Comment la corruption fait obstacle à la couverture sanitaire universelle

Le 10 avril 2018 à 16h14

Modifié 11 avril 2021 à 2h45

ISLAMABAD– La moitié de la planète est privée d’accès aux services de santé essentiels. Pour beaucoup de gens, payer une consultation, obtenir des médicaments ou un conseil du planning familial, ou même se faire vacciner contre des maladies communes signifie faire un choix entre rester en bonne santé et tomber dans la pauvreté. Et plus que jamais, les dilemmes auxquels sont confrontées les populations pauvres concernant leurs soins de santé voient leur violence accrue par un ennemi bien connu.

Dans beaucoup de pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, des dépenses inadaptées et le gaspillage des ressources handicapent durablement les systèmes de santé. Ayant grandi au Pakistan, j’ai vu des gens contraints, pour se faire soigner, de prendre des décisions extrêmes. Ainsi des familles ont-elles été forcées de vendre une partie de leur bétail ou des biens de valeur pour payer d’exorbitantes factures médicales.

Ce qui est choquant, c’est que le fléau d’une pauvreté due à des problèmes de santé continue aujourd’hui de faire des victimes. Dans certains pays, on voit tous les jours des gens tomber dans la pauvreté en raison du coût des soins de santé. 

Lors d’un récent voyage en Afrique, j’ai entendu l’histoire atroce d’un hôpital où les femmes et leurs nouveau-nés étaient régulièrement retenus en otage, souvent pendant des mois, jusqu’à ce que les familles parviennent à trouver l’argent pour acquitter leur facture. Selon des chercheurs de l’université de Californie à San Diego, la corruption, le gaspillage et la surfacturation coûtent chaque année aux patients et aux systèmes de santé des milliards de dollars. Aux Etats-Unis, pas moins de 10% des dépenses publiques consacrées à la santé le sont en pure perte puisqu’elles financent des surfacturations, et des dizaines de millions de gens sont confrontés à de sérieuses difficultés économiques pour assurer leurs soins de santé.

Pour améliorer les résultats dans le secteur de la santé, il faut tout autant accroître les dépenses publiques qu’en finir avec les pratiques frauduleuses qui siphonnent des ressources indispensables aux systèmes de santé. Mais comment?

Corruption et collusions sont institutionnalisées dans de nombreux systèmes de santé de par le monde. Sur les 6.500 milliards de dollars dépensés chaque année pour la santé, on estime que 455 millions sont perdus, détournés ou volés. Pour le dire crûment, le coût des soins ruine certaines des populations les plus pauvres du monde, parce que beaucoup des plus riches se remplissent les poches.

On s’accorde de plus en plus sur le fait que des soins de qualité et abordables sont un droit humain fondamental. Les Objectifs de développement durable des Nations unies comptent parmi leurs cibles la couverture sanitaire universelle. Et ce but n’est pas poursuivi par les seuls pays riches: de la Thaïlande au Costa-Rica et au Rwanda, des pays aux systèmes de santé mixtes et aux ressources limitées ont consacré des fonds et du capital politique pour faire de la santé universelle une réalité.

Des initiatives sont prises pour aider ces pays à réussir. L’année dernière, le Japon a promis 2,9 milliards de dollars pour aider les pays en développement à mettre en place une couverture sanitaire universelle. Et la Banque mondiale a laissé entendre que la capacité d’un pays à emprunter auprès d’elle pouvait être finalement liée à ses investissements en capital humain, et notamment à ses dépenses de santé.

Ces gestes louables– quoique tardifs –ne seront pas suffisants pour lever les obstacles qui s’opposent à la qualité des services de santé. Si la corruption, le vol, le gaspillage et les dépenses inutiles ne sont pas combattues plus vigoureusement, la couverture sanitaire universelle restera un vœu pieux.

Fort heureusement, les gouvernements sont de plus en plus disposés à résoudre la crise de corruption. L’évasion et la fraude fiscales– délits répandus –attirent de plus en plus l’attention des services chargés de l’application de la loi. L’évasion fiscale ne permet pas seulement de laver l’argent sale ; elle dérobe aussi au secteur public d’importantes ressources. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Nation unies ont fait de la réduction des flux financiers illicites l’un des éléments clés de la réussite des Objectifs de développement durable.

Si tout le monde ou presque est d’accord pour combattre la corruption dans le secteur de la santé, le plus difficile est de mettre en place des remèdes efficaces. Les administrations du Trésor, les ministères des Finances, et les agences anti-corruption doivent renforcer leurs efforts de coopération dans les domaines de la prévention, de la détection et de la répression. L’amélioration de la transparence des systèmes financiers pourrait aussi contribuer à résorber la corruption, tandis que des groupes de la société civile, des journalistes et des patients devraient peser pour que les gouvernements et les praticiens rendent mieux compte de leur action.

À l’avenir, la prospection de données, l’intelligence artificielle et les chaînes de blocs pourraient offrir de nouveaux moyens de détecter les fraudes dans le secteur de la santé ; ces outils, et d’autres, doivent être sérieusement considérés.

Etendre l’accès aux soins et protéger les finances du secteur de la santé: le défi est double et la communauté internationale doit le relever sous ses deux aspects. Il est urgent d’agir. Les taux de maladies non transmissibles comme le cancer, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires augmentent de façon presque exponentielle, et l’absence d’accès à des soins de qualité est une difficulté de gouvernance supplémentaire dans de nombreux pays.

Les stratèges du développement ont compris que la mauvaise santé d’une population était un signe avant-coureur de sa pauvreté et un obstacle à l’élimination de celle-ci. Aujourd’hui, 800 millions d’êtres humains dépensent au moins 10% du budget de leur ménage dans leur santé, ce qui les pousse souvent à contracter des dettes pour financer les traitements qu’il leur faut. Le monde a besoin d’une couverture sanitaire universelle, mais pour y parvenir, le secteur mondial de la santé doit d’abord se soumettre lui-même à un traitement.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2018
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