Mohamed A. El-Erian

Conseiller économique en chef d’Allianz

Le facteur temps et les marchés mondiaux

Le 26 mars 2013 à 12h38

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  BARCELONE, 21 mars 2013 – Depuis quelques mois, la dichotomie entre d'un coté des économies qui tournent au ralenti et des dysfonctionnements politiques, et de l'autre le boom des marchés financiers s'élargit. Cependant on néglige un facteur critique : le temps, et qui en a la maîtrise - un paramètre qui pourrait faire la différence entre une résolution globale et ordonnée des incohérences politiques et économiques qui vont en augmentant et le retour à une période de grand désordre.

Comme on pouvait s'y attendre, les marchés ont retrouvé leur vigueur au cours du premier trimestre 2013. La plupart des chiffres confirment qu'après le traumatisme lié à la crise financière mondiale, l'économie américaine se redresse rapidement.

Le scénario est maintenant bien connu. Tout d'abord, de grosses multinationales ont retrouvé une solide assise financière, les banques ont reconstitué leurs réserves en capital et réduit le volume de leurs actifs douteux, le secteur immobilier s'est stabilisé, les entreprises de moindre envergure se redressent peu à peu et de plus en plus de ménages sont en voie de rééquilibrer leur budget, notamment du fait de la diminution progressive du chômage.

Le redémarrage du secteur privé permet de renflouer les caisses de l’Etat. Le déficit du budget américain est à la baisse, aidé en cela par la hausse des revenus de l'Etat et la moindre pression sur ses dépenses (ainsi le sommes consacrées à l'indemnisation des chômeurs a baissé parallèlement à la création d'emplois).

L'amélioration est aussi évidente en Europe, même si elle se limite malheureusement au marché des obligations souveraines. L'économie réelle reste confrontée à d'énormes pressions liées à la contraction de l'activité et à un chômage qui reste à un niveau inquiétant.

Certains pays sont en voie de restaurer leur accès aux marchés financiers

Après avoir frôlé le désastre en juillet dernier, les écarts de taux d'intérêt des obligations de la zone euro ont généralement diminué et le mouvement de segmentation financière s'est lentement inversé (avant que les responsables européens aient essayé de taxer les dépôts dans les banques chypriotes, une exigence qui a déclenché un feu de barrage). Par ailleurs, comme l'a montré l'émission parfaitement réussie d'obligations à 10 ans à hauteur de 5 milliards d'euros par l'Irlande à la mi-mars, certains pays sont en voie de restaurer leur accès aux marchés financiers.

Grandes amies des marchés à risque, les banques centrales ont amplifié considérablement l'impact de ces tendances sur les marchés. Ce n'est pas qu'elles veuillent jouer ce rôle, mais si elles veulent avoir la moindre chance de susciter une hausse de la croissance et de la création d'emplois, le prix des actifs doit être élevé.

Ce phénomène est particulièrement visible aux USA où les marchés adorent la politique de taux d'intérêt proches de zéro (négatifs en termes réels) de la Fed, ses achats d'actifs et l'orientation stratégique agressive qu'elle impulse - tout cela encourageant les investisseurs à prendre davantage de risques. Les marchés apprécient également l'expérimentation énergique à laquelle elle se livre, car cela pousse les autres banques centrales à travers le monde à poursuivre une politique plus expansionniste.

Du revirement spectaculaire de la Banque du Japon à la baisse surprise du taux d'intérêt directeur décidé par la Banque du Mexique, la politique de la Fed affecte les banques centrales dans un nombre croissant de pays. Contraintes de s'écarter encore davantage du meilleur scénario possible, elles ne peuvent ignorer l'impact sur les liquidités de la politique de la Fed, mais elles ne disposent pas des outils nécessaires pour y répondre.

La combinaison de mesures prises par chaque pays et de la forte pression des banques centrales (dont la politique du « tout ce qui sera nécessaire » de la Banque centrale européenne) a aussi aidé les marchés à s'affranchir des incertitudes politiques. Que ce soit en raison de la polarisation paralysante du Congrès américain ou du vote protestataire italien contre l'ordre politique établi, les dirigeants politiques disposent du temps nécessaire pour surmonter les dysfonctionnements, minimisant ainsi les perturbations immédiates qu'ils pourraient générer.

Les investisseurs craignent les conséquences à long terme des dysfonctionnements politiques

Les investisseurs interprètent naturellement tout cela comme un encouragement à prendre plus de risques. Et tout le bruit fait ce mois-ci autour des huit records successifs du Dow Jones (et de beaucoup d'autres records dans le monde) pousse de plus en plus d'investisseurs à entrer sur les marchés des actifs à risque.

Ce climat n'est pas exempt d'inquiétude, et ce, à juste titre. Les investisseurs craignent les conséquences à long terme des dysfonctionnements politiques, une année supplémentaire de contraction économique en Europe, un chômage catastrophique, les effets imprévisibles de la politique sans précédent des banques centrales et l'augmentation des tensions mondiales. Et le récent gâchis lié au plan de secours destiné à Chypre n'améliore pas la situation. Rien d'étonnant à ce que la récente hausse de la Bourse ait pu être qualifiée de « l'une des moins aimées » de toute l'Histoire.

Ce mélange d'excitation et d'inquiétude est en réalité le signe de l'approche de la croisée des chemins. La première voie, le passage relativement ordonné d'une reprise soutenue par des mesures politiques à une croissance auto-entretenue offre aux investisseurs la possibilité de gains financiers majorés - l'amélioration rapide de la situation économique et politique validant la fixation artificielle des prix et les conduisant encore plus haut.

L'autre voie est moins réjouissante. En raison de mesures de politique intérieure insuffisantes et en l'absence de dynamisme économique, les mesures prises par les banques centrales perdent leur efficacité et les dysfonctionnements politiques augmentent, conduisant à des pertes financières, à des pics de volatilité et à d'énormes problèmes de gestion des risques.

Le temps guérit tout

Au vu des mesures prises actuellement, des incertitudes politiques et des multiples équilibres que cela suppose, il est difficile de prévoir à quel moment se présentera la croisée des chemins et sur quelle voie nous basculerons. Ceux qui prétendent le contraire ne réalisent pas le caractère exceptionnel de la situation.

Dans ce contexte, le temps n'est pas tout, mais il pourrait être un élément déterminant. Si le moment du basculement se rapproche en raison d'un choc géopolitique important (venant par exemple du Moyen-Orient ou de Corée du Nord) et/ou d'un effondrement politique en Europe (tel un plongeon financier de Chypre ou une paralysie politique en Italie), la probabilité de s'engager sur la mauvaise voie sera très forte. Mais si les banques centrales parviennent à limiter suffisamment longtemps les incohérences financières et politiques au niveau de chaque pays et plus globalement, la distribution des probabilités quant à la suite des événements pourrait s'améliorer considérablement.

Ne nous trompons pas : aujourd'hui les marchés adhérent au principe selon lequel le temps guérit tout. Or ce sont les banques centrales qui ont la maîtrise du temps. Mais le contrôle qu'elles en ont est imparfait et il perdra progressivement son efficacité si dans les mois à venir des obstacles politiques supplémentaires freinent les progrès économiques.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

© Project Syndicate

 

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