Comment le Maroc a neutralisé l’effet Bolton sur le Sahara

Le 18 septembre 2019 à 13h11

Modifié 10 avril 2021 à 4h56

Malgré l’affinité idéologique entre Bolton et Trump, leur aversion à l’égard de l’ONU et du multilatéralisme, la divergence des points de vue des deux hommes sur plusieurs décisions de politique étrangère a rendu leur cohabitation intenable.

Compte tenu de la nature des déclarations que Trump a faites à propos de Bolton depuis mai dernier, il était devenu évident pour les observateurs à Washington que son départ de l'administration Trump n'était plus qu’une question de temps.

Les tentatives de Bolton d'entraîner les États-Unis dans une guerre contre l'Iran, sa politique infructueuse au Venezuela, son désaccord avec la décision de Trump de tendre la main de la paix au président nord-coréen et son rejet de la décision de Trump de tenir une réunion secrète avec les talibans à Camp David ont accéléré son départ de l'administration américaine.

Le départ de Bolton est une bonne nouvelle pour la diplomatie marocaine, qui a redoublé ses efforts pendant les 17 derniers mois pour le neutraliser et l’empêcher de nuire aux intérêt stratégiques du Maroc.

Après avoir travaillé sur la question du Sahara lorsqu'il était fonctionnaire au Département d'Etat et assistant de l'Envoyé personnel du Secrétaire général, James Becker, de 1997 à 2004, dès sa nomination en avril 2018, Bolton a essayé de peser de tout son poids politique pour amener le Conseil de sécurité à accélérer la cadence du processus politique afin de mettre fin au conflit du Sahara.

Le parti-pris de Bolton contre le Maroc

Depuis qu'il a quitté son dernier poste officiel au gouvernement américain en 2006, Bolton n’a eu de cesse de reprocher au Maroc l'échec des efforts déployés par l'Onu pour résoudre le conflit. Il s’en est également pris à l'Onu et l’a accusée de ne pas avoir la volonté politique d'imposer une solution contraignante aux parties. Par ailleurs, Bolton a régulièrement insisté sur la nécessité de permettre aux Sahraouis d'exercer leur droit à l'autodétermination par le biais d'un référendum.

Une analyse des déclarations de Bolton sur le conflit depuis plus de dix ans ne laisse aucun doute qu’il était aigri par son incapacité, ainsi que celle de James Baker, à mettre fin au conflit. Il a donc profité de sa présence à la tête du Conseil de sécurité nationale pour influer sur le processus politique onusien et s’assurer que l’issue du conflit soit conforme à ses convictions personnelles. Or, la position personnelle de Bolton sur le conflit s'écarte de la position officielle adoptée depuis vingt ans par les administrations américaines successives, à savoir maintenir une position de neutralité positive, avec un soutien tacite à la position marocaine.

L'intérêt personnel de Bolton pour la question du Sahara était évident depuis le début de sa nomination comme conseiller à la Sécurité nationale. Sa nomination a coïncidé avec la présentation par le Secrétaire général de l’Onu de son rapport annuel sur le Sahara, en avril 2018, et avec les délibérations du Conseil de sécurité sur la résolution annuelle du conflit.

L’impact de Bolton s’est fait sentir dans l’adoption de la résolution 2414, qui a renouvelé le mandat de la Minurso pour une période de six mois seulement au lieu d’un an. Le raccourcissement du mandat de la Minurso visait à faire pression sur le Maroc et le Polisario afin qu’ils fassent preuve de bonne foi et de détermination à parvenir à une solution finale.

Depuis avril 2018, le Conseil de sécurité a adopté trois résolutions, la dernière étant la résolution 2468, qui a prorogé le mandat de la Minurso de six mois. Le raccourcissement du mandat de la Minurso et la pression exercée par les États-Unis sur les parties ont ouvert la voie à la tenue de deux tables rondes à Genève, en décembre 2018 et mars 2019, sous les auspices de l'ancien représentant personnel du Secrétaire général, Horst Köhler.

L’obsession de Bolton

La détermination de Bolton à suivre personnellement le conflit, ainsi qu’à à accélérer et orienter sa résolution, était manifeste dans son discours de décembre 2018 à la Heritage Foundation. Au cours de son allocution, il a exprimé sa frustration devant l’échec du Conseil de sécurité dans la gestion du conflit ainsi que l’échec de la Minurso dans l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Bolton a également exprimé son engagement personnel et la détermination de l’administration américaine à remédier à l’incapacité du Conseil de sécurité à trouver une solution définitive au conflit.

Le ton du discours prononcé par Bolton a surpris les observateurs, dans la mesure où il semblait déterminé à remettre la question du referendum au goût du jour et à en faire la priorité de son action diplomatique.  

Le discours fut prononcé près d’un mois après la signature par l’Algérie d’un contrat avec le bureau de lobbying Keene Consulting, propriété de l’ami proche de Bolton, David Keene. Ces deux événements laissaient croire que le tandem Keene et Bolton étaient déterminés à joindre leurs efforts en vue d’orienter l’issue du processus politique onusien au profit de l'Algérie et du Polisario.

Depuis la nomination de Bolton en tant que conseiller pour la Sécurité nationale, j’en ai appelé à la diplomatie marocaine pour agir rapidement et mobiliser toutes ses énergies, ses ressources humaines et ses contacts à Washington pour déjouer ses plans et l’empêcher de porter atteintes aux intérêts stratégiques du Maroc et à ses relations stratégiques avec les Etats-Unis.

J'ai suggéré que l'une des solutions à la disposition du Maroc pour neutraliser Bolton consistait à s’attirer les bonnes grâces du secrétaire d'État Mike Pompeo, connu pour son affinité avec Trump, pour faire partie du cercle restreint du président et pour ne pas avoir de relations amicales avec Bolton.

Malgré le poids politique et la forte personnalité de Bolton, il était évident qu’il ne pouvait prendre à lui seul aucune décision de politique étrangère ni l’imposer à l’administration américaine. Beaucoup de parties prenantes interviennent dans le processus décisionnel américain, y compris le département d'État, le département de la Défense et la Maison-Blanche qui a le dernier mot dans la prise de décision.

Un bilan plutôt positif pour le Maroc

L’analyse des derniers développements du processus politique au cours des 17 mois de mandat de Bolton montre qu’il a été plus positif pour le Maroc que beaucoup ne l’imaginaient. Le Maroc a fait preuve de sagesse et de résilience face à ce que les médias ont surnommé "l’effet Bolton".

Malgré la décision du Conseil de sécurité de raccourcir le mandat de la Minurso, les trois résolutions adoptées par le Conseil de sécurité depuis avril 2018 ont permis au Maroc d’obtenir des résultats diplomatiques qu’il n’avait pas atteints avant 2018.

Les résolutions 2414, 2440 et 2468 illustrent cette avancée diplomatique du Maroc, dans la mesure où elle insistent toutes sur la nécessité de parvenir à une "solution politique réaliste, réalisable et durable à la question du Sahara occidental basée sur le compromis". Ces résolutions sont les premières dans lesquelles le Conseil de sécurité souligne d’une manière claire que les parties doivent faire preuve de réalisme pour parvenir à une solution pratique et durable.

La nouvelle approche du Conseil de sécurité signifie qu’une solution gagnant-perdant n’est plus à l’ordre du jour, ce qui est conforme à la position du Maroc. Rabat a longtemps réitéré que sa proposition d’autonomie est une solution à même de sauvegarder les intérêts de toutes les parties, y compris du Polisario, tout en préservant la souveraineté du Maroc sur le Sahara.

Par ailleurs, le préambule de la résolution 2468 contient un nouveau libellé pro-marocain, dans la mesure où le Conseil de sécurité réitère son engagement à aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, basée sur le compromis. L’expression « basée sur le compromis » a été ajoutée par rapport aux résolutions précédentes, ce qui montre, encore une fois, que le Conseil de sécurité n'imposera aucune solution qui ne soit pas basée sur un compromis.

Ce qui confirme ce constat est le fait que l’expression « basée sur le compromis » figure trois fois dans la résolution 2414, quatre fois dans la résolution 2440 et cinq fois dans la résolution 2468.

Le libellé des nouvelles résolutions n’a pas été aussi largement utilisé dans les résolutions précédentes. L'expression « basée sur le compromis » n'a été mentionnée qu'une seule fois dans les résolutions adoptées depuis 2007, à l'exception des résolutions 1754 et 1783, qui ne l'incluaient pas du tout.

De plus, les résolutions 2440 et 2468 ont mentionné l'Algérie et y font référence sur un pied d'égalité avec le Maroc. Il s'agit d'un changement sans précédent dans le langage adopté par le Conseil sur cette question depuis le début du processus politique en 2007. Si l'importance de la participation de l'Algérie au processus politique a été mentionnée à trois reprises dans la résolution 2440, elle a été mentionnée à cinq reprises dans la résolution 2468.

Le libellé des deux dernières résolutions indique que le Conseil de sécurité s’oriente progressivement à considérer l'Algérie comme une partie prenante au conflit. Ce changement est conforme à la position du Maroc. Le Maroc a longtemps insisté pour que l'Algérie soit considérée comme une partie à part entière au conflit et sur le fait que le différend ne pourrait être résolu tant que l'Algérie ne serait pas perçue comme telle.

Par conséquent, on pourrait affirmer que le Maroc est non seulement sorti indemne du mandat de Bolton dans l’administration de Trump, mais il a également réalisé des gains diplomatiques importants qu’il n’avait pas pu réaliser par le passé.

Le Maroc a vraisemblablement tiré profit de la relation personnelle houleuse entre Bolton et le secrétaire d’État Mike Pompeo. À Washington, il était de notoriété publique que l’animosité entre les deux responsables américains était telle qu’ils communiquaient entre eux à travers des intermédiaires. Il semblerait que le Maroc ait profité de ces circonstances pour s’attirer les bonnes grâces du secrétaire d'État américain et des hauts fonctionnaires du département d'État et les convaincre de maintenir la position américaine traditionnelle dans le conflit et d'empêcher Bolton d'imposer ses propres convictions et son agenda personnel.

Il semblerait que Maroc ait également réussi à faire passer son message à la Maison-Blanche par le truchement du gendre et conseiller principal du président Trump, Jared Kushner. Kushner a effectué deux visites au Maroc en 2019. Lors de la première, il fut reçu par le roi Mohammed VI. Ces deux visites portent à croire que la diplomatie marocaine a réussi à faire passer son message au président Trump via son gendre, neutralisant ainsi Bolton et l’empêchant de nuire aux intérêts du Maroc ou d’affecter négativement les relations entre Rabat et Washington.

Le président Trump est l’ultime décideur dans l’administration américaine actuelle. Si le Maroc réussissait à se rapprocher de ses plus proches collaborateurs, il serait en mesure de se prémunir contre les tentatives de ses adversaires visant à contrecarrer ses efforts de préserver ses acquis diplomatiques, ainsi que sa souveraineté sur le Sahara.

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