Le journalisme est la boussole de la démocratie

Le 29 novembre 2018 à 14h28

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

OXFORD – Les tortures subies par le journaliste saoudien installé aux Etats-Unis Jamal Khashoggi et son meurtre sauvage ont attiré l’attention sur le prince héritier Mohammed Ben Salman, qui semble bien avoir donné l’ordre de l’assassinat. L’événement souligne aussi les dangers de la production d’informations. Lorsque les chiffres définitifs seront connus, 2018 pourrait s’avérer comme l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les journalistes dans le monde.  

Mais si les agressions physiques contre les journalistes deviennent effroyablement arrogantes – et l’assassinat de Khashoggi est peut-être à ce jour la plus audacieuse –, la plupart des risques auxquels notre profession est confrontée sont bien plus ordinaires. J’en vois cinq, surtout.

Premièrement, les possibilités d’embauche sont en baisse, et les situations caractérisées par des rémunérations médiocres, une insécurité de l’emploi chronique et des chances d’évolution de carrière réduites. Ainsi aux Etats-Unis l’emploi dans les salles de rédaction a-t-il chuté d’un quart en moins de dix ans, tandis que, plus récemment, les inscriptions dans les grandes écoles de journalisme baissaient.

La transition technologique du journalisme

Deuxièmement, la "big tech" éclipse les médias dans la course au recrutement des talents. Le journalisme a besoins de gens qui connaissent la technologie pour mener des reportages d’investigation et pour conduire la transition numérique du secteur. Mais aujourd’hui, la plupart des ingénieurs en informatique voient plus volontiers leur avenir dans les entreprises à plateforme comme Facebook ou Google, qui peuvent offrir des salaires, une sécurité d’emploi, équilibre entre travail et vie personnelle meilleurs que les plus grands organes de presse eux-mêmes.

Troisièmement, le journalisme a perdu de son charme. Autrefois, les correspondants qui bourlinguaient dans tous les pays et qu’on retrouvait à la télévision ou à la une des journaux attiraient les jeunes journalistes dans le métier. Et même si la plupart d’entre nous, ayant mordu à l’hameçon, ne se sont guère aventurés plus loin que la mairie de leur ville, nous n’en étions pas moins mus par la noble mission de demander des comptes aux puissants. Dans l’environnement dispersé des réseaux sociaux contemporains, les correspondants étrangers se font désormais rares, et les "faiseurs d’opinion" sont plus souvent des pop stars que des férus de politique.

La confiance dans les médias

Quatrièmement, alors même que les rémunérations et le prestige diminuentla pression dans les salles de rédaction s’intensifie. Lorsqu’un reporter "débutant" rejoint aujourd’hui un groupe de presse, il ne lui suffit plus de savoir écrire un bon article; les jeunes journalistes doivent aussi maîtriser le son et la vidéo, manier les données de masse et comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux. Tant de compétences permettent peut-être de nouveaux et de meilleurs produits, mais personne n’est bon partout. Exiger que les journalistes le soient et n’avoir plus de freins à cette exigence pourrait les pousser à changer de métier.

Enfin, les incessantes agressions rhétoriques, contre celles et ceux qui travaillent pour les principaux médias, auxquelles se livrent des dirigeants comme le président des Etats-Unis Donald Trump – dont le discours sur les "fake news" vise la crédibilité de toute la profession – produisent leur effet. Si de récents sondages montrent que la confiance dans les médias est en hausse, les continuelles calomnies touchant à l’intégrité et à l’intelligence des journalistes minent leur travail.

S’additionnant les uns aux autres, ces cinq périls font payer à l’industrie des médias un lourd tribut et la situation met en danger la démocratie elle-même. Sans une presse indépendante et libre, les citoyens ne disposent pas des informations leur permettant d’éclairer leurs décisions.

A la vérité, lorsque le journalisme professionnel fait défaut, les gens se perdent facilement dans une masse d’informations souvent sujettes à caution, voire deviennent la proie d’experts auto-proclamés, mus par l’intérêt, et de la propagande. Le journalisme est la boussole de la démocratie; nous devons trouver un moyen pour qu’il retrouve ses marques. 

Pénurie de talents

Avant toute chose, les journalistes doivent être protégés. Cela signifie non seulement que leur sécurité doit être assurée, mais aussi qu’ils doivent pouvoir accéder à l’information et rapporter sans crainte de représailles leurs découvertes. Au minimum, les attentats contre des journalistes comme Khashoggi doivent faire l’objet d’une véritable enquête, pour que ceux qui les ont perpétrés en rendent compte devant la communauté internationale et soient condamnés. 

Mais le soutien à la presse ne doit pas se limiter à punir ceux qui ont l’audace de tuer un journaliste. Ainsi de nouveaux programmes sont-ils nécessaires pour aider les jeunes talents à se développer. Les pouvoirs publics peuvent accorder des subventions, consentir à des exonérations d’impôts, mais aussi soutenir des projets de formation au journalisme et aux nouveaux médias. Si les futurs journalistes ont besoin de modèles, il leur faudra aussi les compétences nécessaires pour montrer à leur tour l’exemple.

Plus important encore, peut-être: les défenseurs de la presse doivent partout travailler pour améliorer l’éducation du public aux médias. Les nouveaux lecteurs, auditeurs, téléspectateurs doivent comprendre comment fonctionne le journalisme, comment travaillent les journalistes et pourquoi les organes de presse sont des éléments essentiels dans le bon fonctionnement d’une démocratie.

Tant que l’opinion ne valorisera pas ce que produisent les journalistes professionnels, le journalisme devra faire face à une pénurie de talents. C’est son prochain défi, et qui pourrait devenir le plus grand qu’il ait jamais dû affronter.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2018

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