La nécessaire réforme de la Constitution de 2011

Le 23 février 2021 à 8h23

Modifié 10 avril 2021 à 5h14

Notre Constitution contient au moins deux graves « anomalies » : l’article 47 en son mécanisme de désignation du Chef du Gouvernement par le Chef de l’Etat et l’article 63 qui prévoit la participation des représentants des salariés et des employeurs au sein de la Chambre des Conseillers.

Chacune de ces 2 « anomalies » a, naturellement, une série d’explications et un contexte particulier ainsi que des effets néfastes.
Je suis perplexe devant le peu de débats de fond que ces deux sujets ont suscité depuis près d'une décennie. Avant et depuis le 1er Juillet 2011.

Ces débats mériteraient d'être relancés.

L’article 47, d’abord, qui donne « l’exclusivité » de (la désignation à) la présidence du Gouvernement au parti arrivé en tête des élections et contraint de ce fait le Chef de l’Etat, en lieu et place d’une « priorité » qui est pratiquée communément et ordinairement dans les pays les plus démocratiques de par le monde. Plus clairement, et en cas d’échec du premier parti désigné à former une majorité parlementaire, le Chef de l'État désigne alors un chef de file parmi le parti arrivé 2e. « L’exclusivité », telle qu’elle ressort de la rédaction actuelle implique la « dictature » dudit parti et pollue significativement sa relation avec l’Etat ainsi qu’avec les autres partis. Majorité comme opposition.

"Dictature d'une minorité relative" donc.

La composition et la constitution d’un gouvernement en sont grandement impactées, et les propositions du Chef de Gouvernement "désigné" sont donc, dans une certaine mesure, « à prendre ou à laisser ». C’est malsain et encore plus inacceptable dans un Maroc qui cherche toujours sa voie vers une démocratisation à parfaire au quotidien.

Les constitutions benchmarkées, dont l’Espagnole pour ne citer que celle-ci, prévoient l’exact contraire ! i. e. que le parti arrivé en tête est désigné en priorité (seulement) et dispose d’un délai souvent prédéfini pour former sa majorité gouvernementale. Au-delà, c’est le 2e parti qui prend le relais. Avec, en cas d’ échec, de nouvelles élections en bout de course.

Il est urgent de réécrire cet article. Il était souhaitable que ce fut fait courant 2019 au plus tard, année sans enjeu électoral par excellence et suffisamment éloignée de la prochaine échéance, et la réforme de la Constitution suffisamment débattue (dans les média publics et privés), expliquée et annoncée. On peut penser que le remaniement gouvernemental de 2019 a occupé les esprits (de nos décideurs). Restait 2020, la dernière (et petite) fenêtre de cette législature. Fenêtre fermée depuis.

Est-il besoin de préciser que le parti arrivé en tête en 2011 et en 2016 (voire en 2021 ?) se déclarera mécaniquement "victime" d’une telle réforme et visé par elle, et que les réseaux sociaux y liés s’enflammeront ? Les arguments objectifs à lui opposer ne manquent pourtant pas pour rester dans un débat rationnel et factuel : le benchmark international.

Est-il besoin de préciser que les tentatives désespérées d’interpréter le texte actuel - sans sa révision - sont vaines et qu’il vaut bien mieux réduire les marges d’interprétation d’un texte aussi sensible via sa réécriture ? Tout le monde gagnera à plus et mieux baliser la procédure de désignation du (futur) chef de gouvernement.

Cette réécriture, en temps opportun, nous aurait évité les 6 mois "perdus" au lendemain des dernières législatives ainsi que des majorités parlementaires et partant, des équipes gouvernementales, sans queue ni tête.

Il y a plus de 10 ans, un observateur politique disait, à juste titre, que le PJD, "nouveau venu" et représentant, alors, autour de 20% des votants, était « légitime et représentatif » d’une partie de l'électorat mais sans pour autant pouvoir prétendre devenir un parti de gouvernement. A l’instar du FN en France. Encore moins diriger un gouvernement. C'était vrai. Il y a plus de 10 ans. L’article 47, à lui tout seul, lui a donné tort.

Un embryon de débat public sur ce sujet avait été initié courant 2019. Vite tari.

L'article 47 est le plus stratégique et le plus conséquent.

L’article 63, quant à lui, est une deuxième et véritable « anomalie » en ce qu’il réserve une place tant aux représentants des salariés (les syndicats) que des employeurs (la CGEM, de fait) au sein de la 2e Chambre. Il s’agit d’une innovation regrettable et nuisible pour ces mêmes organismes, combien importants et incontournables : la CGEM et les syndicats ont leurs places naturelles au CESE et au CESE seulement, à l’instar du modèle français, pour ne citer que celui-là, et comme initialement prévu dans la première version de la Constitution qui a circulé entre Mai et Juin 2011.

Je détaille ici essentiellement le cas de la CGEM à propos de laquelle notre Constitution semble avoir « oublié » que les statuts lui interdisent toute action politique et partisane, et qui a du, depuis, réaménager ses statuts. Quoi de plus politique que la Chambre Haute de notre Parlement ? Contrairement à l’article 47 - qui reste un mystère pour bien des analystes, nous savons pourquoi cette « erreur-anomalie » a été commise et ce volontairement! : les syndicats des salariés, se voyant perdre les sièges occupés et acquis dans ladite 2e Chambre d’avant 2011, ont vivement protesté et menacé d’une grève générale si leurs « acquis », i.e. leurs sièges, n’étaient pas préservés.

Les rédacteurs ont eu vite fait de revoir leur copie et introduit les "représentants des employeurs", avec 8 sièges, par souci d’équilibre et de symétrie. Il s’agit là d’une véritable dénaturation de la vocation et du fonctionnement de la CGEM. Des syndicats également.

Une fausse bonne idée qui n’en finit pas de la polluer. A ce jour.

Dois-je préciser que je ne parle pas des personnes, généralement très compétentes et estimables par ailleurs. Ce n'est pas mon sujet. Mais l'article 63 a altéré significativement et à lui seul la sociologie du membership du patronat et ses aspirations. L'actualité immédiate en atteste. A titre anecdotique et en cette conjoncture particulière de notre organisation patronale, un ami me disait que le patron des patrons avait gagné du poids depuis 2011 puisqu’il signait 8 « tazquiyates » ! Un comble.

C'est le pêché "originel".

Tout considéré, les syndicats des employeurs comme ceux des employés gagneraient à ne plus siéger à la 2e Chambre et à concentrer les efforts de leurs dirigeants à la défense des intérêts de leurs adhérents respectifs par tous les autres moyens à leur disposition. Au sein du CESE. Leurs bénéfices à terme seront bien plus conséquents que les quelques sièges et prestige qui seraient "perdus".

In fine, la CGEM a été la victime consentante de la recherche du maintien la paix sociale dans la période, certes compliquée, post 20 Février.

Je suis sûr que d’autres dispositions de notre Constitution mériteraient d’être revues, dans la forme et ou le fond, mais je laisse cela à plus expert que moi.

La réforme de notre Constitution est nécessaire. Au moins sur ces 2 aspects.

La prochaine fenêtre en 2023 ?

Jalil Benabbés-Taarji est Past-président de la Fédération nationale du Tourisme (2003-2007) et past-président fondateur de la CGEM Marrakech Tensift (1995-2003),  ancien membre des Bureau et Conseil d'administration de la CGEM (1995-2007).

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