ahmed s'efforce de convaincre une population méfiante.

Le responsable par intérim, Mulu Nega, concède que les habitants ont des "sentiments mitigés" quant à sa présence dans un bureau autrefois occupé par le TPLF.

"Ils veulent qu'un gouvernement prenne en charge les activités de la région", affirme de sa voix douce cet ancien cadre de l'enseignement supérieur. "D'un autre côté, comme nous ne sommes pas élus, ils ont aussi des doutes. C'est naturel."

Parmi ses priorités figurent le rétablissement de la sécurité, la réparation des infrastructures endommagées et la préparation d'élections pas encore programmées.

S'il souligne les progrès accomplis notamment dans la nomination de fonctionnaires, ses détracteurs estiment qu'il sera pratiquement impossible à son administration d'obtenir une légitimité populaire.

Pour Tzegazeab Kamsu, du parti d'opposition local Baytona, les Tigréens associent M. Mulu à une guerre menée contre des civils sous couvert d'une campagne anti-TPLF. "Qui meurt ? Pas le TPLF. Qui se fait violer ? Pas le TPLF. Qui est puni de famine ? Pas le TPLF", lance-t-il.

- "Furieux" et apeurés -

Le plus grand défi de M. Mulu sera certainement de reprendre le contrôle de toute la région.

De vastes étendues de plaines à l'ouest et au sud sont contrôlées par des forces spéciales de la région voisine d'Amhara.

Les soldats érythréens sont, eux, actifs dans une grande partie du nord montagneux. Leur présence, démentie par Addis Abeba et Asmara, est rapportée par des travailleurs humanitaires et certains responsables locaux.

Ces troupes sont accusées de massacres, notamment de la mort de centaines de personnes dans la ville d'Aksoum.

Les Érythréens doivent-ils partir ? "Bien sûr, c'est très clair", répond M. Mulu à l'AFP.

Un point de vue largement partagé dans une école située près du monument des martyrs, où des familles de déplacés venues de l'ouest de la région dorment sur des matelas avec le peu -vêtements, ustensiles de cuisine- qu'ils ont pu emporter.

Mizan Kassa, un ingénieur de la ville d'Humera, est "furieux" de voir des forces non-tigréennes dans la région.

De nombreux déplacés évoquent leur peur de ces soldats.

Pour cette raison, la plupart entendent rester, du moins pour le moment, à Mekele. Pour Tirhas Yibrah, également arrivée d'Humera avec son mari et ses trois enfants, "au moins, ici nous sommes parmi notre peuple qui nous soutient".

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Le 26 février 2021

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