Le BIG BANG de la DIGNITE

Le 10 mai 2020 à 14h29

Modifié 10 avril 2021 à 5h03

J’ai toujours trouvé riches d’enseignements les analogies entre la physique fondamentale (ou les mathématiques) et la chose politique.

En voici une : Le système le plus stable, en physique, est le chaos.

Le chaos réduit à néant toute action isolée, tout projet isolé, qui tenterait de l’en extirper

Il en va de même pour la ‘physique des hommes’ : En politique, le système le plus stable est le chaos. Ce chaos prend diverses formes : politique bien sûr, mais aussi économique, et sociale. Le chaos, dans la "physique des hommes", s’appelle le sous-développement. Et je ne surprendrai personne en disant : Nous sommes dans le chaos.

Le chaos réduit à néant toute action isolée, tout projet isolé, qui tenterait de l’en extirper. Ces mêmes actions auraient donné des résultats probants dans un système organisé. Dans le chaos, elles sont absorbées par le trou noir.

Combien de fois nous sommes-nous trouvés face à cette consternation : Comment se fait-ce que telle politique ait réussi dans un système organisé et pas chez nous ?  Le chaos est doublement sournois car, en plus d’être stérile, il essouffle les forces vives. Il les décrédibilise car elles sont accusées de l’échec ici de ce qui a réussi ailleurs. C’est tellement plus facile.

Notre chaos a pris deux formes qui ont su se renforcer et se préserver l’une l’autre : La justice discrétionnaire et l’économie de rente.

Dans le chaos, l’économie de la rente s’est érigée en modèle, dans sa forme la plus hideuse, la plus ostentatoire et la plus délétère. Pourtant, la rente ne crée pas de valeur, elle l’érode. Elle a réussi à annihiler la fonction de régulation, un corollaire régalien de la justice discrétionnaire, pour qu’elle la serve.

Le chaos prend la forme d’une bureaucratie lourde, d’une corruption grandissante, de passe-droits au vu et au su. D’une collusion sans complexe servant l’intérêt de petits groupes aux dépens de l’intérêt de la collectivité. Il prend, enfin, la forme de politiques globales en mal d’exécution dès lors qu’elles requièrent la mise à contribution de plusieurs acteurs ou qui doit prendre le passage obligé des réformes douloureuses.

Socialement enfin, il prend la forme d’un système éducatif médiocre, d’un modèle sociétal creux, d’une jeunesse pour qui la culture de l’effort et l’amour de son pays sont des concepts ringards. Il prend la forme du modèle social qui célèbre la « hamza ».

Ou, parce que toute société humaine a besoin de ses héros, il conduit à choisir des héros du futile, les faiseurs de « buzzs », les « coachs » et les influenceurs. Il pose sur les frêles épaules de ces éphémères toutes les aspirations d’une jeunesse qui se cherche.

Nous n’avons pas le monopole du chaos. Il a réussi à s’immiscer dans les grandes démocraties : A coup de manipulation des masses et de réseaux asociaux, le capital a pris le politique en otage dans beaucoup de pays y compris les industrialisés. Il dicte les politiques publiques. Il a rendu le politique servile et les grands dossiers du monde n’ont qu’une fin : servir ses intérêts voraces.

Il serait naïf de croire que sortir du chaos se ferait avec la même facilité avec laquelle nous nous y sommes laissés glissés. Il serait vain de croire qu’appliquer des solutions, parce qu’elles ont réussi ailleurs dans un rythme séquencé inscrit sur une temporalité longue, inverserait chez nous la courbe du sous-développement.

Or, en physique, n’a-t-il pas fallu un BIG BANG pour sortir l’univers du chaos et du trou noir ? Pour qu’il s’établisse en un système organisé et stable qui, plusieurs années-lumière plus tard, continue de nous porter générations après générations ?

Il en est de même pour la « physique des hommes ». Un BIG BANG est la condition nécessaire de sortie du marasme socio-économique, continu et structurel dans lequel nous sommes. Le BIG BANG, c’est avoir un cap et le garder. Avoir le courage. C’est coordonner les actions vertueuses, à valeur ajoutée tangible, et chercher l’effet de résonance, un autre concept de la physique qui, plus que de faire la sommation des résultats, les démultiplie dès lors qu’ils sont synchrones. C’est mesurer et rendre des comptes. C’est montrer l’exemple. En arabe, cette langue fascinante, notre langue, le mot responsable a la même racine que le verbe questionner. Le responsable est celui qui rend des comptes, celui à qui on pose des questions.

Je pense que in-fine, casser la rente comme valeur cardinale et donner à la justice ses valeurs de noblesse, en un mot, sortir du chaos, se ramène à redonner à la dignité toute sa centralité dans la société humaine :

Sortir du chaos du sous-développement se fera par le BIG BANG de la DIGNITE ou ne se fera pas.

La dignité, c’est loger, soigner, nourrir, et éduquer ses enfants. C’est avoir l’espoir que nos enfants vivront mieux que nous, dans un Maroc meilleur ; et accepter, pour cela, les sacrifices.

La dignité c’est de savoir protéger le faible du fort ; le citoyen face aux prédateurs économiques et aux positions léonines.

La dignité, c’est assurer au citoyen un service public de qualité et au moindre coût. La dignité est aux antipodes du populisme. La dignité, c’est célébrer les vraies réussites, même les plus petites.

La dignité c’est donner à ses artistes, ses créateurs, ses entrepreneurs, ses penseurs, ses chercheurs un petit peu plus de considération. Car c’est d’eux que se créent les vocations.

La dignité, c’est être acteur de son devenir car l’histoire magnifiera toujours le chasseur tant que le lion ne saura écrire.

J’ai publié cette tribune le 5 Février 2014, en marge du Forum de Paris – Casablanca Round. Elle demeure à mon avis, plus que jamais, d’une cruelle actualité.

Aujourd’hui, cette pandémie, cette épreuve du Divin, a mis beaucoup de contre-vérités à nus. La capacité d’un pays à prendre des mesures inédites et courageuses pour contenir le mal. L’Etat qui fait un sans-faute. Mais en bémol, l’omerta qui rechigne à dénoncer ceux qui continuent à avoir les réflexes du maintien du chaos et qui aujourd’hui profitent d’une situation sanitaire exceptionnelle pour continuer à se servir, parfois de manière indécente. Qui n’ont aucun complexe à disjoindre la parole au geste.

Cette pandémie nous offre la chance de ce BIG BANG. Un alignement historique des astres alors que la réflexion sur un nouveau modèle de développement est dans sa phase finale de gestation et que l’embryon d’une relation de confiance entre l’Etat et le citoyen est né. Saurons-nous saisir cette chance ? Saurons nous avoir le courage de la saisir ? L’idéogramme « Crise » en mandarin, langue d’où le Coronavirus nous est venu, n’est-il pas composé de deux idéogrammes : « Menace » et « Opportunité » ?

Mais mon ami le cynique rétorque et me dit : « You are right. But you are wrong, et rien de tangible ne va changer ». Et à moi de lui répondre cette fois, aussi : « tu auras tort ».

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Ingénieur Ecole Centrale, diplômé de Sciences Po est un spécialiste de l’énergie, du développement et de la finance. Il est ex DG de l’ONE, ex-cadre de la Banque mondiale et ex haut cadre de AES (le géant énergéticien américain).

Aujourd’hui, il continue de s’investir dans l’énergie, et les projets de développement dans le continent.

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