Bernard Haykel

Professeur au département d’études sur le Proche-Orient de l’Université de Princeton

Biden procède au recalibrage des relations Amérique-Arabie saoudite

Le 22 mars 2021 à 15h27

Modifié 11 avril 2021 à 14h29

PRINCETON – Le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a bien résumé la position de l’administration, en expliquant que l’Amérique entendait "recalibrer" ses liens avec l’Arabie saoudite, et que cette relation bilatérale "l’emport[ait] sur n’importe qui". La déclaration de Blinken, qui peut s’appliquer aussi bien au journaliste assassiné qu’à MBS, souligne un aspect important. A l’instar de tous les présidents américains depuis Dwight Eisenhower dans les années 1950, Biden a conscience que l’Arabie saoudite est essentielle à la préservation des intérêts stratégiques américains au Moyen-Orient comme dans le reste du monde, et il fait le choix de ne pas risquer de rompre cette relation en braquant le prochain monarque du Royaume.

De nombreux démocrates sont troublés par l’écart entre d’un côté le discours de Biden sur l’Arabie saoudite pendant la campagne électorale, durant laquelle il avait déclaré vouloir "faire d’eux les parias qu’ils sont", et de l’autre la réalité d’un compromis aux fins de la gestion des intérêts de politique étrangère de l’Amérique. Les détracteurs de Biden souhaitent voir MBS sanctionné, voire éloigné de la succession royale saoudienne, et considèrent l’absence de punition à l’encontre du prince héritier comme une trahison de cette politique étrangère fondées sur des valeurs que le président avait promis de mettre en œuvre.

La politique de "recalibrage" par Biden

La position de Biden s’explique pourtant aisément, et pas uniquement par les potentielles ventes d’armes américaines au Royaume, raisonnement qui motivait la politique américaine sous l’ancien président Donald Trump, connu pour ses points de vue purement transactionnels. Non, la relation entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite repose sur de nombreux intérêts stratégiques mutuels, qui ne dépendent pas de la présence de tel ou tel dirigeant à Riyad ou à Washington.

Les deux pays partagent par exemple un intérêt dans la stabilité du système énergétique mondial et des marchés financiers, ainsi que dans la suprématie du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale. Le commerce du pétrole saoudien s’effectue entièrement en dollars, un système qu’aucun des deux camps n’a intérêt à voir changer.

Pour toutes ces raisons, la relation bilatérale doit rester solide, et le Royaume demeurer stable. Prendre pour cible MBS au moyen de sanctions constituerait une ingérence américaine sans précédent dans la dynastie des Al-Saoud, et risquerait de bouleverser le pays.

Des comportements risqués des deux parts

Trump traitait avec les Saoudiens de manière très personnelle, principalement via son gendre Jared Kushner, qui entretenait un lien direct et étroit avec MBS. Cette approche a encouragé les comportements risqués de la part des deux camps, tels que la décision de MBS ayant consisté à boycotter le Qatar en 2017, ou celle d’un Trump qui laissera l’Iran bombarder les expéditions et installations pétrolières saoudiennes en toute impunité pendant l’été et l’automne 2019.

Plus problématique encore, les décisions de Trump ont mis à mal un certain nombre de liens institutionnels cruciaux et de longue date dans la relation Amérique-Arabie saoudite, notamment entre les ministères des affaires étrangères, les services de renseignement, les armées, les ministères des finances et de l’énergie, ainsi que les banques centrales des deux pays. Le "recalibrage" entrepris par Biden consiste probablement à rétablir ces connexions institutionnelles, tout en réduisant le degré d’échanges personnels au plus haut niveau.

La présence de Biden entraîne d’ores et déjà un effet de modération sur le pouvoir saoudien, qui opère un changement dans ses politiques sur plusieurs fronts. Ce faisant, Riyad admet implicitement l’échec de sa stratégie vis-à-vis du Yémen et du Qatar, ainsi qu’un certain excès de répression des dissidences sur le plan intérieur.

Les Saoudiens tentent par exemple, à ce jour sans succès, de résoudre le conflit avec les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen, et ont mis fin au boycott du Qatar. Sur le plan national, les autorités saoudiennes ont libéré quelques dissidents politiques et réformistes, notamment l’audacieuse militante Loujain al-Hathloul.

Les Etats-Unis peuvent construire sur la base de ces évolutions positives, en encourageant discrètement davantage de changement, notamment la fin de la guerre au Yémen, compte tenu de l’influence du Royaume sur les différents protagonistes du conflit. Les Saoudiens pourraient également discuter directement avec l’Iran, et libérer davantage de prisonniers politiques.

Par sa démarche bruyante et grandiloquente, Trump a souvent humilié publiquement le pouvoir saoudien, ce qui n’a servi ni l’Amérique, ni le Royaume. L’approche plus souple de Biden, fondée sur des intérêts mutuels, se révélera plus salutaire, plus durable, et pourrait bien aider un jeune futur monarque à trouver son équilibre.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

L’Amérique et l’Arabie saoudite sont également d’accord sur la nécessité de stabiliser le Moyen-Orient, de lutter contre les groupes jihadistes mondiaux, d’endiguer l’Iran, et de mettre un terme à la guerre au Yémen puis reconstruire le pays, comme sur la nécessité pour les pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël. Le contrôle même de la pandémie de Covid-19 exige l’aide de l’Arabie saoudite, dans la mesure où le pèlerinage annuel vers La Mecque (le hajj), qui reprendra probablement cette année, est historiquement un gigantesque cluster mondial.

© Project Syndicate 1995–2021
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