Khalil Haddaoui

Ancien ambassadeur

La responsabilité de l'Espagne

Le 5 juillet 2021 à 13h25

Modifié 5 juillet 2021 à 13h25

Si la question de Sakia El Hamra et Oued Eddahab est toujours inscrite comme "Sahara occidental" sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU, la responsabilité principale revient à l’Etat espagnol.

La résolution 2072 (XX) des Nations Unies du 16 décembre 1965 stipule au paragraphe 2: "Prie instamment le gouvernement espagnol, en tant que puissance administrante de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour la libération de la domination coloniale du territoire d’Ifni et du Sahara espagnol et d’engager à cette fin des négociations sur les problèmes relatifs à la souveraineté que posent ces deux territoires."

Pourquoi cette résolution, qui rappelle dans son préambule la 1514 (XV) du 14 décembre 1960, se limite à la question de souveraineté sans se référer au droit à l’autodétermination? Parce qu’elle a tenu compte de la lettre et de l’esprit de la 1514 qui précise dans son paragraphe 6 : "Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies." C’est un avertissement aux puissances coloniales que la décolonisation ne doit pas se traduire par une sécession.

Les dirigeants espagnols de l’époque ont manqué de lucidité et de véritable vision ; car au lieu d’entamer des négociations avec le Maroc sur la souveraineté d’Ifni et du "Sahara espagnol", comme le leur demandait l’ONU, ils ont préféré tergiverser. Pourtant, ils savaient que ce territoire, dont la population ne dépassait pas les 75.000 habitants, faisait partie du Maroc depuis des siècles, et que personne n’a jamais entendu parler de "peuple sahraoui." La restitution d’Ifni s’est faite quatre ans plus tard, après de longues et difficiles négociations, et le "Sahara espagnol" figure toujours sur la liste des territoires non-autonomes, en devenant "Sahara occidental."

"Marchandage"

Les tergiversations espagnoles ont permis aux dirigeants algériens de saisir l’occasion pour se considérer comme "partie concernée," pour des raisons qui leur sont propres, sans aucun rapport avec la défense du soi-disant "droit à l’autodétermination du peuple sahraoui."
Malgré cela, le Maroc a eu un comportement irréprochable, lorsque l’Espagne s’est trouvée confrontée à la question de l’Archipel des Îles Canaries. En effet, l’indépendantiste canarien, Antonio Cubillo, qui voulait mener "son combat contre le colonisateur espagnol" en affirmant que les habitants des Îles Canaries sont des Amazighs venus du Maroc, a été interdit d’accès dans le Royaume. Il a finalement trouvé refuge en Algérie où il a créé en 1964 le Movimiento Por la Autodeterminacion y Independencia del Archipielago Canario (MPAIAC).

A partir de là, et avec l’aide d’Alger, le MPAIAC a pu convaincre un certain nombre de pays africains pour obtenir en 1968 un vote de l’OUA en faveur de l’autodétermination des Îles Canaries. A ce moment-là la diplomatie espagnole avait paniqué. Et c’est grâce à l’action déterminante du Maroc, sollicité par le gouvernement espagnol, que finalement l’archipel des Îles Canaries a disparu, au fil des années, de l’agenda de l’Organisation africaine. Le MPAIAC a poursuivi son action avec le soutien du gouvernement algérien. (Cubillo a échappé, le 5 avril 1978, à une tentative d’assassinat de la part des services de sécurité espagnols. Il restera paralysé jusqu’à sa mort en 2012.)

Au mois d’octobre 1975, alors que des négociations intenses et tendues se déroulaient entre le Maroc et l’Espagne, les diplomates algériens ont eu l’outrecuidance de proposer à leurs homologues espagnols, lors d’une rencontre à Genève, de les débarrasser du mouvement indépendantiste canarien en échange de la proclamation de l’indépendance du Sahara.

Par ailleurs, dans un article publié en mai 1978 dans le journal El Pais, Juan Goytisolo a dévoilé le contenu d’une lettre datée du 15 mai 1973, envoyée par Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, demandant à son ambassadeur de communiquer au gouvernement espagnol que "toute politique hostile aux intérêts stratégiques de l’Algérie au Sahara occidental amènera une réciprocité qui ne peut que porter préjudice aux intérêts espagnols, et pas uniquement dans la région. Nous voulons préciser que tout accord qui ne tient pas compte de nos points de vue quant au règlement final de ce contentieux colonial, nous obligera à reconsidérer nos accords antérieurs, principalement économiques, et à mobiliser nos potentialités pour détruire l’image privilégiée dont jouit l’Espagne dans certains pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et du monde arabe. Nous rappelons à cet effet que la présidence de la Conférence des pays non-alignés nous reviendra à partir du mois de septembre de cette année."

Si nous évoquons ces faits, c’est pour rafraîchir la mémoire de la diplomatie espagnole, et lui laisser le loisir de trouver le qualificatif qui convient à ce type de marchandage. Quant au Maroc, il a toujours été loyal avec l’Espagne, et il n’est pas dans ses traditions d’exercer ce genre de méthode dans ses relations internationales.

Alliance tacite avec l’Algérie

Il est bien connu que la majorité des diplomates espagnols ont été contre l’Accord de Madrid. L’ancien représentant permanent de l’Espagne auprès des Nations Unies, l’ambassadeur Jaime de Piniés ne l’a pas caché dans son livre: "la descolonizacion del Sahara: un tema sin concluir."

L’ancien ambassadeur d’Espagne à Rabat, Jorge Dezcallar, a déclaré récemment, à juste titre, que "le problème du Sahara est entre le Maroc et l’Algérie", voulant peut-être sous-entendre que l’Espagne n’était plus concernée. Mais l’Etat espagnol a quand même une grande part de responsabilité dans la perpétuité du problème du Sahara. La façon d’agir de la diplomatie espagnole, laisse souvent l’impression d’une espèce d’alliance tacite avec l’Algérie. Alors qu’elle sait parfaitement que le régime algérien est animé par sa propension à l’hégémonie, et qu’il s’illusionne d’instaurer une entité à sa dévotion qui lui permettrait l’accès à l’Atlantique.

Personne ne peut contester au gouvernement espagnol de prendre souverainement ses décisions. Mais au vu de la proximité géographique et des liens séculaires qui le lient à l’Espagne, il est tout à fait légitime, s’agissant d’une question qui touche à son unité nationale et son intégrité territoriale, que le Maroc s’attende à une prise de position beaucoup plus engagée de la part de son voisin du Nord.

Maintenir un dialogue permanent

Par leur position géographique privilégiée, et sensible, entre l’Océan Atlantique et la Méditerranée, riverains du Détroit de Gibraltar, et tenant compte des liens profonds que l’histoire a créés entre leurs peuples en partageant un patrimoine culturel commun de plusieurs siècles qui a laissé des empruntes indéniables dans chacun des deux pays ainsi que dans la culture universelle, les deux Royaumes doivent toujours maintenir un dialogue permanent afin de régler d’une manière juste et loyale tout problème qui peut surgir entre eux.

Les deux pays doivent revenir à la lettre et l’esprit du Traité d’Amitié de Bon Voisinage et de Coopération, signé le 4 juillet 1991, qui a prévu des rencontres entre les deux Chefs de gouvernement une fois par an, entre les ministres des Affaires étrangères une fois tous les six mois et des consultations régulières non seulement entre les ministres des différents départements, mais également entre les secrétaires généraux et les directeurs. L’objectif recherché a été de maintenir un contact quasi permanent entre les différents responsables. Il faut ici rendre un hommage particulier au Roi Hassan II et au Président Felipe Gonzales qui, grâce à leur sagesse et leur vision, ont inspiré ce Traité. Celui-ci est beaucoup plus fort que ces accords dits d’"alliance stratégique" qui prolifèrent aujourd’hui à tel point qu’ils se sont banalisés.

Les villes de Sebta et Mellilia ainsi que les Îles et Îlots, toujours sous occupation espagnole, ont été présents dans l’esprit des rédacteurs de ce Traité. C’est pourquoi dans le chapitre des Principes Généraux, le paragraphe 5 intitulé: Règlement des différends par des moyens pacifiques, les deux pays se sont engagés à régler les différends qui peuvent naître entre eux "par des moyens pacifiques, sans préjudice pour la paix, la sécurité internationale et la justice."

Lorsque les esprits se calmeront, que la sagesse prédominera, et que les relations reprendront leur cours normal, tous les problèmes doivent être mis sur la table pour être réglés dans la sérénité et le respect mutuel.

Il nous semble que le moment viendra, plutôt tôt que tard, où les deux Royaumes aborderont le contentieux que constituent ces vestiges de l’ère coloniale. A notre humble avis, les deux pays doivent séparer le cas de Sebta et Mellilia de celui des Îles et Îlots. Dans le premier cas, l’on doit prendre en compte la souveraineté du Maroc et l’intérêt des habitants. Leur solution devrait se faire à long terme. Dans le second cas, puisque ces Îles sont inhabitées, leur restitution devrait se faire à très court terme. Il n’est pas normal qu’au XXIe siècle, des Îles et Îlots, qui se trouvent à quelques dizaines de mètres de la côte marocaine, soient considérés comme faisant partie de l’Espagne. Gibraltar fait partie de l’Espagne, même si elle tire son nom du grand conquérant marocain Tariq ibn Ziyad. Sebta, Mellilia et toutes les Îles de la côte méditerranéenne font partie intégrante du Royaume du Maroc. Quant à la frontière européenne, elle s’arrête à la Péninsule ibérique.

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