Le Covid-19 réveille le nationalisme

Le 11 mars 2020 à 15h33

Modifié 11 avril 2021 à 2h45

NEW YORK – Les passants se sont arrêtés. Un jeune homme blanc aux cheveux foncés s’est approché de moi. Non violent par instinct et par expérience, je me préparais à encaisser des coups. L’homme s’est approché de moi, et m’a dit: "Merci de l’avoir défendu. C’est pour cela que j’ai combattu en Irak, pour que des gens comme lui puissent être libres".

Sans revenir sur l’histoire chaotique de la guerre en Irak, le Covid-19 nous rappelle clairement que les pandémies planétaires, à l’instar du changement climatique, ne s’arrêtent pas aux frontières nationales. Il faut s’attendre à ce que l’expérience de la Chine face au virus en janvier et février se reproduise dans la majeure partie du monde en mars et avril. Des variations s’observeront dans le nombre d’infections, en fonction de facteurs impondérables tels que la température, la solidité relative des systèmes de santé publique sur le plan du dépistage et du traitement, ainsi que les différents niveaux de résilience financière et économique. Nous devons nous préparer intelligemment à ces possibilités, sans céder à une panique irrationnelle, et encore moins aux préjugés racistes.

Manque de solidarité humaine

Le virus nous rappelle de nouveau combien nul homme, ou nul pays, n’est une île complète en elle-même. Or, nos dirigeants politiques échouent pour l’heure à lutter contre ce voile de racisme que l’on observe de manière inhérente dans les réactions face à l’épidémie. Dans les bus, les trains et les rues du monde entier, les Asiatiques, et particulièrement les Chinois, subissent cette forme de violence à laquelle j’ai assisté. Le virus étant désormais très présent en Italie, les Italiens seront-ils les prochains à la subir?

Il est saisissant d’observer le manque généralisé de solidarité, d’empathie et de compassion à l’égard de la population chinoise, notamment basée à Wuhan, qui endure avec la plus grande patience un véritable enfer. Comment s’en sortiraient (ou s’en sortiront) Manhattan, Londres, Sydney, Toronto, Berlin, Paris ou New Delhi dans de pareilles circonstances? L’indifférence face à la souffrance des autres ne nous conduit absolument nulle-part dans l’élaboration d’une réponse mondiale efficace à ce qui correspond manifestement à une crise planétaire.

Les Etats-Unis auraient facilement pu se rapprocher plus tôt des dirigeants chinois pour mettre en place une force conjointe supérieure de lutte contre le virus, fondée sur la solidarité humaine en lieu et place de la politique. L’administration a toutefois préféré formuler des déclarations contre le système politique autoritaire chinois, tout en encourageant investisseurs américains et gestionnaires de chaînes logistiques à trouver refuge aux Etats-Unis. Certes, l’Amérique et la Chine se situent sur une trajectoire de collision stratégique depuis maintenant trois ans, et les animosités politiques habituelles reprendront dès lors que l’urgence immédiate de la crise sera passée. Mais pour l’heure, l’hostilité n’est pas une politique. Ce n’est qu’une attitude, qui ne contribue nullement à la résolution du problème.

Note davantage positive, une collaboration institutionnelle et professionnelle est actuellement en cours sous la surface. Quelles que soient les erreurs commises par l’Organisation mondiale de la santé, elle constitue l’instrument officiel de gouvernance mondiale face aux pandémies. Ceux qui reprochent au directeur générale de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus le prétendu manque d’efficacité de son organisation devraient se pencher sur les règles internationales qui déterminent ses pouvoirs.

... Le tout dans un environnement politique toxique

L’OMS voit son rôle limité à la publication d’avis consultatifs internationaux sur la circulation du virus, d’avis cliniques et techniques auprès des gouvernements nationaux sur la manière de faire face, ainsi qu’à la mise en place d’une répartition d’urgence dans les zones où il n’existe aucune infrastructure de santé. Cette troisième mission pourrait d’ailleurs devenir nécessaire si le virus atteignait les régions les plus pauvres de la planète, comme lors de la crise du virus Ebola de 2013-2016 en Afrique de l’ouest.

L’OMS est déjà contrainte par la diminution des financements qu’elle perçoit. Dans son combat contre le "mondialisme", la droite met un point d’honneur à définancer les institutions humanitaires de l’ONU, tant elle y voit le symbole puissant d’une gifle assénée aux "gauchistes". Seulement voilà, lorsque les institutions les plus essentielles se retrouvent définancées, c’est leur efficacité qui en prend un coup. Il suffit de poser la question au Programme alimentaire mondial, à l’Unicef, ou encore à l’agence de l’ONU pour les réfugiés, autant d’institutions qui peinent à joindre les deux bouts. Pour sa part, l’OMS est devenue dépendante des contributions de donateurs tels que la Fondation Gates, ainsi que d’aides volontaires. Pendant ce temps, en pleine crise actuelle, l’administration Trump propose de tailler dans la contribution majeure des Etats-Unis en faveur de l’OMS, qui passerait de 123 millions de dollars à seulement 58 millions de dollars chaque année.

Seule une coordination internationale est efficace 

Au-delà de l’OMS, il faut saluer le travail des centres américains de prévention et de contrôle des maladies, ainsi que de leur réseau d’institutions affiliées à travers le monde (y compris en Chine). Les professionnels de la santé au sein de ces organisations collaborent à l’analyse du virus, à l’anticipation de ses mutations possibles, ainsi qu’à la création d’un vaccin, le tout malgré un environnement politique toxique. Il faut reconnaître la démarche des sociétés médicales, pharmaceutiques et autres, internationales et américaines, qui approvisionnent silencieusement la Chine en masques, gants, blouses, ventilateurs et autres fournitures essentielles.

En dépit de ces efforts, la crise de confiance est à présent palpable dans le monde entier, en partie à cause d’une crise de confiance dans les dirigeants nationaux et mondiaux. C’est ce que confirment la panique de l’opinion et la volatilité accrue des marchés financiers. Pourquoi les Etats-Unis n’organisent-ils pas en urgence un rassemblement des chefs d’Etat, ministres de la Santé, et ministres des Finances des pays du G20? Il ne serait pas nécessaire que ce rassemblement ait lieu physiquement; il pourrait être mené virtuellement, en partenariat avec l’ONU et l’OMS.

Une telle démarche pourrait rapidement aboutir à un cadre politique convenu, ainsi qu’à des engagements financiers conséquents, en réponse à l’actuelle pandémie. Représentant les 20 plus grandes économies de la planète (dont beaucoup enregistrent sur leur sol plus de 100 cas de Covid19), le G20 est également le mieux placé pour élaborer une stratégie financière et économique de prévention d’une récession mondiale.

La confiance mondiale ne reviendra que lorsque l’opinion et les marchés assisteront à cette démarche collective des gouvernements. C’est ce qu’il s’est produit en avril 2009, lorsque le sommet du G20 de Londres a stoppé la panique provoquée par la crise financière de 2008, en posant les bases de la coopération, ainsi qu’en créant un cadre politique et budgétaire sur la voie de la reprise. Sans efforts multilatéraux, les Etats dans leur individualité continueront de fixer leur propre trajectoire, repoussant ainsi la résolution du problème.

En temps de crise internationale, jouer la carte du nationalisme apparaît comme la forme de politique nationale la plus facile et la plus instinctive. Or, d’un point de vue rationnel, elle ne résout en rien le problème. Seule une coordination internationale efficace le pourra.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2020
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