Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

La désunion de l'Union

Le 27 juin 2021 à 12h35

Modifié 27 juin 2021 à 12h35

Pourquoi l'Espagne a-t-elle choisi de se réfugier au parlement pour adopter une telle résolution et pas au Conseil de l’Union européenne habilité à traiter ce genre de différend ? Les réponses d'Ahmed Faouzi, ancien ambassadeur et chercheur en relations internationales.

Face à la crise qui l’a opposée récemment au Maroc, l’Espagne a jugé utile de recourir au parlement européen pour émettre une résolution, le moins qu’on puisse dire inamicale, à l’égard du royaume, pays voisin lié pourtant par un statut avancé à l’Union. Pourquoi se réfugier au parlement pour adopter une telle résolution et pas au Conseil de l’Union européenne habilité à traiter ce genre de différend ? Dans sa solitude, Madrid cherchait en fait à impliquer rapidement l’institution européenne pour obtenir une condamnation et se donner le bon rôle face à son propre opinion publique.

L’autre scène qui s’est déroulée le 14 juin dernier au sommet de l’Otan à Bruxelles est révélatrice de l’état où se trouve ce pays, membre de l’union européenne. Le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, qui avait annoncé en grande pompe la tenue d’une rencontre au sommet avec le président américain Biden, n’obtient, en guise de rencontre, que quelques pas d’échanges dans un couloir d'une durée de 29 secondes. Autant dire une perte de temps, une humiliation inqualifiable, et un camouflet pour le gouvernement qu’il dirige.

La presse espagnole, avertie la veille de ce « sommet », est furieuse que l’image du pays soit malmenée de la sorte par une équipe gouvernementale inexpérimentée. Les partis de l’opposition condamnent unanimement cette désinvolture, et le porte-parole du Parti populaire espagnol observe publiquement 29 secondes de silence face à la presse, qualifiant le comportement de Sanchez de frivole et de grand drame.

Mais au-delà de cet aspect, le comportement d’un membre de l’Union européenne, face à la superpuissance américaine, démontre l’état de cet ensemble. Le paradoxe est que l’Espagne agit égoïstement en fonction de ses intérêts nationaux quand elle veut, et exige de l’Union de se positionner sur des sujets quand elle est acculée. L’exemple de la récente crise avec le Maroc est édifiant à cet égard. Face à ses défaillances, Madrid s’abrite derrière le parlement européen pour obtenir un appui politique.

Lors de la récente visite du président américain à Bruxelles, les équipes d’autres chefs d’Etats européens ont joué des coudes pour gagner les faveurs de qui sera reçu le premier et le plus longtemps par Biden. Celui-ci a, comme d’habitude, donné sa préférence à la chancelière allemande Merkel pour relancer les relations transatlantiques sur l’axe habituel germano-américain. Un geste de la part des Américains qui traduit la primauté de l’axe Berlin/Washington.

C’est également elle qui sera reçue la première par Biden à Washington en juillet prochain. Sous le mandat de Trump, c’était Macron qui a eu ce privilège, et pourtant leurs relations se sont vite détériorées par la suite. Les quatre années de Trump au pouvoir ont douché les dirigeants européens qui dissimulaient leur crainte de le voir réélu. Avec l’avènement de Biden c’est donc une nouvelle page qui s’annonce entre l’union européenne et les Etats-Unis.

Il n’est un secret pour personne que les Américains préfèrent travailler avec les Allemands et ont avec eux de meilleures relations stratégiques. Chacun se rappelle la visite de John F. Kennedy en juin 1963 à Berlin et sa déclaration « Ich bin ein berliner », je suis berlinois. Depuis, cette préférence est devenue la règle dans les relations transatlantiques. Washington affiche souvent sa proximité avec Berlin et dès sa prise de fonction, Biden l’a fait savoir et a levé les sanctions contre les entreprises allemandes impliquées dans la construction du gazoduc qui achemine le gaz russe vers l’Allemagne en contournant l’Ukraine.

Les Américains sont donc plus à l’aise avec les Allemands dans une Union européenne que leur allié britannique a quittée. Ils sont en confiance avec une Allemagne atlantiste qu’avec une France qui a refusé de se joindre à l’Otan sous De Gaulle, puis une fois membre, ne cesse de réclamer une autonomie stratégique européenne au sein de l’Otan. Ces luttes intestines entre les membres de l’Union, poussent les américains à ne voir en eux qu’un consortium artificiel de pays mis bout à bout, une sorte d’empilement de nations sans cohérence ni cohésion.

Cela se vérifie aisément en politique extérieure des deux ensembles. Les États-Unis ont une diplomatie centralisée, contrairement à l’union européenne qui arrive à peine à coordonner sa politique extérieure qui demeure une prérogative de chaque nation. Pourtant le traité de Lisbonne signé en 2007 a tenté de remédier à cet état, en refondant l’architecture de l’Union mais sans grand succès à ce jour. Les articles 21 et 22 du traité, qui définissent les contours de la politique extérieure, ne font que rappeler les grands principes internationaux, et chargent le Conseil à identifier les intérêts et objectifs stratégiques.

C’est la raison pour laquelle les pays membres de l’union européenne, dont l’Espagne, ne font que suivre leur grand allié que sont les Etats-Unis, beaucoup plus en raison de leur incohérence que de la volonté des Américains de créer cette dépendance. En allant, chacun de son côté, obtenir les faveurs de Washington, à l’instar du Premier ministre espagnol, chaque pays européen cherche à marquer la spécificité de sa relation privilégiée avec les États-Unis.

Pour illustrer ce paradoxe, l’union européenne peine à élaborer une politique commune à l’égard de la Russie. Chaque pays membre poursuit sa propre ligne diplomatique et ses intérêts avec Moscou, sans réelle coordination avec les autres. En cas de crise grave ou de menace, tous se tournent, comme à l’accoutumée, vers les États-Unis pour qu’ils jouent leur rôle d’arbitre et de défenseur de la dernière chance.

C’est aussi la politique de chacun pour soi face à la Chine. Aveuglés qu’ils sont par les mirages de ce marché qu’ils croient preneur de tous leurs produits, ou par d’éventuels investissements chinois, les Européens peinent à adopter une stratégie commune face à Pékin. Les rappels timides au respect des droits de l’homme ne sont qu’un cache misère qui ne trompe personne. Les Européens qui se sont enfin décidés lors de réunion avec Biden de mener un combat commun contre le concurrent chinois, vont se mettre volontairement sous la bannière étoilée pour faire front commun.

Pour leur part, les États-Unis ont une longue histoire avec les puissances européennes basée sur le même substratum culturel. Ils ont été constitués par les colonies venant de la vielle Europe, puis les relations se sont exacerbées pour que les Américains mènent leur combat et obtenir, au 18e siècle, leur indépendance des Anglais, Français et Espagnols. Après la défaite des Européens, les Américaines décrètent au 19e siècle la doctrine Monroe pour les chasser définitivement du continent américain.

Au début du 20e siècle, lors de la signature du traité de Versailles en 1919, les Américains interviennent à leur tour sur le vieux continent pour calmer les ardeurs entre Français et Allemands. Obligés d’intervenir de nouveau pour chasser les nazis, durant la deuxième guerre mondiale, les Américains ont élu, à ce jour, domicile en Europe pour y assurer la défense. Désormais, les dangers ne proviennent plus seulement de la Russie. Une autre puissance est maintenant aux aguets : la Chine. Ce n’est donc pas du Maroc d’où viendront les défis. L’Union européenne, comme l’Espagne d’ailleurs, doit bien ouvrir les yeux et en être consciente.

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