Bâtir la vocation scientifique de l’Afrique

Le 11 décembre 2018 à 15h15

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

TORONTO – Voici dix ans, un physicien sud-africain, Neil Turok, lançait une audacieuse prédiction : le prochain Einstein viendrait d’Afrique. Il n’est pas inutile de voir aujourd’hui si le continent s’est effectivement rapproché de la découverte du futur génie global.  

Statistiquement, la probabilité de réalisation de la prédiction est évidemment forte. En 2050, 40% de la jeunesse mondiale sera africaine. La démographie à elle seule justifie les espoirs de voir l’Afrique engendrer des prodiges de la science et de la technologie.

Les Africains ont déjà joué un rôle pionnier dans la science mondiale. A la vérité, quelques-unes des plus grandes innovations de l’humanité – du vaccin à la chirurgie cérébrale – furent d’abord expérimentées par des Africains. L’un des plus anciens instruments de mesure connus, l’os de Lebombo a été réalisé par des gens qui vivaient, pense-t-on, voici plus de 35.000 ans dans l’eSwatini – le Swaziland – actuel et y ont taillé les encoches encore visibles aujourd’hui. En d’autres termes, les mathématiques elles-mêmes sont une invention africaine.

Pendant des décennies, des sommités scientifiques et politiques, comme Calestous Jumaambassadeur mondial d’un développement durable fondé sur la science, ou Wangari Maathaimilitante écologiste et prix Nobel de la paix, se sont battues pour le développement des programmes scientifiques en Afrique. Après la mort de ces visionnaires, l’Afrique a besoin d’une nouvelle réflexion pour encourager les futures générations de chercheurs dans une voie éthique et dans le dévouement au bien public.

Refonte complète du système éducatif africain

Mais comment nous assurer que l’Afrique découvre, soutienne, stimule ses scientifiques innovants et capables de changer la donne? Il manque encore un système éducatif qui puisse encourager l’innovation dans la recherche et fournir au prochain scientifique africain qui révolutionnera son champ de connaissance la formation et l’aide dont il ou elle aura besoin – en Afrique même.

Sur tout le continent, l’idée que l’éducation et la recherche en science, en technologie, en ingénierie et en mathématiques (STEM) sont essentielles à la croissance économique et au développement est de plus en plus partagée au sein des pouvoirs publics. Pourtant trop de jeunes chercheurs n’ont aujourd’hui d’autre solution que d’aller étudier et travailler à l’étranger.

Cela peut changer, mais il faut investir, concrètement, dans les talents locaux et envisager une refonte complète du système éducatif africain. Trois priorités se dégagent.

Tout d’abord, les pays africains doivent réparer les tuyaux par lesquels circule le savoir, c’est-à-dire investir dans la formation des enseignants, améliorer les résultats scolaires, retenir les filles dans les cursus STEM, soutenir la recherche plus en amont à l’université, aider les jeunes chercheurs en recourant au système de promotion coopérative des doctorants dit des "bourses sandwich", installer sur les campus des laboratoires cofinancés par les universités et le secteur privé, et relever bien d’autres défis encore. 

Deuxièmement, l’Afrique a besoin d’une création de savoir indigène. Cela nécessite que la recherche, tant fondamentale qu’appliquée, y soit facilitée et que l’infrastructure nécessaire à la diffusion de ses résultats soit créée. On peut y parvenir en mettant plus de fonds à la disposition des chercheurs et des institutions de recherche, mais aussi en encourageant la publicité des codes sources afin de partager le savoir.

Une infrastructure adaptée

La troisième priorité est de mettre les connaissances en pratique. L’accès public – donc des porteurs d’innovations – à l’information scientifique et le soutien aux partenariats public-privé pour piloter, présenter et appliquer les résultats de la recherche pourraient y contribuer et créer ainsi les emplois susceptibles de résoudre les problèmes des populations.

Zipline, qui applique la technologie des drones pour livrer les poches de sang nécessaires aux transfusions dans des zones isolées du Rwanda, fournit un bon exemple de tout cela.

Les recherches sont américaines, mais le projet est piloté localement. Zipline a notamment signé des accords avec les autorités du trafic aérien et le ministère de la Santé; un partenariat public-privé a été mis en place pour financer le programme. Après son succès au Rwanda, l’initiative est actuellement lancée au Ghana. Zipline a sauvé des centaines de vies et démontré le potentiel d’un transfert de technologies ayant un impact à grande échelle.

Le Next Einstein Forum (forum du prochain Einstein), organisé par l’African Institute of Mathematical Sciences (AIMS) et héritier spirituel de Turok, soutenu par la fondation Mastercard, démontre que l’Afrique produit de grands talents scientifiques.

Le NEF s’est fixé pour objectif de rassembler les innovateurs africains afin de mettre en lumière les découvertes les plus importantes et de servir de catalyseur à la collaboration scientifique au service du développement. Depuis son premier groupe de lauréats, en 2015, le programme a fait connaître les contributions de jeunes chercheurs africains qui travaillent à relever certains des défis scientifiques et technologiques les plus épineux de notre temps.

Les défis financiers

Parmi les boursiers actuels du NEF, on trouve des talents comme le Somalien Abdigani Diriye, qui a créé une plateforme de prêt fonctionnant grâce à la technologie des chaînes de blocs, récemment retenu sur la liste des 30 premiers innovateurs africains, le Nigérian Peter Ngene, dont les travaux sur les nanotechnologies sont utilisés pour améliorer le rendement des énergies renouvelables et qui a créé un capteur oculaire à l’hydrogène capable de détecter les intolérance au lactose, ainsi que la Sud-Africaine Vinet Coetzee, dont les recherches sur les examens sanitaires non-invasifs ont débouché sur un brevet d’application pour un instrument capable de détecter le paludisme.

Les questions complexes qui se disputent aujourd’hui notre attention sont si nombreuses que l’Afrique aura besoin de modèles novateurs d’éducation et de recherche. Mais tant que le NEF et des initiatives similaires continueront de veiller à l’épanouissement des jeunes scientifiques les plus brillants et de relever les défis systémiques du financement, de la mobilité et des infrastructures de recherche, il y a de bonnes chances que celles et ceux qui qui sont lancés dans la quête de solutions fournissent les rangs mêmes des génies prédits par Turok.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2018

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