Comment l’Europe peut apprendre à ne plus s’en faire et à aimer la puissance

Le 4 septembre 2018 à 13h48

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

PARIS – Les présidents des Etats-Unis, Donald Trump, et de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ont peut-être évité une guerre commerciale le mois dernier, mais les problèmes auxquels est confrontée l’Union européenne sont loin d’être résolus. Dans un environnement mondial de plus en plus hobbesien, l’UE ne peut survivre qu’en augmentant les capacités de projection de sa puissance, rien moins qu’un exploit pour une entité qui s’est formée précisément en affirmant son rejet de la politique de puissance.  

Avec le traité de Rome, en 1957, l’Europe se débarrassait des oripeaux de ses pulsions militaristes et s’attachait à la construction d’un marché pacifique, voué à l’expansion. Dès lors, elle ne pouvait plus concevoir de projeter sa puissance qu’au travers de sa politique commerciale.

Mais cette politique ne fut jamais conduite par une pensée stratégique. L’influence globale de l’Europe, malgré ses succès sur les marchés internationaux, en fut donc limitée. Le temps est venu, pour elle, de se réaffirmer en tant qu’acteur véritable sur la scène mondiale, non pas en imitant le modèle classique de la superpuissance, mais plutôt en renforçant et en déployant des attributs différents.

L’Europe dispose déjà d’une considérable puissance régulatrice – elle a, par la force de ce qu’on appelle l’"effet Bruxelles", la capacité de créer des normes globales –, dont on peut apprécier le poids dans les mesures qu’elle a prises pour juguler les géants de la technologie. La récente mise en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) fixe ainsi les principes de la collecte et du traitement des informations personnelles au sein de l’UE.

L'Europe face à la puissance américaine 

Aujourd’hui, les plates-formes numériques – dont les puissantes entreprises américaines – se mettent dans la hâte en conformité. Les "Big Four" de la technologie aux Etats-Unis – Alphabet (la maison-mère de Google), Apple, Facebook et Amazon – sont aussi soumises, de par leur position dominante sur le marché, aux pressions de l’UE.

Mais l’UE n’est pas toujours parvenue à prendre conscience de sa puissance normative, sans parler d’en tirer pleinement parti. Cette incapacité traduit, et renforce tout à la fois, sa faiblesse dans trois domaines: l’estime de soi, la perception des risques et le passage à l’acte.

L’estime de soi passe par la conviction que le jeu de l’Europe en vaut la chandelle, par l’assurance qui permette de le faire savoir publiquement et par la compréhension du véritable potentiel de l’UE en matière de projection de sa puissance. Autant de dispositions faisant cruellement défaut dans de nombreuses parties de l’Union, à commencer par l’Allemagne, qui, quoiqu’elle ait retrouvé confiance dans son avenir, préserve jalousement ses ressources.

Tancée par Trump, au prétexte qu’elle accumule les excédents sans contribuer suffisamment à l’effort de défense transatlantique, l’Allemagne devrait être d’autant plus motivée à user de sa faculté de renforcer l’Europe. Mais si le discours a commencé à évoluer, en Allemagne, sur le partage des ressources, les résultats concrets prendront du temps.

Le peu d’enthousiasme de l’Europe à cultiver et à déployer son influence contraste vivement avec le volontarisme dont font preuve les Etats-Unis lorsqu’il s’agit d’utiliser leur puissance de marché pour faire prévaloir leurs intérêts ou leurs choix. Ainsi depuis que Trump a annoncé sa décision de se retirer du Plan d’action global conjoint (PAGC) – plus connu sous le nom d’accord sur le nucléaire iranien – et de rétablir les sanctions contre l’Iran, ne nombreuses entreprises européennes, craignant de perdre leur accès au marché américain, ont-elles décidé de se retirer du pays.

Devise: L'Europe manque de confiance en elle

Afin de convaincre ces entreprises de demeurer en Iran, la Commission européenne a mis à jour la loi de blocage [des sanctions américaines] datant de 1996, qui interdit aux acteurs soumis à la juridiction européenne de se plier aux sanctions extraterritoriales, permet aux entreprises d’obtenir réparation des dommages causés par ces sanctions et annule les conséquences de tout jugement rendu au titre de celles-ci par un tribunal américain ou étranger. Mais cette mise à jour s’est avérée inefficace, comme en témoigne la situation dans laquelle se trouve la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), le système sécurisé de transmission utilisé pour les transactions financières transfrontalières.

Comme l’Iran l’a appris à ses dépens, en 2012, se voir couper l’accès à la Swift revient pratiquement à être déconnecté du système financier international. Et c’est bien à cette déconnection qu’œuvrent les Etats-Unis: Si la Swift n’a pas exclu l’Iran début novembre, elle fera l’objet de représailles. En revanche, si elle cédait aux menaces américaines, cela réduirait à néant les raisons pour lesquelles l’Iran reste dans le Pagc. Ce serait pour l’Europe un échec politique majeur, puisque la Swift est sous la juridiction de l’UE.

Pour l’euro, l’Europe manque aussi de confiance en elle, ce qui la précipite évidemment au devant de ses échecs. Si l’euro est la deuxième devise au monde, elle est en retard sur le dollar, quels que soient ou presque les indicateurs utilisés, ce qui rend l’UE plus vulnérable aux sanctions commerciales américaines.

La seconde faiblesse à laquelle l’Europe doit remédier est sa perception des risques. Certes, la Chine a besoin d’accéder à la technologie européenne pour réaliser ses ambitions économiques et ses navires doivent pouvoir entrer dans les ports européens si elle veut mener à bien son projet de nouvelle Route de la soie (One Belt, One Road, "La Ceinture et la Route"). Mais l’Europe accepte de se laisser littéralement piller, justement, par la Chine, qui rachète ses installations portuaires et aéroportuaires. La relation sino-européenne doit aller vers plus de réciprocité, et l’UE – en particulier les Etats membres du sud et de l’est européens, qui ont accueilli à bras ouverts les investissements chinois – prendre conscience des risques que font courir à sa sécurité les initiatives chinoises.

Une approche plus unitaire

Pour que cela soit seulement possible, il faudrait que l’Europe adopte une approche plus unitaire vis-à-vis de la Russie, laquelle, si elle ne pose pas une menace du même ordre que celle de la Chine, n’est que trop désireuse de souligner – et d’exacerber – ses divisions. Comment blâmer, en effet, la Grèce d’avoir vendu ses ports aux Chinois lorsque l’Allemagne soutient le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui renforcera la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie?

La montée des tensions entre l’Europe et les Etats-Unis affecte, entre autres choses, la coopération qui permettrait de contenir les ambitions chinoises et complique encore le tableau. C’est ici qu’intervient le passage à l’acte. Plutôt que d’attendre quelqu’un d’autre pour s’opposer à la démolition des structures multilatérales à laquelle se livre l’administration Trump, l’Europe doit prendre l’initiative et imaginer un système sans les Etats-Unis.

Cela ne signifie pas seulement garantir la survie du régime des échanges sans les Etats-Unis, mais aussi construire des capacités militaires qui puissent renforcer la crédibilité géopolitique de l’UE et déplacer l’équilibre mondial des puissances. A cet égard, le projet de force commune d’intervention, soutenu par le président français Emmanuel Macron, au-delà de l’Otan, est crucial. Sa réussite dépendra d’une ligne de conduite tendue vers les mêmes buts et d’une démarche de coopération, susceptible d’inclure le Royaume-Uni. La difficulté est évidente. Mais le résultat – pour l’UE et pour le monde – mérite tous les efforts.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2018

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