La Tunisie plonge vers l'inconnu, gel des travaux du parlement, Kais Saied prend tous les pouvoirs

(AFP)

Le 26 juillet 2021

Dans une initiative qui se donne une forme constitutionnelle, le président Kais Saied a pris la tête du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. lLes travaux du parlement sont gelés et l'immunité des parlementaires levées. Le chef du gouvernement est démis de ses fonctions.

Le président tunisien Kais Saied a décidé dimanche soir de geler les travaux du Parlement pour 30 jours et de s'octroyer le pouvoir exécutif, à l'issue d'une journée de manifestations visant notamment le principal parti au pouvoir, Ennahdha, lequel dénonce un "coup d’État".

Ce coup de théâtre ébranle la jeune démocratie tunisienne, qui fonctionne depuis l'adoption en 2014 d'une Constitution de compromis selon un système parlementaire mixte, dans lequel le président n'a comme prérogatives que la diplomatie et la sécurité.

Des Tunisiens, exaspérés par les luttes de pouvoir et la gestion contestée de la crise sociale et sanitaire par le gouvernement, sont sortis dans la rue en dépit du couvre-feu, tirant des feux d'artifice et klaxonnant avec enthousiasme à Tunis et dans plusieurs autres villes.

Les décisions

"Selon la Constitution, j'ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l'Etat et le peuple tunisien", a déclaré M. Saied à l'issue d'une réunion d'urgence au Palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité militaires et civiles.

"Nous traversons les moments les plus délicats de l'histoire de la Tunisie", a ajouté le chef de l'Etat, engagé depuis des mois dans un bras de fer avec le principal parti parlementaire, Ennahdha.

"Ce n'est ni une suspension de la Constitution ni une sortie de la légitimité constitutionnelle, nous travaillons dans le cadre de la loi", a-t-il assuré, précisant que ces décisions seraient publiées sous forme de décret.

Dans un communiqué publié sur Facebook, la présidence a ensuite précisé que le gel du Parlement était en vigueur pour 30 jours.

Les mêmes sources ont précisé que le président avait pris tous les pouvoirs et qu'il allait nommer un nouveau chef de gouvernement.

L'habillage juridique de la Constitution

Kais Saied a invoqué l'article 80 de la Constitution qui autorise le Chef de l’État à prendre des mesures en cas de "péril imminent". Selon Monia Kraiem, constitutionnaliste qui s'exprimait sur une chaîne de radio ce lundi matin, le président a dépassé ses prérogatives, l'article 80 ne lui donnant pas par exemple la possibilité de geler le parlement. Mais la question n'est pa stechnique juridique aujourd'hui, selon elle, elle est politique.

Les réactions

De son côté, Ennahdha a fustigé "un coup d’État contre la révolution et contre la Constitution", dans un communiqué publié sur sa page Facebook. La formation islamiste a souligné que ses "partisans (...) ainsi que le peuple tunisien défendront la révolution". Lundi matin, le président du parlement Rached Ghannouchi, ainsi que plusieurs députés, ont été empêchés par des militaires d'accéder à l'enceinte de l'Assemblée.

L'ancien président Moncef Marzouki a diffusé une vidéo appelant le peuple tunisien à ne pas suivre aveuglément la voie tracée par Saied, car "tout ce qui brille n'est pas or".

Les forces en présence

Une partie de l'assemblée s'est déjà prononcée contre ce "coup d’État constitutionnel", notamment les partis Ennahdha et Kalb Tounes (de Nabil Karoui).

L'UGTT, centrale syndicale réputée et très puissante, ne s'est pas prononcée à ce stade.

Une mécanique inévitable, un échec du projet démocratique

Si l'on considère que la démocratie est un système qui permet de résoudre les différends d'une manière pacifique et selon des mécanismes prévus à l'avance et opposables à tous; dans ce cas, le système instauré en Tunisie a échoué;

Comme dans tous les situations et comme dans tous les pays qui ont vécu un "printemps arabe", les forces les plus puissantes se sont affrontées inéluctablement. En Tunisie, il s'est agi des islamistes d'Ennahdha d'un côté; l'UGTT laïque de l'autre alliée à la société civile.

Le système politique hybride instauré en Tunisie a été en quelque sorte aggravé par le code électoral. Le code électoral ne génère d'une manière mécanique, que des majorités éclatées. Lorsque la majorité législative est éclatée, il faut un leadership exécutif fort. Mais le président est doté de peu de pouvoirs. Le plus gros des pouvoirs est concentré entre les mains des députés et du chef de gouvernement.
Ce système a engendré une dilution constante des responsabilités et un affrontement programmé entre les différentes forces. La Tunisie s'est retrouvée avec des acteurs faibles ou affaiblis dans tous les domaines: assemblée, gouvernement, présidence. D'où la faiblesse de la conduite du pays, notamment face aux crises économique, sociale et sanitaire. Cet affaiblissement des différents acteurs politiques a été entre autres propice à la corruption.

L'un des constats, déjà connus, est qu'il est impossible d'avoir un paysage politique éclaté et un Chef d'Etat doté de pouvoirs très limités.

Un scénario qui en rappelle d'autres

Si le passage en force de Said réussit, la Tunisie aura été le dernier pays des "révolutions arabes" à évincer les islamistes. Ceci rappelle le scénario égyptien.

Après les révolutions arabes, les enjeux externes ont parfois pris le pas sur les enjeux internes. Dans les différents pays du "printemps arabe", il y a eu une lutte d'influence entre d'un côté l'alliance Qatar-Turquie et de l'autre, les Emirats (par la suite alliés à l'Egypte). Nous assistons actuellement à une tentative d'éviction des islamistes d'Ennahdha ou leur affaiblissement. Ceci, en sachant qu'hormis un noyau dur très fidèle et engagé, Ennahdha est rejetée par le reste de la population; rejetée d'une manière active et déterminée. Son échec dans la conduite des affaires de la Tunisie pendant dix ans, son incapacité à gérer, le bilan désastreux aux plans économique et social; les différentes régressions, tout cela a provoqué un rejet massif dans le pays.

Ce que demandent les Tunisiens, c'est d'abord des gouvernants intègres.

Et demain?

Le projet que l'on prête à Saied est celui d'une troisième république. C'est-à-dire un changement profond du système politique tunisiens qui redonnerait une grande partie des pouvoirs au Chef de l'Etat élu au suffrage universel. Sur la partie législative, les députés seraient élus selon un modèle qui rappelle la Jamahirya libyenne, avec des comités populaires qui éliraient des représentants et qui auraient le pouvoir de les démettre à tout moment.

Un passage en force constitutionnel déjà fuité

Le journal Middle East Eye, proche du Qatar, a publié fin mai, un document "fuité" indiquant que les conseillers de Kais Saied lui recommandant une "dictature constitutionnelle". L’authenticité du document fuité avait été démentie catégoriquement par la présidence tunisienne. Aujourd'hui, on constate que les événements ressemblent étrangement au contenu de ce document.

Iyadh Ben Achour: "c'est un coup d'Etat, point à la ligne"

Voici la réaction de Iyadh Ben Achour, le plus célèbre constitutionnaliste tunisien, personnalité réputée et reconnue en Tunisie et dans le monde arabe:

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Le 26 juillet 2021

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